
Que ce soit en format court ou long, les éditions du Bélial’ ont à cœur de publier aussi bien des textes inédits et des nouveaux auteurs de science-fiction (surtout), de fantasy, fantastique et horreur (un peu), que des textes plus anciens, en se donnant au passage une mission de mémoire. C’est dans cette idée qu’elles ont réédité en juin dernier Body Snatchers, L’Invasion des profanateurs de Jack Finney. Le roman, initialement sérialisé en épisodes en 1954 puis publié en un volume en 1955, a connu quatre adaptations revendiquées au cinéma depuis 1956, et cinq éditions en France. Il est ce qu’on peut qualifier un classique de la SF horrifique.
Bien qu’il ait été actualisé dans les années 70 par son auteur, Body Snatchers est un roman rivé aux années 50. C’est un roman en noir et blanc qui s’apprécie avec le charme suranné d’un épisode de la première saison de The Twilight Zone dans lequel Humphrey Bogart jouerait le premier rôle. Les personnages féminins ne sont pas là pour émettre une opinion, seulement être en détresse, frissonner dans les bras du héros et pleurer sur son épaule, souvent. Mais c’est pour rappeler au héros qu’il faut sauver le monde car, parfois, il oublie. Si l’on passe les stigmates de l’époque et d’un genre qui tire vers le polar, le roman de Finney est une franche réussite d’ambiance. Il adopte, voire met en place, certains des canons du récit d’angoisse à l’américaine, celle des petites villes où l’horreur surgit des sourires plaqués sur le visage impassible de votre voisin. Et comme de principe, s’y dévoile une critique sociétale.
Nous sommes en 1976, dans la petite ville de Mill Valley, qui se trouve dans le comté de Marin (Marine County), au nord de San Francisco, juste de l’autre côté du Golden Gate Bridge. Miles Bennet est un jeune docteur de 28 ans. Il reçoit la visite de Becky, amour d’enfance, qui s’inquiète pour sa cousine Wilma. Cette dernière semble atteinte du délire d’illusion des sosies, ou syndrome de Capgras : elle est persuadée que ses proches ont été remplacés par des doubles en tout point identique. Peu à peu, le même syndrome va se répandre parmi les gens de la petite ville. Tiraillé entre désir de rationaliser les événements et constations des plus troublantes, Miles et Becky (celle qui pleure tout le temps) vont devoir affronter une terrible réalité et tenter de sauver leur peau.
Ficelé comme un scénario hollywoodien, d’où sa relative facilitée d’adaptation à l’écran, le récit est redoutable d’efficacité. Body Snatchers se lit d’une traite, sans pause ou temps mort. Au-delà de la thématique du simulacre (le nom de Philip K. Dick vient évidemment à l’esprit) qui n’est pas nouvelle même en 1955, c’est dans la peinture de la ville de Mill Valley alors que sa population mute que Jack Finney montre le plus de talent. Le semblant de normalité devient terrifiant sous l’effet de la normalisation forcée. C’est l’idée au cœur du roman. Le même schéma a été très efficacement utilisé par Robert Jackson Bennett dans l’excellent American Elsewhere où son auteur poussait loin les curseurs vers l’horreur lovecraftienne ce qui donnait des scènes hallucinantes dans la petite ville de Wink. Jack Finney entraine ici son lecteur dans cette angoisse de la normalisation de la vie américaine dans les années cinquante, ne lui laissant qu’un seul choix : fuir ou être le prochain.
En fin d’ouvrage, Sam Azulys propose une postface des plus éclairantes sur le roman et ses adaptations cinématographiques. Il montre notamment comment selon les époques, les interprétations du roman ont évolué en fonction du message que les différents réalisateurs et producteurs ont souhaité faire passer. L’auteur, lui, n’a toujours revendiqué que le désir de distraire ses lecteurs.
D’autres avis chez Outrelivres, Un dernier livre, Touchez mon blog,
- Titre : Body Snatchers – L’Invasion des profanateurs
- Auteur : Jack Finney
- Edition : 16 juin 2022, Le bélial’
- Traduction : Michel Lebrun
- Illustration de couverture : Aurélien Police
- Nombre de pages : 272
- Format : papier et numérique
Une réflexion sur “Body Snatchers, L’invasion des profanateurs – Jack Finney”