L’Œuf du dragon – Robert Forward

Dans une rare interview donnée chez notre ami Gromovar, Greg Egan affirmait que « le vrai pouvoir de la SF vient de ce qu’elle n’a pas à parler tout le temps de nous. » Voilà qui ne cessera de faire s’émouvoir ceux qui estiment que l’objet de la littérature est et doit être l’humain. Il existe, dans un recoin du genre, une hard-SF dont le point de focalisation n’est pas l’Homme mais la science. Robert Forward, né en 1932 et mort en 2002, est un physicien américain, spécialiste des ondes gravitationnelles et d’ingénierie spatiale. Il est aussi l’auteur d’une dizaine de romans de science-fiction qui revendiquent tous des visées pédagogiques à l’endroit des sciences. Son premier roman est Dragon’s Egg, publié en 1980 et traduit en France sous le titre L’Œuf du dragon en 1984 dans la collection Ailleurs et Demain chez Robert Laffont. Il obtenu le prix Locus du meilleur premier roman en 1981.

Pour écrire ce roman, Robert Forward dit avoir été inspiré d’une part par le roman Mission of Gravity (1954) de Hal Clement dans lequel l’auteur imagine la vie à la surface d’une planète où la gravité varie de 3 fois celle de la Terre à l’équateur jusqu’ à 700 fois à ses pôles ; et d’autre part par une interview de Frank Drake publiée dans le magazine Astronomy en décembre 1973, dans laquelle l’astrophysicien spécialiste de la recherche de vies extraterrestres suggère la possibilité d’une vie à la surface d’une étoile à neutrons.

En 2020, une équipe d’astronomes découvrent l’existence d’une étoile à neutrons se déplaçant selon une trajectoire qui l’amène à passer à seulement 250 unités astronomiques (soit 250 fois la distance Terre-Soleil) de notre système. Saisissant l’opportunité unique de pouvoir étudier de près un tel objet, une expédition scientifique est envoyée à sa rencontre en 2050. Voilà qui rappelle le point de départ d’un autre roman considéré comme l’un des piliers  de la hard-SF, Rendez-vous avec Rama d’Arthur C. Clarke (1973). L’œuf du dragon, nom donné à cette étoile morte, fait ici figure de Big Dumb Object traversant le système solaire et éveillant la curiosité des scientifiques. Notez que l’utilisation de ce trope répond à une obligation de crédibilité scientifique. Des auteurs comme Robert Forward et Arthur C. Clarke savent que l’espace est grand et que la probabilité d’y voyager loin est très faible dans l’état actuel de nos connaissances et de nos technologies. Si on ne peut voyager jusqu’aux mondes extraterrestres, il faut qu’ils viennent à nous. Mais contrairement au Rama du roman de Clarke, et répondant à la suggestion de Drake, l’œuf du dragon n’est pas inhabité. Très rapidement, les scientifiques découvrent qu’une civilisation intelligente, les cheela, s’est développée à sa surface, là où règne une gravité 67 milliards de fois celle de la Terre et un champ magnétique d’un milliard de gauss (environ 0,5 gauss sur Terre). Ces conditions physiques très particulières, et extrêmes s’il en est, ont des conséquences importantes sur les formes de vie qui peuvent s’y développer. La matière à la surface de l’étoile à neutron est dégénérée : elle n’est plus faite d’atomes avec leur cortège électronique et de molécules, mais de noyaux atomiques dans une mer d’électrons libres. La densité et la force des interactions nucléaires fait que si le corps d’un individu cheela est composé d’à peu près autant d’atomes que celui d’un être humain, il fait la taille d’une graine de sésame. De plus, son évolution est un million de fois plus rapide que celle des humains, son espérance de vie n’est que de 45 mn, et pour les humains, les cheelas semblent vivre en accéléré. (Cette distorsion du temps n’est pas due à des effets relativistes comme on le lit parfois dans les recensions sur ce roman. La gravité très forte à la surface de l’étoile au contraire implique que le temps y passe plus lentement.) En quelques jours, les scientifiques terriens vont assister à l’équivalent de milliers d’années d’évolution de la civilisation cheela jusqu’à un final tout à fait réjouissant.

Voilà les bases de l’aventure dans laquelle Robert Forward entraine ses lecteurs. L’essentiel du roman, depuis son premier chapitre qui décrit la formation de l’étoile à neutron il y a 500 000 ans, est consacré à décrire la civilisation cheela. Le point de vue humain n’intervient que très peu, les personnages ne sont pas développés, ils n’ont que des prénoms et des fonctions, et les chapitres qui leur sont consacrés ne servent qu’à expliquer en termes scientifiques les événements qui se déroulent à la surface de l’œuf. Du côté des cheelas, on ne s’intéresse pas vraiment non plus aux individus, car ceux-ci se succèdent trop rapidement les uns les autres et c’est une série de petites histoires individuelles qui composent celle de la grande civilisation. Par nécessité de communication d’un récit compréhensible pour un lecteur humain, les pensées et comportements des cheelas sont anthropomorphisés. Cela fut parfois reproché à l’auteur. Mais il eut été difficile, et sans doute peu pédagogique, de faire autrement.

L’Œuf du dragon est donc un roman sans personnage, qui ne parle pas de l’humain, mais uniquement de science et imagine quelle forme pourrait prendre la vie dans des conditions extrêmes. Robert Forward lui-même reconnait avoir écrit un manuel déguisé sous forme d’un roman. Et c’est malgré tout passionnant. C’est un roman court, quelque 250 pages accompagnées d’un appendice technique qui reprend toutes les bases scientifiques disséminées dans le texte, qui raconte une civilisation en accéléré. Certes, on pourra lui faire maints reproches. Manque de psychologie, sécheresse de l’écriture, c’est-à-dire ceux qui reviennent souvent lorsqu’on parle de hard-SF orientée vers l’exploration scientifique brute. Mais combien de fois dans votre vie aurez-vous l’occasion de vous promener à la surface d’une étoile à neutrons ?

Et bien réjouissez vous, car vous en aurez l’occasion très bientôt car les éditions Mnémos ont choisi de rééditer ce roman le 22 mars 2023, sous une traduction révisée et présentée par Olivier Bérenval. Il est à noter que le texte avait bien besoin d’une révision car l’édition originale est truffée de fautes, de typos, et de choix de traduction maladroits. Un bon nettoyage s’imposait.


D’autres avis : Apophis,


  • Titre : L’Œuf  du dragon
  • Auteur : Robert Forward
  • Publication originale : 1980
  • Publication française : 1984, Robert Laffont, coll. Ailleurs et demain ; 1990, Livre de poche
  • Traduction : Jacques Polanis
  • Nombre de pages : 296
  • Support : papier

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