La Cité des marches – Robert Jackson Bennett

Avec Les Maîtres enlumineurs sorti en 2021, puis Le Retour du hiérophante en 2022, et enfin Les Terres closes en 2023,  Albin Michel Imaginaire nous avait proposé une trilogie de fantasy de Robert Jackson Bennett dans laquelle la magie servait d’allégorie à la science et les enluminures se comparaient à l’informatique et à l’intelligence artificielle. L’auteur américain se jouait ainsi des codes de la fantasy et de la science-fiction pour alerter sur l’utilisation bonne ou mauvaise qui peut être faite des nouvelles technologies. La maison d’édition publie le 28 février 2024 le premier tome d’une trilogie du même auteur, antérieure à celle des « Maîtres enlumineurs » puisqu’elle a été publiée en VO entre 2014 et 2017.  Pour cette occasion, l’ouvrage est présenté dans une version collector reliée du meilleur effet. C’est une première chez AMI.

La Cité des marches ouvre la trilogie « Les Cités divines ». Si nous sommes à nouveau dans un récit de fantasy épique, Robert Jackson Bennett fait comme à son habitude et échappe aux classifications trop serrées, triture les codes, et insuffle discrètement de la science-fiction dans son univers. Voyez plutôt. Nous quittons le monde médiéval des Maitres enlumineurs et sa cité Tevanne, pour l’univers steampunk de Bulikov, capitale historique du Continent. Les trains à vapeur relient entre elles les cités, les attelages se partagent les rues avec les véhicules à moteur, le gaz alimente les appartements, l’électricité sert au télégraphe et les premiers appareils photos avec leurs flashs crépitants témoignent des événements dans la presse. L’armée dispose de canons à poudre. Bulikov a pourtant perdu de sa superbe et n’est plus que l’ombre de la grande cité qu’elle a été avant la guerre, guerre qu’elle a perdue il y 80 ans. En ce temps-là, le Continent dominait le monde et avait réduit les autres peuples à l’esclavage. Sa force venait de ses dieux, au nombre de six, qui interagissaient avec les mortels, à la manière des dieux grecs, et leur accordaient des miracles (on ne parle ici pas de magie) leur fournissant une puissance inégalable. Mais un jour les esclaves se sont soulevés, et mené par un héro connu sous le nom du Kaj, le peuple alors colonisé de Saypur a renversé le pouvoir du Continent. Le Kaj, muni d’une arme qu’il avait lui-même confectionnée (une sorte de fusil) a abattu un à un les dieux. Les dieux ont disparu du monde et avec eux les miracles. Les dominés sont devenus les dominants, la science et les technologies ont remplacé le divin. La foi est désormais bannie et les lois imposées par le gouvernement de Saypur interdisent jusqu’à la mention des dieux du passé. Le Continent est ainsi privé de son histoire. Dans la cité de Bulikov, cela ne va pas sans quelques tensions, et Efrem Pangyui, historien envoyé à Bulikov par Saypur pour y étudier son passé, est assassiné. Shara Thivani, espionne chevronnée de Saypur, se rend alors à son tour dans la ville pour enquêter sur ce meurtre, accompagnée de son fidèle secrétaire Sigrud, un barbare géant de deux mètres originaire des contrées du nord. Difficile de ne pas y voir un clin d’œil au couple Fafhrd et le Souricier Gris de Fritz Leiber, sous une version steampunk et féminisée.

 Le premier chapitre du livre donne immédiatement le ton, puisqu’il s’ouvre sur un procès : La Cité des marches est une enquête policière se déroulant dans un monde en voie de modernisation. Robert Jackson Bennett oppose science et croyance, présent et passé, conservatisme et modernisme. Le temps que l’auteur installe son univers – le roman prend le temps dans sa première partie – l’enquête de Shara va très vite déraper et le surnaturel va ressurgir dans la cité sous une forme très… lovecraftienne. Là encore, Bennett joue avec les codes et ses influences personnelles. Le monde imaginé par l’auteur présente une grande richesse. Les personnages sont dotés d’une personnalité et d’une histoire qui influe grandement leurs actions et leur devenir. Et le récit n’est pas avare de scènes d’anthologie !

Le fond du propos s’affirme au cours des pages et vise à souligner le rapport que les hommes et les sociétés entretiennent avec le divin et la croyance. Notamment sous la forme de l’émergence d’une faction de fanatique religieux qui tentent de réveiller la gloire passée et rappeler les deux disparus. Les parallèles avec le monde réel sont transparents et Robert Jackson Bennett tient un discours sans concession, assez rare dans ce type de récits de fantasy pour être souligné et apprécié. Et c’est en cela que j’apprécie particulièrement les écrits de Robert Jackson Bennett, ce nouvel opus compris, en ce sens qu’il ne s’arrête jamais à l’exercice de style, ou aux tropes du genre, mais en use pour livrer une réflexion sur notre monde contemporain, sans sacrifier au plaisir du récit héroïque. Dans American Elsewhere, il détruisait le rêve américain à grands coups d’horreurs cosmiques. Dans « les Maîtres enlumineurs », il alertait sur le dévoiement des nouvelles technologies. Dans La Cité des marches, il questionne le rapport au divin. Ce premier tome a un dénouement qui fait qu’il peut être lu sans attendre une suite. Mais, bien sûr, le dernier chapitre nous en promet une qui s’annonce épique. J’espère qu’AMI ne tardera pas trop pour publier le deuxième volet.  

Les lecteurs de la trilogie « les Maîtres enlumineurs » ne seront ni surpris ni dépaysés par La Cité des marches. La démarche est sensiblement la même – mais dans un univers totalement nouveau – à savoir user des ressorts de l’imaginaire pour étudier notre présent. Et c’est une nouvelle fois une grande réussite. J’ai beaucoup aimé.


D’autres avis : Au pays des Cave Trolls, Gromovar,


  • Titre : La Cité des marches
  • Série : Les Cités divines T1
  • Auteur : Robert Jackson Bennett
  • Traduction : Laurent Philibert-Caillat
  • Publication : 28 février 2024, Albin Michel Imaginaire
  • Illustration de couverture : Didier Graffet
  • Nombre de pages : 522
  • Support : papier (27,90 €) et numérique (12,99 €)

7 réflexions sur “La Cité des marches – Robert Jackson Bennett

  1. Avec cet avis franc et direct, tu me donnes encore plus envie de me jeter dessus, si jamais le nom de Bennett n’avait pas suffit. Les questions de croyance m’ont toujours beaucoup intéressées et l’efficacité de l’auteur et sa magie pour créer des histoires enthousiasmantes fera le reste, j’en suis sûre !

    Aimé par 1 personne

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.