The Calculating Stars (Vers les étoiles) – Mary Robinette Kowal

calculating

Une des plus jolies bourdes de la presse américaine fut la Une du Chicago Tribune qui annonçait le 3 novembre 1948 la victoire du républicain Thomas E. Dewey aux élections présidentielles contre le républicain sortant Harry S. Truman. L’élection de Dewey est le point de divergence entre notre histoire et l’uchronie proposée par Mary Robinette Kowal dans l’univers « punchcard punk » que l’auteure américaine a développé à travers plusieurs nouvelles, dont The Lady Astronaut of Mars chroniquée récemment sur ce blog, et un roman en deux parties publié durant l’été 2018. The Calculating Stars, sorti en Juillet, est le premier tome de ce roman et propose une histoire alternative de la conquête spatiale. Le second tome, The Fated Sky, sortira en Août. L’élection de Dewey est presque un détail mineur mais elle est importante pour comprendre comment cette uchronie est construite. Mary Robinette Kowal s’appuie sur une multitude de faits réels des années 40 et 50, choisit l’option que l’Histoire n’a pas retenue, et tisse ainsi le canevas d’une histoire alternative extrêmement réaliste. Avec toutefois un événement déclencheur de taille : la chute d’une météorite sur Terre.

L’uchronie

Vous souvenez-vous ce que vous faisiez le 3 mars 1952 à 9h53 du matin ? Toute personne qui se trouvait à moins de 500 miles de Washington D.C. s’en souvient. C’est l’heure exacte à laquelle une météorite a frappé la Terre, dans l’océan, juste au large de la capitale américaine. Le premier chapitre du livre, magistral, raconte comment Elma York et son mari Nathaniel York ont vécu cet événement, ou plutôt survécu, et les conséquences de celui-ci. La côte Est américaine est balayée de la carte, des incendies gigantesques ravagent les régions avoisinantes, des tsunamis balayent les océans, les cieux s’obscurcissent. Des millions de victimes et de réfugiés. Mais ce n’est rien par rapport à ce qui attend l’humanité entière en raison des dérèglements climatiques qui s’annoncent et qui, sur le long terme, un siècle tout au plus, vont probablement réduire à néant les chances de survie sur la planète. Le décor est ainsi planté. Les Nations Unies décident de lancer un programme d’exploration spatiale pour permettre à l’humanité, un jour, éventuellement, de quitter la Terre et créent l’International Aerospace Coalition.

Nathaniel York et Elma York sont membres du NACA, le National Advisory Committee for Aeronautics et ancêtre de la NASA, et participent tous deux au programme. Nathaniel York est l’ingénieur en chef du programme, mais cette histoire est celle d’Elma. Ou plutôt du docteur Anselma York. Car Elma est docteur en physique et génie des mathématiques. Elle est aussi la fille d’un général de l’US Airforce et ancienne pilote des WASPs, les Women Airforce Service Pilotes, des femmes pilotes qui assuraient des missions de transport et le convoyage des avions de chasse durant la seconde guerre mondiale, mais n’avaient pas le droit d’être engagées dans des missions de combat. Elma est impliquée dans le programme spatial en tant que « computer ». Les computers sont des femmes, douées en mathématiques, qui réalisent les calculs nécessaires à la conception des fusées, des trajectoires de vol, de la mécanique céleste, à une époque où les ordinateurs n’existent pas.

En 1956, soit 4 ans plus tard, la NACA envoie le premier homme dans l’espace. Ce ne sera pas Youri Gagarine, mais un certain Stetson Parker qu’Elma connait très bien. Elle et lui ne peuvent pas s’encadrer. Le roman raconte le combat d’Elma pour que le programme d’exploration spatiale inclue des femmes, que celles-ci soient reconnues en tant que pilotes, et qu’elles puissent candidater au poste d’astronaute. Cela ne se fera pas sans difficulté, et elle devra affronter le racisme, l’antisémitisme et le sexisme des institutions. Ca lui prendra des années pour ne serait-ce que, par exemple, se faire appeler « Docteur York », elle qui n’était jusqu’ici que « Mrs Nathaniel York ». Elle bénéficiera du soutien de son mari, de l’aide de nombreuses femmes, et saura malgré elle jouer des médias. La scène finale est superbe et constitue une véritable conclusion à ce premier chapitre. Le second tome, dédié à la conquête de Mars, s’annonce glorieux.

Et la claque

The Calculating Stars est un roman remarquable, emmené par l’écriture de Mary Robinette Kowal qui a cet incroyable talent de toujours trouver le ton juste pour porter son histoire et ses personnages. Loin du pamphlet à gros sabots, elle construit un argumentaire et démontre son propos. Le message n’en est que plus fort. C’est un roman sensible, détaillé dans la construction des personnes et des émotions. Elma est un personnage complexe développé avec précision. Juive dans une Amérique d’après-guerre, elle a perdu toute sa famille lors de la chute de la météorite. Vivant l’antisémitisme, elle découvre le racisme institutionnel dès lors qu’elle va s’associer avec des femmes pilotes noires. Affectée par une angoisse pathologique, elle devra aussi combattre ses propres démons, comme lorsqu’elle se retrouve dans un bureau avec Wernher von Braun, pour faire avancer sa propre histoire. Elma est aussi un personnage de roman qui s’inspire de personnages historiques. Son rôle au sein des computers n’est pas sans rappeler celui de Katherine Johnson, femme noire et génie des mathématiques en charge du calcul des trajectoires du programme Mercury et Apollo. C’est aussi le cas de nombreux personnages du roman. Le personnage d’Helen est par exemple basé sur Helen Ling.

D’autre part, ce roman uchronique est aussi un roman très documenté, ce qui lui donne une qualité de hard-SF. De la hard-uchronie si vous voulez. Que ce soit dans la description de la chute de la météorite, de ses conséquences sur le climat, ou dans la conception des fusées, la mécanique céleste, les  mathématiques impliquées, la réalité des vols orbitaux, ou encore les manœuvres de vol pour se sortir d’une vrille, tout est absolument maîtrisé dans les moindres détails. Mais là encore le ton est juste et jamais professoral. Ce livre est un véritable tour de force, et la raison en est donnée dans les remerciements. Pour l’écrire, Mary Robinette Kowal s’est faite aider par des scientifiques de différents domaines, des ingénieurs de la NASA, des astronautes et des pilotes d’essai. C’est du haut niveau à tous les étages.

Finalement, il faut lire les notes historiques que Mary Robinette Kowal inclut en fin de livre et qui, peut-être, constituent la vraie claque du roman. Elle y révèle que tout ce qu’elle a écrit est vrai. Les extraits d’articles du New York Times qui ouvrent certains chapitres sont réels. Les WASP ont existé. Ce groupe de femmes pilotes a été fondé par Jacqueline « Jackie » Cochran. L’Etat Major américain leur a toujours refusé le statut et la pension des militaires. Il a fallu attendre 1977 et la déclassification de leur dossier pour que ces femmes soient reconnues et qu’on leur accorde le statut de vétéran. Les femmes computers est un service qui a été essentiel au succès des missions de la NASA. Leur histoire est racontée dans le film de 2016 Les Figures de L’ombre (Hidden Figures) de Theodore Melfi. Enfin, la NASA a vraiment eu un programme de tests pour des femmes astronautes. Jusqu’à ce que les politiques interviennent pour mettre un terme au programme.

On ressort de cette lecture en se disant que ce roman n’est pas une uchronie. L’uchronie, c’est notre histoire officielle, celle qui est dite dans les livres autorisés, celle qu’on a apprise, celle où le rôle des femmes dans la conquête spatiale a été systématiquement effacée, celle qui a été réécrite par les hommes au pouvoir pour faire disparaître les femmes de la société. Le livre de Mary Robinette Kowal leur offre une gloire qu’elles n’ont pas eu.

Le roman a remporté le prix Nebula 2019, le prix Hugo 2019, et le Sidewise 2019. Les droits de traduction ont été acquis par Denoël avec une sortie prévue en Octobre 2020 dans la collection Lunes d’encre sous le titre Vers les étoiles.


D’autres avis de lecteur : Apophis, De livres en livres, Les lectures du Maki, Le dragon galactique, l’Albedo, Un papillon dans la Lune, Xapur, Au pays des Cave Trolls, Aelinel, Ombre Bones,


Livre : The Calculating Stars
Série : A Lady Astronaut 1/2
Auteur : Mary Robinette Kowal
Publication : 3 Juillet 2018 chez Tor
Langue : anglais
Traduction : indispensable
Nombre de pages : 384
Format : papier et ebook


36 réflexions sur “The Calculating Stars (Vers les étoiles) – Mary Robinette Kowal

  1. Je me réjouis de ces bons retours pour cette autrice, qui a dû beaucoup travailler sur le roman et son univers, avec une certaine pression sur les épaules si je me rappelle ses dires.
    Je recommande également Les figures de l’ombre cité dans l’article, passionnant même si on ignore tout de l’histoire de la NASA, dont ces femmes font pleinement partie.

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  2. Ca c’est de la critique qui envoie!!! Déjà que tu m’avais convaincue de lire la nouvelle,…. je me dis que je ne peux pas passer à côté de ce roman si remarquable. Je vais attendre toutefois, ton retour sur la duxiéme partie avant de me lancer définitivement!

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  3. Sacrée claque semble-t-il ! Comme souvent, si les informations sur le rôle des femmes dans l’histoire militaire et spatiale existent bien (je suis tombée sur quelques infos concernant la Women Auxiliary Air Force dans le cadre de mon travail), elles ne sont jamais mises en valeur. Je vais donc lire ce roman si je le trouve chez le libraire.

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    1. Je l’avais vu passé lors de sa sortie mais cela ne m’avait pas parlé non plus. La couv, le pitch, bof. Et c’est la lecture de la nouvelle The Lady Astronaut of Mars qui m’a interpellé.

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