
Roman court, très court même puisqu’il ne fait qu’une centaine de pages, Entre nos mains est la dernière publication en date d’Élisabeth Vonarburg, aka « la grande dame de la science-fiction québécoise », autrice entre autres de Le Silence de la cité (1981) et Chroniques du pays des mères (1992). Si sur l’Épaule d’Orion on aime le format court, et l’on goûte nouvelles et novella, la brièveté d’Entre nos mains fut source de frustration. Celle-ci tient au fait qu’il s’agit d’un très bon texte de science-fiction, mais qui aurait pu être d’une ampleur autre si l’autrice avait consenti à le développer. Explications…
Tout y est, et plus encore. Le récit se déroule dans un siècle ou deux, dans un univers post-dystopique, après réchauffement climatique, après les grandes marées et la peste SRAS qui ont entrainé la disparition d’une partie de la population mondiale, et surtout après apparition d’un virus à l’origine incertaine — naturelle ou artificielle, nul ne sait — qu’à défaut d’explications on nomme synbiote. Non pas symbiote, qui dirait une origine naturelle, ni nanobiote, qui affirmerait une origine artificielle, mais synbiote doté du préfixe syn— comme dans synthèse. À partir de là, des biohackers s’en sont donné à cœur joie. Nous sommes en plein biopunk. Le synbiote n’affecte pas tout le monde, certains semblent immunisés. La population se divise donc entre réfractaires et modifiés. Mais ceux qu’il affecte, il les transforme, parfois radicalement. En conséquence, la société humaine a explosé et s’est divisée en communautés géographiques, dont les rapports vont de la tolérance à l’hostilité franche. Mais le texte se veut optimiste, et propose un avenir plus lumineux que le passé dont il est issu. (Je note toutefois que les auteurs de science-fiction, et notamment de solarpunk, ont décidément beaucoup de mal à imaginer le salut en dehors de la constitution de communautés qui s’isolent les unes des autres, au risque de verser dans le zadpunk.)
« Tout ce qu’on sait, c’est comment ça fonctionne, les synbiotes. Ou ces virus si on tient pour l’hypothèse hasard. Ou ces nanobiotes si on croit à un acte délibéré de bios. En tout cas, ça tripote allégrement la matériel génétique,… »
Si chez tous les modifiés les mains et les avant-bras se couvrent d’une résille de photophores argentés, les effets les plus profonds sont ceux qu’on ne voit pas. Cela va de sens décuplés — une ouïe améliorée, une sensibilité aux plantes, etc — jusqu’à des modifications avancées, comme chez les Aquas qui sont semi-aquatiques, ou chez les Greens, qui photosynthétisent au prix d’un métabolisme ralenti. Et il y a les Alternes. Eux changent de sexe — pas de genre, mais bien de sexe biologique — par cycle de 5 ans. Ils ne le choisissent pas, ils le subissent. Élisabeth Vonarburg étant Élisabeth Vonarburg, elle en profite pour avoir une réflexion sur le langage et fait un travail sur la grammaire, d’une manière très différente de ce qu’elle proposait dans Chroniques du pays des mères, où la langue était féminisée.
La narratrice est Tamri. Il ou Elle est Alterne. Tamri rencontre Matthew, un très jeune homme venant d’une secte extrémiste de « Pures », et qui a récemment « viré », c’est-à-dire qu’il a exprimé le synbiote. Il est à la recherche de sa sœur, qui a été chassée de sa communauté des années auparavant pour la même raison. En termes de scénario, Entre nos mains est économe. Le récit s’intéresse plus au ressenti des personnages, à leur expérience de la vie, qu’à une action ou à des retournements de situation. C’est le monde ici qui est important, et les personnages qui l’habitent. Élisabeth Vonarburg a fait le choix du point de vue unique, celui de Tamri, de son passé et de ses émotions, dans un texte court qui ne fait qu’effleurer la complexité de l’univers qu’il invoque. Et delà vient le sentiment de frustration, car les différents personnages croisés en chemin ont tous une histoire propre, une épaisseur qui les rend intrigants et intéressants, mais qui n’ont pas le droit à leur récit. Se dessine notamment un antagonisme — tout juste dessiné, malheureusement — entre la vielle génération des modifiés, celle de Tamri, qui a subi le synbiote et ses effets et peine à les accepter, et une nouvelle génération, celle de la sœur de Matthew, qui au contraire les embrasse. Comme il y avait tant à dire et à écrire !
Entre nos mains est un très bon texte de science-fiction, mais il est frustrant, car l’idée centrale — ou plutôt les idées, car elles sont multitude — et la qualité des personnages auraient pu donner lieu à un texte plus long, au format roman, offrant plusieurs récits pour creuser son propos. On devra s’en contenter.
- Titre : Entre nos mains
- Autrice : Élisabeth Vonarburg
- Publication : 15 mai 2025, éditions ALIRE, coll. Le Mitan
- Nombre de pages : 120
- Format : broché (15 €) et numérique (8,99 €)
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