La Maison aux pattes de poulet – GennaRose Nethercott

GennaRose Nethercott, nous apprend une succincte biographie, est conteuse, folkloriste, poétesse itinérante qui parfois s’accompagne d’un théâtre d’ombres chinoises pour dire des histoires. Thistlefoot est son premier roman, publié aux Etats-Unis en 2022. On y trouve des contes, un folklore, une forme poétique et un théâtre de marionnettes. Mais surtout, on y lit le devoir de mémoire et de transmission, la raison même des contes, ceux que nous racontait notre grand-mère dans la cuisine alors que le bortsch mijotait sur le four en fonte alimenté au bois jour et nuit. Ce roman nous arrive en France le 31 janvier avec le titre La Maison aux pattes de poulet, sous une traduction d’Anne-Sylvie Homassel (qui d’autre ?), et derrière une couverture réalisée par Anouck Faure pour Albin Michel Imaginaire.

Ce devoir de mémoire, Isaac et sa sœur Bellantine Yaga vont y être confrontés à leurs dépens. Ils sont américains et comme beaucoup petits enfants d’immigrés. Encore enfant, leur grand-mère a fui Kyiv en 1920, échappant à la guerre civile qui a suivi la révolution russe. Jeunes adultes séparés pendant quelques années par la vie, Isaac et Bellantine se retrouvent sur le port de Red Hook à Brooklyn pour y réceptionner un bien que leur aurait laissé leur arrière-grand-mère, une certaine Baba Yaga. Ils y découvrent une maison sur pattes, hantée de souvenirs qui ne leur appartiennent pas mais qui seront leur héritage involontaire. Et avec lui, la mémoire d’un mal profond. Celui-ci prend la forme d’une émanation de mort qui se lance à leurs trousses. Ils vont fuir, emportés par Pied-de-Chardon, la maison aux pattes de poulet.

Ils fuient car c’est la seule chose qu’ils savent faire, ce qu’ils ont toujours fait. Ils ont toujours fui ce qu’ils sont, qui ils sont, et les étranges pouvoirs qu’ils possèdent tous les deux. Isaac a fui le monde et s’est lancé sur les routes, choisissant une vie de hobo à la Kerouac, s’oubliant dans les autres. Car son pouvoir à lui est celui des dopplegangers. Il absorbe les manières, la voix, les traits et les maux d’autrui pour s’y cacher de lui-même. Bellantine a un pouvoir encore plus mystérieux. De ses mains qui s’enflamment, elle peut donner la vie aux choses inanimées, aux poupées de chiffons et bois, aux pierres, et mêmes aux morts. Ce pouvoir l’effraye, elle le trouve monstrueux, et l’a fui en devenant ébéniste pour occuper ces mains terrifiantes. Ce qu’Isaac et Bellantine ne comprennent pas, mais ils devront le découvrir au terme de leur fuite, c’est que leurs pouvoirs sont des pouvoirs de mémoire. Isaac, le doppleganger peut devenir le témoin de la vie des autres. Bellantine, en animant les objets, peut leur donner aussi une voix pour raconter les choses dont ils ont été les témoins immobiles, pour dire l’histoire. Ce sont des pouvoirs de conteurs, avec leur part d’enchantement et de monstruosité, de bien et de mal.

GennaRose Nethercott prévient son lecteur : les contes « sont fluides, changeants, ils peuvent s’adapter à toutes les circonstances qu’ils traversent. Ils changent dans la bouche des conteurs et se font au contour des oreilles des auditeurs. »  L’autrice puise dans le folklore slave et en change les termes pour construire très habilement une mise en abîme qui prend racine au début du XXe siècle, avec comme origine les pogroms perpétrés contre les communautés juives des shtetlech durant la guerre civile russe de 1918 à 1921, et s’étend jusqu’à une Amérique d’aujourd’hui, qui elle aussi traine ses fantômes emportés dans les bagages de générations de migrants. Elle réinterprète le personnage de Baba Yaga, mais aussi les tropes des récits horrifiques modernes comme la maison hantée, ou l’apocalypse zombies. Avec La Maison aux pattes de poulet, GennaRose Nethercott livre un conte contemporain qui dit le devoir de mémoire à travers les générations et la nécessité de continuer à témoigner. C’est fort. Très fort.


D’autres avis : Feygirl, Quoi de neuf sur ma pile, Au Pays des Cave trolls, Weirdaholic, Le Nocher des livres,


  • Titre : La Maison aux pattes de poulet
  • Autrice : GennaRose Nethercott
  • Traduction : Anne-Sylvie Homassel
  • Publication : 31 janvier 204, Albin Michel Imaginaire
  • Couverture : Anouck Faure
  • Nombre de pages : 528
  • Support : papier et numérique

9 réflexions sur “La Maison aux pattes de poulet – GennaRose Nethercott

    1. Moi non plus je n’étais pas intéressé a priori, mais je l’ai pris car la traduction est d’Anne-Sylvie Homassel et je sais d’expérience qu’on a toujours de bonnes surprises avec les romans qu’elle traduit. Et c’est encore une fois le cas.

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