
Implied Spaces est un roman de Walter Jon Williams paru en 2008. Il a été traduit en français par Jean-Daniel Brèque et publié par l’Atalante en 2009 sous le titre Avaleur de Mondes. Cela ne fait fondamentalement aucune différence pour cette chronique, mais c’est la version originale, en anglais, que j’ai lue. Le but d’une chronique de livre est, entre autre et en évitant de spoiler l’histoire, de donner une indication claire de son contenu pour que le lecteur puisse juger a priori de son intérêt. Il n’y a pas quarante-deux manières de caractériser Implied Spaces : contrairement à ce que pourraient laisser imaginer les 70 premières pages, il s’agit d’un roman de science-fiction. De la grosse science-fiction.
Implied Spaces débute au beau milieu d’un désert. Nous sommes dans le monde de Midgarth. Celui-ci est peuplé d’humains, d’orcs et de trolls, et de leurs montures, des plus banales (dinosaures de type saurien) aux plus exotiques (chameaux). Plusieurs caravanes sont bloquées dans un caravansérail par les attaques incessantes des groupes de bandits qui écument la région. Aristide, qui se présente comme un voyageur, va organiser avec Grax le Troll (retenez ce nom) une sortie groupée de tout ce beau monde afin d’aller botter le cul des bandits. Aidé de son familier (Bitsy est un chat qui parle) et de sa puissante (très puissante) épée magique Tecmessa, Aristide ira déloger de leur antre les trois prêtres noirs aux pouvoirs inquiétants qui dirigent la troupe de malfrats. Nous sommes dans un scénario de jeu de rôle très classique, niveau 1. Tout vacille lorsque Aristide décide soudain de rentrer à la maison avec les têtes des trois prêtres pour les faire analyser. La maison, c’est la grande metropolis de Myriad City qui se trouve tout simplement dans un autre univers, 1500 ans dans notre futur.
Des univers de poche
« you created a whole universe so that you could dress up in chain mail and fight orcs! How brilliant was that?”
Aristide n’est autre que Pablo Monagas Pérez, l’un des membres du trio originel d’informaticiens responsables de la création des onze intelligences artificielles qui désormais orbitent notre soleil sous la forme de cerveaux de matrioshka. Dès leur conception, il a été décidé de prévenir la singularité vingienne en bridant ces IA par un jeu de règles d’inspiration asimovienne. La formidable puissance de calcul mise ainsi à la disposition de l’humanité a rendu possible le téléchargement numérique des personnalités rendant ainsi la mort très éphémère. On ne pourra s’empêcher de noter que nous sommes là à nouveau proche de l’univers des jeux vidéo où le moindre faux pas nous ramène à la dernière sauvegarde. Il est même possible de changer d’apparence, voire de sexe, et pourquoi pas de s’éloigner des standards humains en multipliant les membres ou en optant pour la vie aquatique. L’humanité a ainsi largement embrassé un transhumanisme décomplexé et ludique.
Par ailleurs, il est possible de générer des trous de vers maintenus à grand frais énergétiques par les IA, et d’y créer des univers de poche. Midgarth est l’un de ces univers de poche, imaginé au départ par des médiévistes comme une tentative de reconstitution d’un monde médiéval, mais financé par des gamers qui y ont introduit quelques variantes. Il existe ainsi quelques dizaines de ces univers de poche, comme autant de plateaux de jeu. Certains sont des destinations touristiques, grands parcs à thème pour adultes transhumains, alors que d’autres sont des tentatives de sociétés utopiques. On trouve ainsi des univers religieux, isolés d’autres ayant un dieu légèrement différent, ou des univers pour qui aspire à une vie primitive éloignée des technologies.
Des espaces impliqués

Aristide (ou Pablo) occupe son éternité à étudier les espaces impliqués. Pour expliquer ce qu’est un espace impliqué, une analogie architecturale est utile. Les amateurs d’architecture médiévale sauront ce qu’est une trompe. Pour les autres, une trompe est un espace impliqué. C’est une portion de voûte qui permet de passer d’un plan à un autre. Vous trouverez des trompes dans les coins des coupoles posées sur un bâtiment de plan carré, par exemple. Ou, comme sur la photo ci-contre, lorsque vous avez une tour carrée ajoutée sur le coin d’un bâtiment. La trompe est ce triangle voûté que l’on trouve sous la tour et qui la soutient. Il ne s’agit donc pas d’un élément architectural principal, contrairement à la tour et au bâtiment, mais il est impliqué par le placement de l’un sur l’autre. De la même manière, si vous créez ex-nihilo une planète artificielle, et que vous placez des montagnes aux pieds desquelles coulent une rivière, entre la rivière et la montagne vous aurez forcément un espace impliqué. Aristide s’intéresse à ce qui se développe dans ces zones qui ne sont pas issues de la volonté du créateur mais qui sont rendues nécessaires par la construction. C’est là une des clefs du livre, qui permet d’aller un peu au-delà de la surface.

Je suis obligé ici de faire la critique du titre français. « Avaleur de monde » non seulement représente mal le livre mais, plus encore, en trahit le propos. L’expression même, Avaleur de monde, se rapporte à un détail de l’histoire, tiré du volet action du roman. C’est un peu comme si Dune avait reçu le titre français « Gom Jabbar ». Alors que « implied spaces », les espaces impliqués, est le fil rouge qui lie la virée fantasy du début du livre à ses conclusions les plus grandioses, par changement d’échelle. Et changement d’échelle, il va y avoir au cours du roman.
SF grand format
Les têtes coupées d’Aristide vont révéler qu’une guerre se prépare contre les mondes des humains. Une IA a été corrompue, le pire est à prévoir. Et le pire va arriver. Après une introduction sous forme de fantasy classique, le roman va devenir un polar cyberpunk. Puis une SF militaire. Puis une réflexion métaphysique sur la nature de l’univers à la Olaf Stapledon.
Implied Spaces est un polar de fantasy, space-opera, transhumanisme, singularité, big dumb object, cyberpunk, planet-opera, hard-SF, SF militaire. Sentez-vous libre d’ajouter un quelconque terme de votre choix à cette liste, tout est dans ce livre. Walter Jon Williams a écrit un roman qui reprend tous les tropes de la SF, sans en oublier aucun. Du coup, ce n’est pas un livre pour débutant en SF. Vous y trouverez des intelligences artificielles, des sphères de Dyson, des vêtements intelligents, de la réincarnation, plusieurs fois, une épidémie de zombies, des batailles spatiales à coup d’antimatière et une invasion d’infanterie digne de Starship Troopers. Williams ne fait aucune économie. Une fois le roman lancé, il ne peut revenir en arrière et est obligé d’aller de plus en plus loin. Et loin il va. Lorsque vous pensez qu’il a atteint les limites de la SF (à savoir une guerre dans laquelle les protagonistes se balancent des univers dans la tronche, littéralement), il continue et convoque un final d’une énormité rarement atteinte. De plus, c’est un page turner qui ne cesse de prendre des directions que l’on attend pas. Et surtout, c’est très ludique pour tout amateur de SF.
En conclusion
Alors, c’est quoi le problème ? Je n’en vois pas. Certains reprocheront à ce roman son côté catalogue foutoir de la SF. C’est vrai, il y a beaucoup de choses, de références et d’auto-indulgence dans ce roman de seulement 400 pages. Sérieusement, un roman qui vous propose une enquête policière, une épidémie de zombies et une guerre interstellaire, c’est rare et précieux. D’autres regretteront de ne pas avoir eu le temps de verser une larme d’empathie sur les crises existentielles que traverse l’humanité. C’est vrai, mais pour cela il vaut mieux allumer BFM que lire un roman de SF. La seule critique que je lui ferai est une certaine facilité dans les dernières pages pour retomber sur un happy end qui n’était pas nécessaire. Ce roman est plein d’humour, de SF grand format, de sense of wonder. Moi, ça m’amuse.
D’autres avis de lecteurs : Apophis, Vive la SFFF,
Titre : Implied Spaces (Avaleur de Mondes)
Auteur : Walter Jon Williams
Publication originale : 2008 chez Night Shade Books
Traduction : Jean-Daniel Brèque pour l’Atalante (2009)
Nombre de pages : 385
Support : ebook et papier
Nous sommes d’accord 🙂 Je trouve sidérant que ce roman ne soit pas plus connu. Comme tu le soulignes très justement, c’est tout de même du très, très lourd sur le plan SF, et la forme est aussi sympathique que le fond.
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Je ne sais pas pourquoi il n’est pas plus connu, et je n’en avais entendu parler avant ta chronique, mais c’est clair que pour tout amateur de SF spectaculaire, c’est Noël à Disneyland ce roman.
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« Bonjour, ici le service de plausibilité littéraire. Veuillez noter que l’ensemble des éléments que vous venez de chroniquer ne peut PAS tenir dans un livre de moins de 400 pages. Merci d’avance de bien vouloir rectifier la donne. »
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Note à l’intention du service de plausibilité littéraire : ce livre contient de nombreux univers de poche insérés entre ses pages qui augmentent de plusieurs ordres de grandeur ses capacités de stockage. En d’autres termes, il est plus grand à l’intérieur qu’à l’extérieur. Tout lecteur immergé pendant plus de 7 jours dans ce roman devra être considéré comme perdu dans notre réalité. Merci d’en informer les services techniques.
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Oh! Yeah!
Il me le faut!!!!!
En revanche, déjà que je suis perdue dans les mondes imaginaires, je crains que la perte soit définitive dès lors…
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Je pense que je vais me laisser tenter, en plus un chat qui parle ! (j’avais justement besoin de ça comme critère pour un challenge et je cherchais quoi lire xD)
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Et tu vas voir qu’il fait bien plus que parler !
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