
Dans le numéro de Février 2020 de Lightspeed magazine, Kij Johnson propose une nouvelle de « fantasy » écologiste. L’autrice américaine récrit l’histoire biblique de l’arche de Noé pour en faire une parabole sur l’extinction des espèces animales causée par l’Homme. L’humanité ici, c’est Noé, Noah en anglais. Le livre de la Genèse dit « Au bout de quarante jours, Noé ouvrit la fenêtre de l’arche qu’il avait construite, et il lâcha un corbeau ; celui-ci s’envola et revint en attendant que la terre soit redevenue sèche. Ensuite, Noé lâcha une colombe pour savoir si les eaux avaient baissé à la surface du sol. »
L’histoire de Kij Johnson est celle de ce premier corbeau relâché par Noé. D’entrée elle corrompt les codes de la fantasy et oppose à la naïveté du récit religieux un langage technique et scientifique : le nom du corbeau, inintelligible pour l’humain, pourrait être traduit par Bessary, suivi d’un terme désignant l’odeur de la chèvre morte depuis trois jours lorsqu’il n’a pas gelé, suivi du nom d’une couleur de longueur d’onde 327 nanomètres (ce qui la situe dans le proche UV non visible par l’œil humain), suivi du nom de la sensation de l’air frais le long des soies rictales (plumes sétiformes se situant aux commissures du bec chez certains oiseaux). Le ton est annoncé. D’ailleurs si Noé avait demandé, les corbeaux lui auraient dit que cette histoire de déluge et d’arche était un non-sens. Mais Noé n’a pas demandé. Noé n’écoute personne. Il se pense investi d’une mission par Dieu, mission qu’il bâcle de manière indolente en ne préservant pas certaines espèces difficiles à attraper ou tuant les spécimens dont il n’arrive pas à obtenir le nombre nécessaire, élevant un charnier témoin de son incompétence, parce que si Dieu y tenait vraiment à tous ces animaux il aurait fait en sorte que Noé n’ait pas à fournir tous ces efforts. Entassés dans des cages dans le rafiot, les animaux meurent en nombre. Là aussi Kij Jonhson ne s’éloigne jamais de la zoologie connue. Ce ne sont pas des créatures fantastiques comme les licornes, les griffons ou les dragons qui disparaissent, mais des variations crédibles d’espèces connues comme les vautours du désert, les markhors des neiges, ou les scinques tachetés.
C’est dans cette opposition entre récit religieux et approche réaliste que Kij Johnson construit son texte et son message. Ce sont l’incompétence de Noé, l’incompréhension du monde qu’il habite et dont il prend la charge, le mépris pour les espèces vivantes dont il considère qu’elles n’existent que pour le servir, qui provoquent les extinctions. Parabole donc.
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Une réflexion sur “Noah’s Raven – Kij Johnson”