Aimer un robot avec Blade Runner – Frédéric Landragin

En ce joli mois de mai 2024, les éditions Dunod lance une nouvelle collection de vulgarisation des sciences à travers la fiction, Les Imaginaires de la science, et dont la lettre d’intention annonce : « La science nourrit des imaginaires qui à leur tour façonnent la manière dont nous nous représentons le monde. À travers une œuvre emblématique de la science-fiction chaque ouvrage de cette collection nous plonge dans la science contemporaine. Exoplanètes et exobiologie, androïdes et intelligence artificielle, voyages interstellaires et trous de vers, génétique et transhumanisme, réchauffement climatique et énergétique… Embarquez pour une exploration au-delà de l’ordinaire, à la découverte du réel ! »  On fera évidement le rapprochement avec la collection Parallaxe créée par Roland Lehoucq et publiée par les éditions Le Bélial’ à partir de 2018 et dont le 11e volume est paru le mois dernier. Le principe est le même, utiliser la science-fiction populaire comme matériau de vulgarisation des connaissances scientifiques, dans un juste retour des choses, puisque l’une se nourrit des autres depuis ses premiers balbutiements littéraires.

Le format proposé par Dunod est un peu différent, plus court avec moins de 200 pages par ouvrages (lorsque les parallaxes dépassent allègrement les 300 pages), et se focalisant sur une unique œuvre de SF par thématique. Pour ce lancement, trois volumes sont à paraître : Rencontrer la vie ailleurs avec Alien d’Arnaud Cassan, astrophysicien à l’Institut d’Astrophysique de Paris et maître de conférence à Sorbonne-Université, Aimer un robot avec Blade Runner de Frédéric Landragin, directeur de recherche au CNRS spécialisé en linguistique et en traitement automatique des langues, et Découvrir le primate en nous avec La planète des singes de Jean-Baptiste de Panafieu, conférencier scientifique et docteur en océanologie.

Cet article est consacré à Aimer un robot avec Blade Runner de Frédéric Landragin, que l’auteur a eu la gentillesse de m’envoyer, et que nous connaissons bien par ici car il est l’auteur de deux volumes parus dans la collection Parallaxe,  Comment parler à un alien (octobre 2018) et Comment parle un robot (juin 2020), et a contribué au volume Dune, exploration scientifique et culturelle d’une planète-univers (octobre 2020). Il a aussi contribué au dossier spécial sur l’intelligence artificielle proposé dans le numéro 113 de janvier 2024 de la revue Bifrost pour l’article « Les langages de l’intelligence artificielle ».

Cet article était une sorte de mise à jour de son ouvrage Comment parle un robot, rendue nécessaire par le développement rapide des IA conversationnelles, et un bref avant-goût d’Aimer un robot avec Blade Runner. En un peu plus de 160 pages, l’auteur s’appuie sur le film Blade Runner de Ridley Scott sorti en 1982, et les personnages des réplicants pour faire un état des connaissances scientifiques actuelles sur l’intelligence artificielle, ou ce que l’on nomme ainsi, en comparaison avec ce qui était projeté dès les années 80 dans la science-fiction.

Votre première réaction, lecteurs fidèles mais néanmoins critiques à qui l’on n’en raconte pas sous prétexte de mise en avant des bouquins des copains, sera porté par l’émotion et le désir de contradiction : pourquoi prendre exemple sur un film de 1982 complètement dépassé sur la question pour exploser les connaissances de 2024, alors que, comme je viens de le dire, celles-ci ont très rapidement évolué ces derniers temps ? Tout d’abord parce que Blade Runner est un chef d’œuvre intemporel du cinéma de science-fiction, mon film préféré comme le nom même de ce blog en atteste, et qu’il était très en avance sur son temps. Ceci est indiscutable. Et d’autre part, parce que la recherche sur l’intelligence artificielle s’appuie sur des théories sur l’intelligence humaine qui ont été développées à travers tout le 20e siècle, voire depuis la fin du 19e. Or si l’intelligence artificielle en science-fiction apparait souvent, si ce n’est toujours, en miroir de l’humain, il s’avère, et Frédéric Landragin le montre bien, que la recherche fondamentale dans le domaine est portée par la même motivation. Je parle bien ici de recherche fondamentale et non des motivations des entreprises privées à visées commerciales.

Aimer un robot avec Blade Runner est avant tout une exploration de l’intelligence, ou plutôt des différents types d’intelligence, dûment expliqués dans l’ouvrage, mais aussi des différentes formes de mémoire et d’émotion, et d’empathie, qui sont l’apanage des humains, mais aussi du règne animal. L’auteur relève ainsi l’immense complexité, voire l’impossibilité pour l’artificiel programmé, ne serait-ce que d’émuler toutes des composantes, sans même parler de les acquérir. Ayant lu les précédents ouvrages de vulgarisation de Frédéric Landragin, il y a certes là des choses que je connaissais déjà, mais tout en restant très abordable dans son discours, Aimer un robot avec Blade Runner ajoute à son propos quelques couches de complexité pour nous montrer qu’on est encore très loin de ce qu’on pourrait appeler une intelligence artificielle, et quelle en sont les raisons.

D’autre part, la lecture de cet ouvrage m’a montré à quel point Blade Runner est un film remarquable, plus encore que je ne le pensais malgré toute l’admiration que j’en avais. En étudiant chacun des réplicants du film dans des chapitres qui leur sont dédiés, Frédéric Landragin souligne la qualité de l’écriture, notamment des dialogues qui permettent de caractériser à partir de critères scientifiques chacun des personnages, leur niveau d’intelligence(s), d’émotion(s), d’empathie(s). Hampton Fancher et David Webb Peoples savaient ce qu’ils faisaient lorsqu’ils ont écrit le scénario. Les fans de Blade Runner trouveront là un essai de haute volée qui ne fera que solidifier leur appréciation pour ce chef d’œuvre.


  • Titre : Aimer un robot avec Blade Runner
  • Auteur : Frédéric Landragin
  • Publication : 15 mai 2024, Dunod, coll. Les imaginaires de la science
  • Nombre de pages : 160
  • Support : papier (15,90 €)

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