Isolation – Greg Egan

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Dans le monde de la SF, il y a peu, voire pas, d’équivalent à Greg Egan. Auteur qui aime à préserver le secret autour de sa personne, et dont on sait juste qu’il est né et réside en Australie, qu’il est diplômé de mathématiques, et qu’il écrit des livres, il est à ma connaissance celui qui a poussé le plus loin le concept de hard science-fiction. Ses ouvrages reposent presque toujours sur les connaissances actuelles les plus poussées en physique, mathématique et biologie, jouant avec les théories, et présupposant que le lecteur possède les connaissances nécessaires pour le suivre. Cela ne lui vaut pas que des éloges et certains de ses critiques avancent qu’il faut au moins un doctorat pour lire ses écrits. C’est bien sûr exagéré, mais il est évident qu’il vaut mieux s’y entendre en sciences dures pour apprécier cet auteur. Lui-même pousse le vice en développant sur son site web dans le détail (jusqu’à leur expression mathématique) les théories qu’il utilise dans ses romans.

Isolation est le premier roman de SF de Greg Egan (paru en 1992 sous le titre Quarantine), et le premier que j’ai lu de lui, après quelques nouvelles, et celui qui m’a convaincu que je tenais là un auteur de science-fiction qui renouvelait radicalement le genre. Enchaînant les lectures, il est rapidement devenu mon auteur de SF préféré.

Isolation est un roman policier « quantique » qui repose essentiellement sur l’interprétation de von Neumann-Wigner de la mécanique quantique selon laquelle, en quelques mots, la conscience provoque la réduction de la fonction d’onde du système observé. Cette interprétation a été largement abandonnée et Greg Egan reconnait l’avoir utilisée dans ce roman pour son intérêt plus ludique que factuel. (Elle n’est pas à confondre avec l’interprétation de Copenhague qui est totalement différente et fait plus largement consensus). Comme souvent dans ses écrits, romans ou nouvelles, Greg Egan choisit un concept scientifique (ici donc l’interprétation de Von-Neumann-Wigner), le développe, et l’explore jusque dans ses conséquences les plus inhabituelles.

Dans Isolation, Nick Stavrianos, ancien policier, enquête sur la disparition de Laura Andrews, une handicapée mentale si sévère qu’a priori rien ne permet d’expliquer qu’on puisse lui en vouloir. Il va être amené à travailler pour une firme privée développant des recherches sur …. la réduction consciente du paquet d’onde. Le procédé repose sur la possibilité, via des implants idoines, d’empêcher la réduction de son propre paquet d’onde. C’est en quelque sorte le contrepoint de sa nouvelle Singleton (qu’on peut lire dans le recueil Océanique) où une intelligence artificielle est forcée dans un état purement classique (avec une fonction d’onde réduite). Le roman va ainsi explorer les conséquences, à petite et grande échelle, de s’échapper de notre monde classique pour explorer les possibilités d’un monde quantique macroscopique ou l’individu serait à même de devenir quantique. A cette occasion, Egan propose un regard original sur la notion de temps. En philosophie occidentale, on considère souvent que seul le présent existe, que le passé nous a échappé et que l’avenir est en construction. Greg Egan renverse les choses en envisageant que c’est l’avenir qui écrit le passé, et que le présent n’est pas tangible.

De nombreux autres thèmes chers à Egan sont aussi abordés dans ce roman : le sort des réfugiés politiques et économiques dans le monde, l’altération des choix dans un monde où les implants neuronaux sont largement utilisés, l’identité personnelle, la folie religieuse, etc…. Et au final le thème qui ressort est celui du libre arbitre. Il y a dans Isolation, un ton, et un final, qui rappellent l’univers de Philip K. Dick.

Isolation est un roman brillant, regorgeant d’idées et d’inventivité, qui par l’écriture et le style parfois aride est caractéristique de Greg Egan. Il ne plaira pas à tout le monde, mais les amateurs de hard SF seront forcément conquis par le vertige occasionné.


D’autres avis de lecteurs : GromovarApophis.


Livre : Isolation
Auteur : Greg Egan
Publication : 2000 (VO 1992)
Langue : Français
Nombre de pages : 320
Format : papier et ebook

Sur Amazon.fr : Isolation


16 réflexions sur “Isolation – Greg Egan

  1. Ce fut également mon premier Egan, et quelle surprise! Totalement d’accord avec ta critique qui résume bien l’idée centrale du récit. J’avais trouvé quelques longueurs sur la fin..

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  2. Une nouvelle fois conquis par Greg Egan. Pour être hard , c’est hard et pas pour tout le monde. Il y a de nombreuses réflexions philosophiques que j’apprécie. La phrase de conclusion est particulièrement pertinente : « tout ce qui en émerge (du sommeil) est toujours normal « . Le portrait de l’auteur a travers ses romans se dessine plus précisément. je crois avoir lu tous les romans traduits en français sauf un, il me reste à m’ attaquer aux nouvelles.

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  3. je viens de finir mon premier roman d’Egan, je crois qu’il était minuit à vik en Islande … une sacrée expérience.

    Même s’il y a de quoi être surpris autant par l’idée central autour de la dualité onde particule, du chat de schrodinger que par une narration multiverse.(C’est je crois mon premier roman de Hard Sf (je ne classe pas fondation ou dune dans cette catégorie, mais c’est très personnel) on ne peut rester indifférent, oui Egan est un auteur à part, profond, exigeant et subtile.

    Je suis un peu nick dans le livre , je suis dans un état quantique où j’aime / j’aime pas sont possibles mais une partie de moi même travaille à faire émerger le waouh que procure ce rayonnement eganien…

    Un regret la forme littéraire qui comme trop souvent en Sf laisse un peu à désirer (À mon goût mais il paraît que Marguerite Yourcenar et Asimov ont failli avoir une relation …. Cette possibilité existe parmi toutes les possibilités)

    à lire lire, à digérer (ça demande un effort mais c’est gratifiant) , à méditer

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    1. En ce qui concerne la forme littéraire, Greg Egan n’est pas un grand styliste. Il a une écriture assez aride et un style fonctionnel. D’autant qu’il s’agit ici de son premier roman !

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  4. c’est mon premier roman d’Egan je suis un peu nouveau dans ce style de lecture, à part Clark ou Asimov lorsque j’étais jeune.

    Que dire de ce roman dont l’intrigue est construit sur un des fondations de la physique moderne. C’est vertigineux à chaque page on a le sentiment de remettre en question la réalité qui entoure notre lecture et notre compréhension, une compréhension qui se ramifie au grès des possibilités…

    Un voyage dans une dimension … inconnue et poétique , la mécanique quantique nous percute (Nick aussi …)

    c’est exigeant, déroutant mais gratifiant !

    il reste après plusieurs jours une longueur digne des grands vins , pour un grand vigneron des zones Australes

    à lire

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