Incident at San Juan Bautista – Ray Nayler

J’écoutais ce matin un podcast réunissant Ken Liu, Tochi Onyebuchi et Ray Nayler. Si l’anglais à l’oral ne vous freine pas, vous pouvez l’écouter ici, la discussion est particulièrement intéressante. Chacun des auteurs invités lit un passage d’un de ses textes, choisi par lui-même. Ray Nayler a choisi de lire quelques lignes d’une nouvelle qu’il a publiée dans Asimov’s en 2018. Il s’agit de Incident at San Juan Bautista, que l’auteur a rendu disponible à la lecture en ligne sur son site. Si j’ai lu de nombreux textes de Ray Nayler, à ce jour je n’en ai chroniqué que quelques-uns.  L’opportunité se présente donc pour moi de vous parler aujourd’hui d’Incident at San Juan Bautista.

Nous sommes à la fin du 19e siècle, en un lieu et une époque de l’histoire nord-américaine passés dans la culture populaire sous le nom de Far Ouest. San Juan Bautista est une petite ville de Californie, quelque part entre Los Angeles et San Francisco. August est allongé sur un lit à l’étage d’un hôtel en compagnie de Madeleine, une prostituée dont il a loué les services la veille au soir. August est un tueur professionnel. Il est là pour remplir un contrat. Dans la première moitié de la nouvelle, il raconte son histoire : celle d’un homme qui a émigré d’Allemagne à dix-sept ans, qui a changé de nom pour devenir dentiste à Brooklyn, puis tueur à gage à Los Angeles à nouveau sous une autre identité. Son histoire est celle d’un jeune homme ordinaire ayant vécu plusieurs vies, aspiré par la violence du pays et de son époque. Dans la seconde moitié, Madeleine lui raconte son histoire à elle.

Par le truchement d’un trope science-fictif, ici très habilement utilisé d’une manière qui n’est pas sans rappeler le roman Palimpseste de Charles Stross, Ray Nayler dresse le portrait critique de son pays, les Etats-Unis, de son passé et de son devenir. L’Ouest américain à la fin du XIXe siècle est l’épitome d’une histoire d’une nation aussi fascinée que rongée par la violence historique de sa fondation, un instant que Madeleine appellera le meilleur du pire. Un moment charnière où l’expression de cette violence est libre et atteint une sorte d’apogée qui s’inscrit dans la culture collective du pays. À nouveau dans ce texte, par le renversement des points de vue qu’autorise la science-fiction, Ray Nayler montre toute la subtilité dont il est capable dans une forme narrative qui force la perspective d’une réflexion sur le présent. Publié il y a 10 ans, ce texte acquiert une nouvelle pertinence face à l’actualité. Car, si en filigrane se dessine la possibilité d’un avenir meilleur, on ne peut qu’en douter au moment où les membres les plus conservateurs de la cour suprême appellent à un retour à ces « valeurs fondatrices ».

C’est bien la science-fiction quand c’est ainsi fait.


Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.