
L’énigme de L’univers (choix de titre discutable de la part du traducteur) est le quatrième roman de Greg Egan, publié en 1995 sous le titre original Distress.
Greg Egan est un auteur de science fiction entretenant de façon quasi-maladive la discrétion. On sait juste de lui qu’il vit à Perth, est informaticien, diplômé d’études supérieures en mathématique et qu’il écrit des livres. Autant qu’on le sache, il pourrait tout aussi bien s’agir d’un collectif de hackers transhumains assexués errant dans la ceinture de Kuiper après avoir vu leur demande d’asile rejetée par le gouvernement australien. Ou disons que ce portrait correspondrait assez bien à ce qu’on peut deviner de lui à travers ses nouvelles ou ses romans. Deux seules choses sont importantes à savoir pour appréhender cet auteur. La première est qu’il s’inscrit dans la tendance Hard-SF de la littérature de science fiction, celle qui met un point d’honneur à s’appuyer sur l’état actuel des connaissances en sciences dures pour anticiper l’avenir des technologies dans leur contexte sociétal. Il s’y inscrit tellement, qu’il a redéfini le genre en en repoussant les frontières et en est devenu un des représentants les plus admirés, ou les plus honnis, au choix. La seconde est que ses critiques habituelles relèvent la difficulté qu’il y a à le lire sans connaissances importantes en sciences dures, la froideur de ses récits, ou le peu de profondeur émotionnelle de ses personnages. Vous êtes prévenus !
Très bien. Il est mort. Allez, parlez lui.
L’énigme de l’univers est à mon avis l’un des meilleurs romans de Greg Egan, et il porte en lui toutes les « qualités » et « défauts » qu’on puisse trouver à cet auteur, avec en premier lieu, la thématique du livre qui verse vers l’ontologie des théories physiques modernes.
L’histoire est celle d’un journaliste, Andrew Worth, qui se trouve plongé dans une intrigue politico-religieuse en se rendant à une conférence célébrant le centième anniversaire de la mort d’Einstein. Nous sommes donc en 2055. A cette conférence doit être présentée une théorie du tout, susceptible d’unifier de manière cohérente l’ensemble des interactions fondamentales, c’est à dire en d’autre terme l’unification de la mécanique quantique et de la relativité, ou encore : le Saint-Graal de la physique moderne. la conférence se tient sur l’île artificielle d’Anarchia (choix discutable du traducteur pour remplacer l’appellation originale Stateless), et souhaite réaliser un portrait de Violet Mosala, jeune théoricienne sud-africaine nobelisée de 29 ans qui est à la pointe de cette nouvelle théorie. Sur place, il va être confronté à différents groupes religieux et politiques qui ont tous une raison ou une autre d’en vouloir à Violet Mosala. Il va se retrouver à devoir la protéger, elle et sa théorie, face à ces groupes hostiles, pendant qu’Anarchia est la cible d’un conglomérat d’industries de biotech. le point central du livre, et peut-être sa difficulté, est cette théorie qui va en devenir une sorte de personnage principal, celui autour duquel vont se cristalliser les délires des uns et des autres. Jusqu’au délire, à prendre au second degré, même de l’auteur car le livre, inhabituellement chez Egan, se finit sur une note d’un optimisme frisant la mystique. Et c’est là finalement le thème central de cet ouvrage : la mystique d’une théorie du tout. On avait bien dit Saint-Graal non ?
Ce monde de la moitié du XXIème siècle décrit par Egan est l’occasion pour lui d’aborder ses thèmes les plus fétiches : les mathématiques et la physique, bien sûr, mais aussi le transhumanisme, l’identité sexuelle, l’anarchisme, le concept politique de libération technologique, les technologies de communication avancée, l’intelligence artificielle, la folie religieuse, la pensée post-moderniste (qu’il critique) en sciences sociales, la propriété intellectuelle à travers le brevetage à tout va des découvertes scientifiques (qu’il honnit), en passant par le culturalisme national australien (qu’il exècre). Comme toujours chez Egan, de nombreux thèmes sont abordés et discutés au cours du roman. Et comme toujours, Egan donne raison à ses critiques, et il est difficile d’aborder les pages dissertant des théories physiques si on ne s’est pas tenus au courant des derniers développements sur la théorie des cordes ou celle de la gravitation quantique à boucles. A défaut, il faudra passer le plus légèrement possible sur quelques (nombreuses) pages de discussion entre les personnages du roman, sachant que c’est un livre avec relativement peu d’action.
Il est à noter que dans L’énigme de l’univers, Greg Egan va assez loin dans le transhumanisme et la redéfinition des genres sexuels puisqu’il invente jusqu’à 5 nouveaux genres, ou migrants sexuels, pour aboutir à un total de 7 : Les ultramâles, les Natmâles (naturel), les submâles, les asexes (neutres mais qui peuvent se décliner en plusieurs tendances), les subfems, les natfems, et les ultrafems. Pour désigner les asexes, Greg Egan invente de nouveaux pronoms neutres, rendant la tâche difficile pour le traducteur qui cette fois-ci s’en sort assez bien en créant le « ille » à partir de la contraction de il et elle. Greg Egan réutilisera cette petite invention dans des écrits postérieurs, comme Diaspora, faisant de l’identité sexuelle redéfinie une de ses marottes.
L’autre aspect caractérisant les écrits d’Egan que l’on trouve dans L’énigme de l’univers, est le côté froid des personnages. Les 100 premières pages du livre sont dédiés à faire la connaissance d’Andew Worth, avant qu’il ne se rende sur Anarchia. ce que l’on apprend sur lui est détaillé et crucial pour la suite, mais n’attendez pas d’Egan de vous arracher des larmes. Son personnage est traité de manière analytique. Andrew Worth est lui-même une personnalité analytique. Il a peu de ressenti, et se fait quitter par sa compagne pour cette même raison. Ce qui importe le plus pour lui est ce que ses personnages font et pensent, leurs croyances, leurs certitudes ou leurs doutes. Pas leurs petites blessures internes. de façon assez caractéristique, et glaciale, Violet Mosala balaye d’une raillerie les questions d’Andrew sur sa mère en début d’interview. C’est un peu la manière trouvée par Egan pour répondre aux critiques à ce sujet. Cela étant dit, c’est avant tout une question de sensibilité. Personnellement, je suis complètement Egan dans son choix. Je n’ai jamais trouvé que ses personnages étaient creux et ce qui m’importe le plus est ce qu’ils pensent et non ce qu’ils pleurent. D’autres vous diront qu’ils sont déshumanisés. A vous de voir.
L’Enigme de L’univers un des très bons romans de Greg Egan, pas le plus accessible, mais qui s’aligne en qualité avec ses nouvelles, généralement plus accessibles car plus courtes. On retrouve d’ailleurs des motifs et des thèmes communs avec les nouvelles publiées la même année dans le recueil Axiomatique (que je ne saurai que trop vous recommander). Alors bien sûr, il ne faut pas avoir peur de la science de haut niveau, ni d’une certaine aridité du style. Mais le voyage en vaut la chandelle. Greg Egan est un génie. Personnellement, c’est un des premiers romans d’Egan que j’ai lus, et qui m’avait beaucoup marqué.
Livre : L’énigme de l’univers
Auteur : Greg Egan
Publication : 2001 (VO 1995)
Langue : Français (traduction de Bernard Sigaud)
Nombre de pages : 512
Format: papier et ebook
Je viens de terminer l’énigme de l’univers et je suis totalement conquis par cette œuvre. C’est le troisième Egan que je lis ( Téranésie et Diaspora) et je crois que je ne vais pas m’arrêter là. Le début est toujours un peu difficile, car il faut se familiariser avec les concepts scientifiques et les replacer dans le contexte de la décennie 90 ou le roman fut écrit. Si la théorie du tout en physique constitue le prétexte, la richesse des autres thèmes abordés est époustouflante. Le point qui m’a le plus gêné est la présentation de l’autisme comme une maladie alors qu’on sait maintenant que c’est un câblage différent du réseau de neurones au moment du développement neurologique. Il y a en fait toute une variété d’autistes dont une des caractéristiques est la déficience dans les relations avec autrui. Il n’y a pas d’autistes volontaires (Einstein par exemple était un autiste asperger ). Andrew, tel que construit, rentre très bien dans la peau d’un autiste de haut niveau. Pour le reste, tous les thèmes abordés sont toujours d’actualité et présentés avec une acuité fantastique. (anarchisme, théorie du genre, biotechnologie…). Je me demande jusqu’à quel point ses personnages principaux se distinguent d’Egan lui-même.
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Je m’étais posé la question sur Egan en lisant ce texte en particulier aussi. On sait qu’il va parfois chercher des éléments autobiographiques pour composer ses nouvelles. Je ne serais donc pas surpris d’apprendre qu’il a basé le personnage d’Andrew sur lui-même.
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