Your favorite band cannot save you – Scotto Moore

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Il ne vous aura sans doute pas échappé que les temps sont propices à la publication par brouettes entières de lovecrafteries revisitées, modernisées, parfois féminisées et plus généralement nettoyées des insanités  terrestres qui ont pu polluer les écrits du maître de Providence pour n’en garder que les insanités cosmiques et leurs angoisses attenantes. L’exercice se décline en de multiples incarnations plus ou moins convaincantes qui vont de la farce à la science-fiction horrifique. Mais quand c’est bien, c’est bien. Nous avons ainsi récemment pu lire quelques bons textes, comme le féministe La quête onirique de Vellit Boe de Kij Johnson qui complétait La quête Onirique de Kadath l’inconnue, le fantastique et politique La Ballade de Black Tom de Victor Lavalle qui réécrivait courageusement l’Horreur de Red Hook, ou le brutal et sombre Agents of Dreamland de Caitlin R. Kiernan qui, sans reprendre un texte en particulier, s’inspirait de l’héritage de Howard Phillips Lovecraft en replaçant l’horreur cosmique au centre du débat. Parmi les œuvres inspirées, n’oublions pas le cycle de la Laverie de Charles Stross, modèle du genre, dans lequel l’humour geek côtoie les frayeurs d’outre espace.

Quelque part entre Charles Stross et Caitlin R. Kiernan, Scotto Moore a choisi d’imaginer une version moderne et rock de La musique d’Erich Zann. Ne cherchez pas là un spoiler, le texte de Moore part dans une toute autre direction. Scotto Moore avait de quoi écrire un ébouriffant roman de 300 pages, mais la fin du monde étant plus proche qu’on ne le pensait, il a préféré aller à l’essentiel et sortir Your Favorite Band Cannot Save You sous la forme d’une ébouriffante novella de 127 pages chez Tor. Ébouriffante parce que ça va vite et que le scénario est complètement barge. Un vrai bonheur à lire, en somme.

Le choix de la narration à la première personne, comme HPL l’a souvent fait, permet cette immersion rapide dans la psyché d’un homme qui perd ses points de SAN (santé mentale) plus rapidement qu’un débutant au jeu de rôle L’Appel de Cthulhu. Ici notre narrateur est MPC, blogueur (pauvre type !) des dernières tendances musicales. Un peu par hasard, mais pas que, il tombe sur le premier morceau d’un groupe inconnu, Beautiful Remorse, qui poste sans aucune autre information sur le site Bandcamp le meilleur morceau qu’il ait jamais écouté de toute sa vie et qu’il écoutera en boucle toute la nuit. Dès le lendemain, le groupe poste un deuxième morceau, et il n’échappe encore une fois pas à la transe. Le bruit commence à se répandre et faisant appel à ses entrées dans le milieu, alors que sort le troisième morceau, MPC réussit à contacter la chanteuse du groupe, Airee MacPherson, qui l’invite à leur premier concert à Austin, Texas, durant lequel sera dévoilé le quatrième morceau.

IT’S CALLED ‘YOU ARE ABOUT TO DIE, MOTHERFUCKER!’

De chapitre en chapitre, et de morceaux en morceaux, MPC va suivre la tournée du groupe. Le concert d’Austin ayant tourné à l’émeute, le groupe se renomme Augmented 4th. (Parenthèse musicale pour ceux d’entre vous qui auraient séché les cours de solfège, une quatrième augmentée est ce qu’on appelle un triton, un intervalle de trois tons avec la fondamentale d’un accord. Un truc très dissonant. Le moyen-âge l’appelait diabolus in musica et Black Sabbath en a fait dès son premier titre une des pierres angulaires du metal. Vous pouvez l’entendre sur le titre Black Sabbath dont le riff est entièrement basé sur cet intervalle). Cette parenthèse avait bien évidemment aussi pour but de vous amener à deviner que tout ceci ne peut que partir en vrille, la musique créée par Airee MacPherson dévoilant des propriétés psychiques pas naturelles du tout. La brève tournée du groupe va ainsi avoir des répercussions… comment dire… tentaculaires.

Your Favorite Band Cannot Save You est un texte à la fois rock, complètement barré, affreux et franchement poilant. Vous pourrez bien sûr y lire une parabole sur les nouveaux messies que sont les rock stars, si vraiment vous voulez vous enquiquiner à réfléchir à des trucs terre à terre. Mais sinon, une simple promesse d’apocalypse c’est chouette aussi. On aurait certes souhaité qu’il soit plus long, ce texte, ce qui aurait permis de développer les personnages, de faire un récit plus immersif de la tournée d’un groupe dont les membres sont pour le moins particuliers. On aurait aimé sombrer un peu plus encore dans l’ombre de la folie d’Airee MacPherson. Mais on devra se contenter de ce petit morceau de frisson lovecraftien. C’est déjà bien.


D’autres avis de lecteurs : Gromovar


Titre : Your Favorite Band Cannot Save You
Auteur : Scotto Moore
Publication : 5 février 2019 chez Tor.com
Langue : anglais
Nombre de pages : 217
Support : papier et ebook


14 réflexions sur “Your favorite band cannot save you – Scotto Moore

    1. Comme je le disais à Aelinel, rock + inspiration lovecraftienne, c’est forcément un peu barré. On sait qu’il va se passer des choses pas normales, enfin qu’on voit pas tous les jours. Et c’est tant mieux d’ailleurs. Ce serait flippant sinon.

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  1. Je ressors plus convaincu par ta chronique que par celle de (l’estimé) Gromovar, néanmoins l’aspect barré me rend un peu méfiant moi aussi. Lorsque ça part dans certains délires, ça a tendance à me laisser froid, en général. Toutefois, La musique d’Erich Zann étant une de mes nouvelles préférées du Maître, je vais donner sa chance à cette novella, a priori. J’ai un cycle de lecture Lovecrafteries à alimenter, après tout. Merci pour ta critique !

    Aimé par 1 personne

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