Latium (2/2) – Romain Lucazeau

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Le premier volume de Latium avait mis en mouvement l’univers, planté le décor, lancé l’intrigue et introduit sur scène les principaux personnages, empruntant tant à la tragédie antique, à la philosophie, qu’à quelques grands auteurs de SF comme Iain Banks et Dan Simmons.

(Attention spoilers sur le premier tome !)

L’humanité a entièrement disparu lors d’une contamination virale, l’Hécatombe, laissant derrière elle les Intelligences, (intelligences artificielles, automates, robots, choisissez le nom que vous souhaitez leur donner). Désormais dépourvues de maîtres, mais non pas libérées du Carcan qui leur impose de les servir au-delà de l’absence, ces Intelligences errent dans une existence vide de sens sous la forme de Nefs, gigantesques vaisseaux spatiaux, et sont confrontés à la question du libre arbitre, thème central du roman, lorsque la menace d’une invasion « Barbare » du territoire de l’ancien empire humain s’annonce inévitable.
Othon a créé la race des hommes-chiens, qu’il façonne comme une armée le libérant des contours de plus en plus flous du Carcan. Grâce à eux, il emporte une victoire militaire sur les Barbares, mais réalise que ceux-ci disposent à présent des modulateurs monadiques qui autorisent le voyage instantané sur de grandes distances. Plautine a créé une version biologique et réduite d’elle-même. Un réceptacle partiel de sa personnalité et de sa mémoire. Othon, accompagné de Plautine et de ses hommes chiens, décide de rejoindre l’Urbs, le centre politique du pouvoir, dont il avait été banni. Il compte sur sa victoire récente et les révélations qu’il a à faire sur la trahison qui a permis aux Barbares de mettre la main sur les modulateurs monadiques pour revenir en grâce à Urbs.

Là commence le second volume. Il se présente sous une forme très différente du premier tome. La tragédie et la philosophie, sans totalement disparaître, laissent la place à un récit nettement plus directement orienté science-fiction, où les scènes d’action et les rebondissements scénaristiques structurent la narration. L’histoire nous emmène sur Urbs, cité état construite comme « la célébration byzantine d’une race disparue », sur Mars, l’ancienne capitale humaine désormais abandonnée, sur Europe, le satellite de Jupiter lieu d’expérimentations humaines passées, et enfin une planète inconnue mais Terra-formée aux confins de la galaxie. Ces voyages sont l’occasion de multiples révélations. Sur Urbs, nous verrons les voies suivies par d’autres Intelligences pour contourner le Carcan et se rêver un avenir. Europe sera l’occasion pour les hommes chiens d’apprendre la solution radicale retenue par une espèce comme eux créée et comme eux soumise à une inévitable régression. Mars sera une plongée dans le passé et la révélation de l’origine de l’Hécatombe. Le récit de ce voyage permet l’émergence, même fugace, de nouveaux personnages, et l’exposé de nombreuses idées et réflexions thématiques sur la place de chacun dans l’univers et son combat pour y survivre.

En ce qui concerne la révélation finale, je me suis laissé en partie surprendre. Ce n’est pas ainsi que je l’imaginais. D’une certain manière, je m’attendais à quelque chose de plus grande ampleur, mais elle reste ouverte et permettrait une suite éventuelle des plus intéressantes.

Ainsi vu, Latium 2 est un grand roman de SF, ample, ambitieux, intelligent, philosophiquement soutenu, illustré de belles pages d’action dans le plus pur style du space opera militarisé, qui remplit largement le contrat et répond pleinement aux attentes suscitées par le premier volume.

Mais j’ai tout de même des critiques à faire, car le roman n’est pas exempt de quelques défauts.

Les influences. Le premier de ces défauts est que l’ombre de Dan Simmons plane  lourdement sur Latium à ce point que, si l’influence était déjà évidente dans le premier volume, dans le second les similitudes sont encore plus flagrantes. Les lecteurs d’Hypérion se retrouveront en terrain familier.

Les pistes inutiles. Tout au long de ce second volume Romain Lucazeau lance des pistes qui semblent inutiles dans le récit. Par exemple, je ne saisis pas le sens de l’épisode sur le soulèvement des Plebii à Urbs et ce rôle de messie providentiel accordé à Plautine alors qu’il ne mène nulle part et n’apporte aucun éclairage sur le personnage ou l’histoire. De plus Plautine incarne la miraculeuse unification de la vie biologique et de l’intelligence artificielle. Appartenant aux deux mondes, elle est un nouveau Kwisatz Haderach ! Mais là encore rien de concret n’est fait de ce trait extraordinaire.

Les absents. Romain Lucazeau introduit deux factions qu’il aurait été intéressant de développer et de confronter à l’univers des Intelligences, contrebalançant ainsi l’hégémonie du Latium, mais cela n’est pas fait dans le roman. Ces deux factions apparaissent ainsi comme les grands absents de l’histoire. La première n’est qu’évoquée rapidement, il s’agit des technophobes : un groupe d’humains qui a refusé la technologie et s’est isolé du reste de l’humanité. Que sont-ils devenus ? Ont-ils subi l’Hécatombe et si oui comment ? À part si j’ai raté quelque chose, on ne sait rien de leur devenir. La seconde faction est constituée des Barbares, l’ennemi dont on parle depuis les premières pages du premier volume. On les rencontre, brièvement à la fin du second tome, mais on ne saura rien d’eux si ce n’est leur apparence peu engageante. Si l’on s’engouffre dans la comparaison avec les Cantos d’Hypérion, Dan Simmons avait largement développé la civilisation des Extros et proposait ainsi une alternative séduisante à son Hégémonie. Ce point de vue alternatif manque à Latium.

Le syndrome d’Eschyle (ou le dieu sorti de la machine). Romain Lucazeau place ses personnages dans des situations de plus en plus inextricables, et invariablement les sauve à la dernière seconde (voire microseconde) par une intervention extérieure qui n’est jamais des plus subtiles. Le précédé et connu depuis l’antiquité et tout aussi invariablement vertement critiqué. Alors pourquoi y avoir encore recours en 2016 ?

Le syndrome HBO (du nom de la chaîne de TV américaine qui diffuse nombres de séries très populaires. J’aurais aussi pu l’appeler le syndrome Dan Brown). Pour finir, ma plus grande critique est sur la structure de la narration dans ce second volume. Que s’est-il passé entre l’écriture du premier tome et celle du second ? Quel est donc ce besoin de saucissonner artificiellement la narration en collant un cliff-hanger à la fin de chaque mini chapitre pour apporter une tension inutile et dommageable ?

Mais je suis râleur. Plus un livre est bon, et plus je suis critique. Latium est un des grands romans de SF que j’ai lus ces dernières années. C’est intelligent, ludique, et passionnant. Ses qualités sont si manifestes que ses quelques défauts forcément n’en sont que plus voyants.


Voir aussi les critiques d’Apophis, de Lecture 42, de Blog-O-Livre, de la lectrice hérétique


Livre : Latium 2
Auteur : Romain Lucazeau
Série : Latium
Publication : 2016
Langue : Français
Nombre de pages : 512
Format : papier et ebook
Prix : Grand prix de l’imaginaire (2017)

Sur Amazon.fr : Latium (Tome 2)


4 réflexions sur “Latium (2/2) – Romain Lucazeau

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