L'épaule d'Orion

(Il y a quelques jours,  je vous proposais mon retour sur le second volet de l’adaptation cinématographique de Dune par Denis Villeneuve. Comme pour le premier volet, j’ai invité Stéphanie Chaptal, journaliste, traductrice, blogueuse et Bene Gesserit, à nous donner son avis sur le film.)

Deux ans et demi plus tard, me voici de nouveau invitée sur ce blog pour vous parler de Dune partie 2 de Denis Villeneuve. (Avertissement : Encore une fois je vais tenter de limiter les spoilers au maximum, mais si vous n’avez pas lu le livre (et que faites-vous ici ?), courez d’abord le lire ou voir le film avant de lire l’avis suivant.)

Vaut-elle le coup d’avoir joué avec le cœur des fans aussi longtemps ? Est-elle respectueuse de l’œuvre de Frank Herbert ? Faisons de suite un TL/DR : si vous êtes fan de Dune, à la question 1 la réponse est « oui, mais… » ; si vous êtes fan de Denis Villeneuve, franchement retournez voir Sicario ou Arrival. Et à la question 2, la réponse est clairement « non pas du tout. » À tel point qu’on se demande quelle astuce va trouver le réalisateur pour adapter Le Messie de Dune à l’écran. Comme je l’avais précisé suite à ma sortie de salle de Dune partie 1, Denis Villeneuve nous livre SA version de l’histoire de Frank Herbert. Quitte à prendre des libertés avec le texte d’origine, bien plus que dans la première partie, et à en changer la fin (en évitant tout de même l’orage final de la version de Lynch, ouf).

Encore une fois, certains personnages passent à la trappe : où sont Harrah et la Shadout Mapes, et le comte Fenring ? Et certains choix ne font aucun sens autre qu’esthétique : la calvitie des Harkonnen, au lieu du roux caractéristique (qui répond aux reflets cuivrés de Jessica, de Alia puis de Leto et Ghanima à partir des Enfants de Dune), le noir et blanc pour les scènes sur Geidi Prime. Soit vous adhérez, soit vous haussez les épaules en vous disant chacun ses goûts.

D’autres choix m’ont paru plus clivants. Faire de Paul Atréides un personnage messianique qui se révélera un désastre pour les Fremen et le reste de l’univers n’est que sous-entendu dans le livre Dune avant d’être clairement énoncé dans Le Messie de Dune puis les autres romans de la saga. Ici, Denis Villeneuve insiste énormément dessus avec une « légèreté » digne d’un film Disney… Les Fremen sont ainsi séparés en rebelles luttant contre l’envahisseur Harkonnen au nord (telle Chani et ses Feydakin), et fondamentalistes religieux ayant pris au pied de la lettre la Missionaria Protectiva des Bene Gesserit au Sud (tel Stilgar avec un Javier Bardem terriblement mal exploité dans le film). Et certains éléments sont amenés avec un manque de finesse criant : « au fait, je sais où sont les ogives nucléaires de la famille, voilà sers-toi » venu de nulle part avec des missiles qui en 10 191 après le Jihad Butlérien semble tirés d’un James Bond période Sean Connery).

Cette absence de subtilité dans le discours, qui fait endosser à cette pauvre Jessica un rôle d’antagoniste assez déplaisant (sans parler du jeu de Rebecca Fergusson toujours aussi peu convaincant à mon goût), m’a particulièrement gênée. Le fait que cela change l’histoire du film en soi non, car comme je l’ai dit, c’est LE Dune de Denis Villeneuve, pas celui que j’ai en tête en lisant les livres, et c’est le jeu. Cela permet aussi de développer le rôle de Chani dans une direction particulièrement intéressante et de laisser à Zendaya et Timothée Chamalet l’occasion de montrer leurs talents, au cas où vous en douteriez par ailleurs. Mais je n’ai pas besoin qu’on me martèle sans cesse l’aspect religieux… Quitte à faire trainer en longueur un film de 2 h 46 min pourtant moins long que la première partie.

Esthétiquement, cette deuxième partie a bien des qualités : Hans Zimmer s’est calmé sur les cymbales (et mes tympans l’en remercient), certaines scènes (les chevauchées de vers, les passages dans le temple, etc.) sont de toute beauté. Mais, comme l’hôte de ces lieux, je regrette une certaine froideur et le manque de « vie » du Sietch Tabr, là où David Lynch avait su restituer un côté organique et odorant dans certains passages. Elle a aussi des défauts défiant la logique. Ainsi dans les deux combats aux couteaux de Feyd-Rautha (Austin Butler), pourquoi ce combattant soi-disant « aguerri » tourne le dos à un adversaire armé en restant à portée de son arme ? Et quand les Fremen se battent contre les contrebandiers puis les Sardaukars, pourquoi se jeter sur eux dans un corps à corps pour les amener au sol (même s’il y a de très belles balayettes et clés de bras à l’écran), alors qu’il serait plus logique de tirer à distance ou, a minima, d’éliminer définitivement l’adversaire d’un coup de krys ?

En sortant de la salle de cinéma, j’ai apprécié le spectacle (malgré quelques longueurs), mais j’avoue avoir préféré la partie 1 et rester sur ma faim pour certains choix de Denis Villeneuve. Ce qui ne m’empêchera pas d’être fidèle au rendez-vous s’il réalise Le Messie de Dune, comme il en a plusieurs fois exprimé l’intention. Et vous ?

Stéphanie Chaptal