
Roman de medieval fantasy écrit par l’auteur américain Scott Lynch, Les Mensonges de Locke Lamora conte les aventures de Locke Lamora et de sa bande de voleurs, les Salauds Gentilshommes, dans la ville imaginaire de Camorr, librement inspirée d’une Venise du XIVe- XVe siècle.
Les mensonges de Locke Lamora, est le premier tome d’une série qui devra à terme en comporter 7. Les trois premiers tomes (Les mensonges de Locke Lamora 2007, Des horizons rouge sang 2008, et La république des voleurs 2014) ont été traduits en français. Lorsqu’il est publié en 2006, il est aussi le premier roman écrit et publié par Scott Lynch, un nouveau venu dans l’univers de la fantasy. D’une certaine manière, cela marque beaucoup ce roman, j’y reviendrai ci-dessous. Immédiatement, le roman rencontre un énorme succès et est traduit en 18 langues. Il reçoit de nombreux prix, que ce soit aux US, dans le monde et en France. Certaines critiques très positives émanant de personnalités comme G.R.R. Martin aident à propulser le jeune auteur vers la lumière.
J’ai personnellement beaucoup aimé la lecture de ce roman, mais plutôt qu’en faire un énième éloge, et considérant le succès indéniable rencontré par le roman, je préfère relever de manière non exhaustive quelques uns de ses défauts, car il n’en est pas dépourvu, et quelques unes de ses qualités. Je reprends ou contredis ci-dessous certaines des critiques faites par les autres commentateurs.
Le décor : c’est pour moi un des points forts de ce roman, et pour d’autres l’un des points faibles. Dans le roman, la ville de Camorr est amplement décrite, détaillée, sculptée par Scott Lynch. D’autres commentateurs lui reprochent ses longues descriptions jugées artificielles. C’est au contraire pour moi un des points solides du roman. Camorr n’est pas simplement un décor, c’est un des personnages principaux du roman. A ce point qu’on pourrait même se dire que la ville a plus d’épaisseur que nombres de personnages de l’histoire. Lors de ma lecture, les descriptions ne m’ont jamais semblé ni trop longues ni factices mais très justement et habillement distribuée à travers l’histoire dont elles font partie intégrante. Il y a là un véritable talent de l’auteur pour donner vie à la ville, ses habitants, son histoire, ses quartiers, ses guildes et ses traditions. J’ai trouvé cela remarquable.
A ce point, je me dois de faire une comparaison avec le roman Gagner la Guerre de Jean-Philippe Jaworski tant des parallèles peuvent être tracés entre les deux ouvrages. Camorr dans Locke Lamora et Ciudalia dans Gagner la Guerre sont deux villes très semblables, même si le contexte politique est assez différent puisque Ciudalia possède une organisation de type république lorsque Camorr s’inscrit plutôt dans la période pré-renaissance. Mais dans les deux romans la ville est un personnage central de l’histoire et bénéficient de descriptions détaillées et vivantes. Les parallèles entre les deux romans ne s’arrêtent d’ailleurs pas là, mais on peut en retrouver de nombreux.
L’histoire : la mécanique des Mensonges de Locke Lamora repose sur …les mensonges de Locke Lamora et son étonnante capacité à élaborer des arnaques complexes. Locke est un enfant orphelin recueilli par la pègre des voleurs de la ville et longuement éduqué par Maître Chains à devenir une forme très particulière et très développée de voleur : un escroc visant la haute société Camorrienne, qu’il détrousse en usant de son intelligence comme arme. Lui et sa petite bande deviennent ainsi les Salauds Gentilshommes. Structuré en un prologue, 4 livres de 4 chapitres chacun, et un épilogue, le roman ne suit pas une trame linéaire mais deux trames temporelles distinctes. de courts chapitres s’imbriquent dans la trame principale pour remonter quelques années en arrière et fournir un éclairage sur les origines et la formation de la petite bande. Cette structure a semblé perturber certains lecteurs qui préfèrent les récits plus linéaires : un point de vue, un personnage, une histoire. Je la trouve au contraire très enrichissante. Elle fournit une profondeur aux personnages qui ferait défaut au sein d’un simple récit d’action. Elle fournit aussi une raison aux choses. Chacune de ses interventions du passé s’inscrit dans le roman exactement là où il faut qu’elle soit pour éclairer un passage crucial de l’action.
La principale qualité de ce roman, unanimement reconnue par tous, est le nombre et la qualité des rebondissements. L’histoire part toujours dans des directions pour la plupart inattendues. Alors qu’ils mettent sur pied une fabuleuse arnaque (qui donne lieu à de très belles pages du livre), Locke Lamora et sa bande se trouvent plongés au milieu d’une guerre de la pègre qui va secouer la ville. A partir de là plus rien ne se passe comme prévu. Lorsque les plans de Locke Lamora semblent être une mécanique infaillible, tout part de travers, et lorsque l’intelligence devrait prévaloir, cela se finit en explosion de violence. Le roman surprend à chaque détour.
Cela étant dit, l’écriture, malgré le talent indéniable de son auteur, est très marquée par la volonté de Scott Lynch de réussir son premier livre. On peut ainsi honnêtement lui reprocher d’être presque exagérément lecteur-friendly. C’est un roman formaté qui n’échappe pas à certains clichés. Tout y est précisément mesuré : les saillies humoristiques, le sens de la formule dans les dialogues, le juste niveau de cynisme pour rester plaisant, le juste niveau de bons sentiments pour être rassurant, le juste niveau de violence pour être surprenant mais acceptable pour n’importe quel lecteur qui veut un peu frémir. Là encore, je me permets de faire une comparaison avec le roman Gagner la Guerre de Jaworski. Ce dernier dépasse systématiquement et dans les grandes largeurs toutes les limites que se donne Les Mensonges de Locke Lamora. Le cynisme des personnages et du roman atteint un niveau nietzschéen, et la violence, quand violence il y a, est abrutissante. Jaworski n’a aucune indulgence pour le lecteur, là où Lynch fait des concessions pour ne pas trop choquer mais ravir. Il n’y a pas de bons sentiments chez Jaworski. Jamais. Lorsque les personnages de Scott pleurent sur leurs parents et amis disparus, celui de Jaworski, Bevenuto Gesufal, lance « J’en ai rien à foutre de la vieille ».
De même, Scott use à mon avis de manière trop facile de la vengeance comme seule motivation des actions de chacun. Cela fait cliché dans une histoire de pègre italienne, non ? (Jaworski, lui, use de la volonté de pouvoir comme ressort, et balaye le désir de vengeance comme une perte de temps et une erreur politique).
De la magie (car magie il y a comme dans tout bon roman de fantasy). Il s’agit là d’une autre faiblesse du roman. Si comme dans Gagner la Guerre (oui, encore), la magie est sombre, très sombre, sa puissance dans Les Mensonges de Locke Lamora enfle jusqu’à acquérir un côté gros Bill (pour les joueurs de JdR) frisant l’incohérence. Attention gros Spoiler : On se demande bien comment un mage aussi puissant va se faire avoir comme un bleu de la sorte. La fin du roman est un peu précipitée d’ailleurs.
Par contre, une trouvaille du roman que j’ai trouvé très intelligente est l’utilisation de l’alchimie dans cet univers. c’est (jeu de mot) brillant !
Enfin, une dernière critique : les dialogues. Si on pourrait dire qu’ils sont assez souvent truculents, avec un sens de la formule évident, ce qui me gène c’est que tous les personnages parlent de la même manière, quelque soit leur milieu social et leur place dans cette société. Sans allez dans les extrêmes façon Alain Damasio dans La Horde du Contrevent où chacun des 23 personnages possède son propre langage qui le rend immédiatement identifiable, je trouve qu’il y a là une faiblesse dans la construction des personnages et de l’univers de Camorr.
Malgré ces critiques, j’ai adoré lire ce roman qui m’a plongé dans un univers très riche, très réussi et je me suis laissé porté par une histoire inventive et complexe.
D’autres avis : Apophis, Albédo, Au pays des Cave Trolls,
Livre : Les mensonges de Locke Lamora
Série : Les Salauds Gentilshommes (Tome 1)
Auteur : Scott Lynch
Publication : 2007 (VO 2006)
Langue : Français
Nombre de pages : 702
Format : papier et ebook
Sur Amazon.fr : Les Mensonges de Locke Lamora: Les Salauds Gentilshommes, T1
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