Alien Clay – Adrian Tchaikovsky

Imaginez que vous soyez prisonnier politique et condamné aux travaux forcés dans une colonie extrasolaire. Votre chance ? Celle-ci présente des conditions de vie proches de celles de la Terre. Mais alors que vous pensiez débarquer sur la Pandora d’Avatar, vous vous retrouvez dans la Zone X d’Annihilation. C’est ce qui arrive au professeur Arton Daghdev, exobiologiste renommé, dont la rigueur professionnelle l’a amené à tutoyer des idées s’éloignant de l’orthodoxie prônée par le Mandat, soit le régime autoritaire qui gouverne l’humanité et a placé sous tutelle la pensée scientifique et philosophique de l’époque. Bien que non théiste, la ligne directrice de la pensée scientifique du Mandat est une téléologie dans laquelle la finalité intrinsèque est anthropique : l’univers a pour but ultime l’apparition de l’homme dans toute sa perfection, ce qui politiquement lui permet de justifier la place de certains individus tout en haut de l’échelle des pouvoirs. Mais une telle représentation du monde ne résiste pas à l’examen scientifique des faits et quelques intellectuels, comme Daghdev, se croyant protégés par leur statut, se retrouvent un jour aux côtés des agitateurs, syndicalistes et criminels, ennemis de l’ordre social, sur le banc des accusés. Daghdev a certainement été dénoncé, car dans un système comme le Mandat, le zèle à plaire aux maitres permet, à défaut d’attirer les faveurs, au moins d’éviter les coups. Il y a toujours un dénonciateur.

Avec d’autres, dont certains de ses anciens collègues, Arton Daghdev se retrouve déporté sur la planète Kiln qui a la particularité, rare parmi les quelques planètes explorées, de pouvoir supporter la vie. Et la vie elle supporte, avec une exubérance qui échappe à la compréhension des scientifiques. Tout d’abord, ici tout est fondamentalement étranger.  La biologie ne repose pas sur l’ADN ou un équivalent kilnois, mais semble beaucoup plus complexe et adaptive. Ce qui aurait pu être un paradis se révèle être un enfer dont l’hostilité n’a d’égal que la violence avec laquelle il rappelle aux humains qu’ils ne sont ici pas chez eux. Tout contact avec la faune ou la flore (bien qu’aucun de ces termes ne soient appropriés) kilnoise est mortel. De même, bien que sa composition l’autorise, il est hors de question de respirer l’atmosphère de Kiln tant l’air est infesté de microorganismes qui provoquent… de très vilaines choses. Aussi la petite colonie humaine, composée de quelques centaines d’individus dont une grande part de prisonniers, vit sous un dôme à l’atmosphère purifiée, recyle à l’infini ses déchets, et toute sortie exploratoire en combinaison intégrale est suivie d’un protocole de décontamination interne et externe auquel on ne survit pas toujours. Peu importe, la vie humaine dans ce camp de travail n’a que peu de valeur face à l’intérêt que la planète présente pour le Mandat. Car voilà, Kiln possède un mystère, dont la résolution pourrait conforter ou anéantir l’orthodoxie du Mandat. Ce n’est pas la biologie étrangère qui amène ici les hommes mais la découverte de ruines d’un passé lointain, des constructions à l’évidence artificielles, le témoignage d’une intelligence qui a développé des techniques avancées et une écriture. Mais où sont-ils ? Que sont devenus ces habitants de Kiln ? Aucune trace autre de leur présence que ces ruines n’a été découverte et la civilisation kilnoise semble bien s’être volatilisée. La question qui obsède le Mandat est de découvrir s’ils étaient semblables à l’homme, suivant des principes d’évolution convergente, ou plutôt de le prouver à tout prix et en dépit des observations.

Pour les prisonniers, dont Arton Daghdev, la priorité est surtout de survivre à la brutalité du camp de travail et à l’hostilité de la planète. Mais celle-ci a aussi son mot à dire.

Alien Clay est le dernier roman en date d’Adrian Tchaikovsky, qu’on ne présente plus tant il est l’auteur de très nombreux romans à raison remarqués, notamment la trilogie de La Toile du temps. À nouveau, il y expose tout son talent de créateur de mondes. Kiln est une planète fascinante, et si les prémices – prisonniers devant survivre à l’hostilité d’une planète étrangère – ne sont pas originaux (comme c’est souvent le cas chez lui), il y apporte son savoir faire de conteur et une dimension purement hard-SF qui donne toute sa saveur à un worldbuilding très convaincant. Car il s’agit bien de hard-SF comme Tchaikovsky sait parfaitement en écrire. Sans être assommantes au cours du récit, les explications livrées sur la biologie originale de Kiln et son étrangeté sont essentielles à l’histoire et alimentent l’émerveillement que l’on ressent à la lecture du roman. Kiln est bien entendu le personnage principal face à la narration à la première personne de Daghdev. D’autre part, les thématiques abordées, scientifiques et politiques, s’imbriquent implicitement à différents niveaux, comme des strates supplémentaires de compréhension, finement assemblées par l’auteur. Comme à son habitude, Adrian Tchaikovsky ne laisse rien au hasard, tous les recoins sont explorés et utilisés dans le récit. Les révélations et l’évolution (!) de l’arc narratif sont amenées progressivement et le lecteur est amené à comprendre, voire anticiper, la direction prise.

Il y a une part importante d’horreur dans Alien Clay, jusque dans sa conclusion. Comme souvent (voire par exemple Sur la route d’Aldébaran), Adrian Tchaikovsky la mitige d’un humour, un flegme typiquement britannique face aux situations les plus éprouvantes, qu’on pourrait lui reprocher car il crée une distance entre le récit au premier degré et le narrateur/lecteur. On apprécie ou pas, mais cet humour fournit au roman une légèreté qui n’est pas déplaisante, telle une corde de rappel tendue par l’auteur pour ne pas laisser sombrer son lecteur dans des abysses de noirceur. Adrian Tchaikovsky cherche avant tout à distraire.

Adrian Tchaikovsky, j’en ai déjà parlé à de nombreuses reprises sur ce blog, écrit beaucoup. Sa production littéraire est volumineuse et tout n’y est pas égal en qualité mais ses propositions sont riches et diverses au point que chaque lecteur peut y trouver son bonheur, en science-fiction comme en fantasy. Etant pour ma part plus attiré par le volet hard-SF de son œuvre, Alien Clay signe pour moi un grand retour de l’auteur dans le genre. Alien Clay est un très bon roman sur l’altérité, qu’elle soit biologique ou intellectuelle.


  • Titre : Alien Clay
  • Auteur : Adrian Tchaikovsky
  • Publication : 28 mars 2024, Tor
  • Langue : anglais
  • Nombre de pages : 400
  • Support : papier et numérique

8 réflexions sur “Alien Clay – Adrian Tchaikovsky

  1. Adrian Tchaïkovsky oblige, je lirai car j’aime beaucoup sa façon de construire des univers et d’évoquer l’altérité. Ici cette nouvelle planète a l’air encore une fois fascinante de part sa biologie et ses ruines. Si VF il y a, je serai au rendez-vous !

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  2. A propos de planète fascinante et de vie qui échappe à la compréhension humaine, je recommande une série (animée), Scavenger’s Reign

    Des rescapés tentent de survivre sur un monde.
    Ils sont littéralement tombés dans une nature au mieux indiférente mais toujours fondamentalement étrangère.

    avec un bon équilibre contemplation/fascination/action elle est vraiment très bien

    Aimé par 1 personne

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