Symposium Inc. – Olivier Caruso

En cette rentrée littéraire, et après un printemps qui a vu la publication d’un hors-série tout à fait exceptionnel (quoi ?), la collection Une Heure-Lumière dédiée aux textes courts chez Le Bélial’ s’enrichit dès le 26 août d’un 33e titre : Symposium Inc. d’Olivier Caruso. C’est aussi le plus long texte publié de l’auteur qui s’était jusqu’ici fait connaitre pour ses nouvelles, dont 5 ont été publiées par le même éditeur dans les pages de la revue Bifrost (n°70, 74, 91, 99, et 103). Avec ses 176 pages, c’est l’un des plus gros petits bouquins de la collection (à poids égal avec Vigilance de Robert Jackson Bennet). C’est dire s’ils doivent l’aimer chez Le Bélial’.

Je commencerai cette chronique en parlant de l’écriture d’Olivier Caruso. Dans Symposium Inc., l’auteur a fait un choix que tout le monde n’appréciera pas. Le récit se fait au présent de l’indicatif. Le style est direct. Les phrases sont courtes et respectent strictement la structure « sujet, verbe, complément ». Rappelons que le même choix stylistique avait valu à Albert Camus les critiques d’André Malraux à la lecture du manuscrit de l’Etranger. Malraux lui conseilla de varier la construction des phrases pour éviter la caricature. Je suis habituellement assez peu regardant sur le style des auteurs de SF, sauf quand cela nuit à la lecture du roman ou qu’au contraire quand il est tellement brillant qu’on ne peut que s’extasier. Dans le cas présent, sans être gêné dans ma lecture, j’ai tiqué. Il y a pourtant une bonne raison d’ordre diégétique à ce choix : Symposium Inc. donne à lire une histoire dans laquelle l’immédiateté est la règle et la prise de recul interdite. Les passions brûlent la raison. Le sujet est déjà froid lorsque les yeux se posent sur le complément. La virgule amène à la condamnation.

Le jour de ses dix-huit ans, Rebecca assassine sauvagement sa mère puis mange son gâteau d’anniversaire. « Aujourd’hui, maman est morte. » Ou hier, elle ne le sait pas puisqu’elle n’a aucun souvenir ni aucune conscience de son geste. Le père de Rebecca n’est autre que le célèbre et très riche neurobiologiste Stéphane Bertrand qui a changé le monde avec la technologie des implants neuronaux qu’il a mis au point. À chacun son implant constagram (NeurotechTM) affichant ses données physiologiques. Dopamine, sérotonine, adrénaline. Commentez, c’est bon pour la santé !

Normalement, si vous avez déjà lu de la science-fiction, tous vos voyants viennent de s’allumer au rouge. Crime inexpliqué, implants… Et si vous avez lu Greg Egan, vous savez où tout cela mène. (Spoiler : pas au paradis.)

La sauvagerie du crime tout comme le profil de la famille promettent un procès des plus médiatiques. Les réseaux sociaux, omniprésents dans le monde futuriste d’Oliver Caruso, ont déjà décidé de la culpabilité de Rebecca et s’excitent à contempler la chute des célébrités. Entre alors en jeu la non moins célèbre avocate Amélie Lua qui va tenter de sauver la jeune fille de la prison à perpétuité en jouant de tous les tours qu’elle possède dans sa manche, et notamment à destination des réseaux sociaux dont elle a elle-même démontré qu’ils décident du verdict avant même passage devant le juge. Pour elle, la solution revient à soulever la question du déterminisme.

(Et pourquoi pas « j’ai eu un rhume, j’ai tué mon voisin » pendant qu’on y est ?)

(89%)

(Bonne à enfermer.)

Autre particularité de l’approche narrative d’Olivier Caruso, l’histoire est contée à trois voix. Celle d’Amélie Lua, dont on découvre qu’elle a un intérêt personnel dans cette affaire, celle de Stéphane Bertrand, qui cache des choses, bien évidemment, et enfin celle des réseaux sociaux. Ceux-ci interviennent très régulièrement dans le récit sous la forme d’inclusion de commentaires placés entre parenthèses.

Le procédé rappelle la voix du coryphée dans le théâtre grec, et notamment l’utilisation qu’en fait Sophocle dans le cycle (on me pardonnera cette appellation très contemporaine) des Labdacides : le coryphée représente la voix du peuple, elle sert d’intermédiaire entre les personnages et les spectateurs, elle juge et condamne, et dirige les passions. Subtil rapprochement d’une tradition antique avec une pratique contemporaine qu’on dénonce si promptement : « Ah les réseaux sociaux… ». L’humain, quoi.

Guy Debord faisait du spectacle le stade achevé du capitalisme dans une société malade (La Société du spectacle, 1969). Cela fait un moment que la science-fiction lui a répondu que non, mon cher, la maladie peut encore progresser et le capitalisme aller beaucoup plus loin. On peut lui livrer nos corps et nos esprits, nos hormones et nos battements de cœur, nos émotions et nos passions. Sans aucune limite, pour le bien commun. C’est cet avenir là que décrit Olivier Caruso dans Symposium Inc. Mais n’y sommes nous pas déjà un peu ?

Si du point de vue des idées pures, Symposium Inc. n’est pas le plus novateur en comparaison avec les écrits d’autres auteurs de SF – on pense notamment à Greg Egan qui fut pionnier dans ce domaine – Olivier Caruso y pousse suffisamment les curseurs pour apporter à la thématique un roman tout à fait convaincant.


D’autres avis : Le Chroniqueur (qui recommande), Gromovar (nettement moins convaincu), Le Maki (qui en redemande),


  • Titre : Symposium Inc.
  • Auteur : Olivier Caruso
  • Collection : Une Heure-Lumière
  • Publication : 26 août 2021, Le Bélial’
  • Nombre de pages : 176
  • Format : papier et numérique

18 réflexions sur “Symposium Inc. – Olivier Caruso

    1. Dans une vie antérieure, j’écrivais des critiques de théâtre. Un soir, j’ai diné avec Farid Paya qui avait mis en scène la tétralogie du Sang des Labdacides (Laïos, Œdipe Roi, Œdipe à Colone et Antigone) au théâtre du Lierre (qui n’existe plus). C’est lui qui avait attiré mon attention sur le rôle joué par le coryphée dans le théâtre antique. Ca m’a marqué.

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  1. Ah! cette question de style me turlupine, je suis un peu plus regardante, même si je parviens à faire abstraction. Pour cela, il faut que le roman m’embarque et que je lise plus, il faut que je vive le roman. AUssi, me voilà, partagée.
    Sur la papier, c’est un UHL, alors…

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  2. Tu fais bien de soulever la question du style qui risque effectivement de me faire tiquer. Mais ton analyse me semble intéressante et la collection UHL reste gage de qualité.
    Belle analyse qui donne envie de découvrir ce titre.

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