Louisiana Breakdown – Lucius Shepard

Au cours de l’année 2021, les éditions Le Bélial’ publieront Le Livre écorné de ma vie de Lucius Shepard dans la collection Une Heure-Lumière, sous une traduction de Jean-Daniel Brèque (traducteur à la retraite qui profite désormais de son temps libre pour pouvoir faire ce qu’il aime, à savoir des traductions) et à qui on doit notamment celles récentes d’Abimagique (2019) et Les Attracteurs de Rose Street (2018) du même auteur, dans la même collection, chez le même éditeur. Je ne cite que ces ouvrages parmi beaucoup d’autres car il s’agit des deux seuls de l’auteur américain que j’avais lus à ce jour. Il m’a donc semblé opportun de combler un peu mes lacunes en me plongeant dans la lecture de Louisiana Breakdown, traduit par Luc-Henry Planchat, et toujours publié chez Le Bélial’.

Louisiana Breakdown est un court roman de moins de 200 pages, s’inscrivant dans ce registre qu’en France nous nommons le fantastique, tout comme Les Attracteurs de Rose Street  et Abimagique. Mais quand le premier nous embarquait dans les rues de Londres et le deuxième dans la banlieue de Seattle, Louisiana Breakdown nous emporte dans la petite ville de Graal en… Louisiane. D’où le titre. Essayez de suivre un peu ! La Louisiane, par son lointain héritage français, sa culture créole, ses bayous et le vaudou, porte en elle les germes de nombreux fantasmes propres à fabriquer mythes et légendes, et constitue un décor idéal pour y planter un récit dans lequel réel et surnaturel cohabitent de façon féconde. Pour un écrivain, l’invocation seule du nom de cette région du Sud des Etats-Unis assure une bonne partie du worldbuilding.

Ceux qui partent de Graal

À la manière de Sean Penn dans le film U-Turn d’Oliver Stone (1997), Jack Mustaine, compositeur originaire de Los Angeles traversant les Etats-Unis depuis la Floride qu’il vient de quitter, tombe en panne de voiture aux abords de la petite ville paumée de Graal. Il est accosté par un shérif véreux et son complice garagiste, tous deux ayant l’intention de plumer l’étranger. Il ne se sort de cette affaire que grâce à l’intervention opportune de Joe Dill, le boss du coin. Jack Mustaine va rester deux jours à Graal, juste le temps de tomber amoureux et de voir sa vie retournée. Nous sommes là dans un schéma ultra-classique et, comme c’est souvent le cas dans ce type de récits, la ville est le personnage principal de l’histoire. Lucius Shepard consacre un premier chapitre introductif et descriptif qui se présente comme un long travelling à travers les rues de la ville. Bienvenue à Graal.

Graal est figée. Ici rien ne bouge. Ici « ce qui est bizarre est normal et ce qui est normal est… ». Graal et ses habitants sont enfermés dans un cycle immuable qui se reproduit depuis des générations. Pour acheter, si ce n’est son bonheur – il n’y a pas de bonheur à Graal – au moins sa persistance, Graal a passé un pacte avec le diable. Tous les 20 ans, le jour de la Saint-Jean, les habitants désignent une jeune fille de la ville, une victime expiatoire. Celle-ci devient alors la Reine du Solstice, la compagne, l’amante, du Bon Homme Gris, l’esprit qui plane sur Graal. C’est une forme de dilemme qui rappelle celui de la nouvelle Ceux qui partent d’Omelas d’Ursula K. Le Guin (par ailleurs traduit pour Le Bélial’ par le même Henry-Luc Planchat).

Aux yeux des habitants de la ville, Jack Mustaine apparait comme l’étranger, l’élément extérieur qui peut changer les choses. Sans qu’on lui demande son avis, c’est le rôle qui lui est donné. Car voilà, Jack débarque à Graal la veille de la Saint-Jean et tombe sous le charme de Vida, l’actuelle Reine du Solstice, qui elle aussi le voit comme le héros qui va la sauver de Graal. Tout est ainsi à Graal, les rôles sont distribués, l’individualité est remplacée par la fonction sur les planches d’un théâtre commun.

Et lorsque le surnaturel s’en mêle, plus que jamais la question est : est-il possible de partir de Graal ?

Si le scénario est classique et reprend les mécanismes de l’horreur de province à l’américaine, le texte est néanmoins une réussite d’ambiance. C’est l’écriture ciselée de Lucius Shepard qui est à l’œuvre pour offrir une peinture vivante de la ville et de ses habitants dont les portraits à petites touches donnent au roman toute sa saveur. Dans un genre très codifié où le surnaturel apparait autant comme le délire collectif d’une population oubliée par le rêve étatsunien et en proie à ses propres mythes, Lucius Shepard apporte son talent et livre un regard désabusé sur le récit nord-américain.


D’autres avis : Nebal, Yozone, RSF blog, Nevertwhere, L’Ours inculte, Blog-O-Livre,


  • Titre : Louisiana Breakdown
  • Auteur : Lucius Shepard
  • Publication : novembre 2007 chez Le Bélial’
  • Traduction : Henry-Luc Planchat
  • Nombre de pages : 192
  • Format : papier et numérique

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