Sintonia – Audrey Pleynet

2354. Venise est une ville-tige, traversée de canaux d’air qu’enjambent les ponts qui relient ses plateformes aériennes. Des siècles de guerres et d’effondrement écologique, mais aussi de développements technologiques, ont façonné un nouveau monde. Les nations ont disparu et l’humanité s’est retranchée dans des cités-états, dans les airs pour les villes tiges, au sol pour les villes bulbes, qui sont autant d’enclos protégeant les populations d’un environnement devenu hostile. Au sein de cette Europe redessinée, la vénérable Venise a su s’imposer comme puissance de premier plan. Elle a survécu grâce à ses guildes et à leur maitrise des nanotechnologies, et en s’arrachant de cette lagune qui voulait l’engloutir pour s’élever dans les airs et devenir la première ville-tige. Avec son aide, chèrement monnayée, d’autres cités ont rapidement suivi son exemple : Londres, Amsterdam… Par manque de moyens ou d’ambition, certaines sont restées au sol, comme Paris qui succombe à petit feu. La place occupée par la Cité des Doges fait d’elle l’échiquier de manœuvres politiques et économiques incessantes. Leur brutalité n’épargne personne.

C’est au cœur de cette Venise aérienne que s’ouvre Sintonia. Lors d’un prologue sanglant, la guilde Sintonia est décimée en une nuit de violence qui voit le massacre de ses combattantes et de ses filles. Toutes sauf… Talia, Azzura, Agnese, et Reyna, quatre sœurs séparées par le drame qui a anéanti leur famille. Le Diapason, ce lien mental qui habituellement les garde toutes en contact, est rompu. Chacune se pense être l’unique survivante et, se sachant menacer, va devoir se cacher, disparaitre dans la cité ou s’enfuir, pour rester en vie. Sintonia raconte le destin de ces quatre femmes au cours des années qui suivent la chute des Sintonia.

Me voici à nouveau dans la position de chroniquer un roman dont j’ai suivi la genèse. Depuis quelques années, je joue le rôle de bêta-lecteur auprès d’Audrey. Elle m’a parlé pour la première fois de sa Venise futuriste et aérienne il y a plus de deux ans. À l’origine de Sintonia, il y a une nouvelle, Diapason, publiée dans l’anthologie Double-je publiée par l’association IMAJN’ÈRE en mai 2023. En quelques pages, la nouvelle racontait la chute de la guilde Sintonia. Les bases de l’univers étaient posées. Audrey savait déjà qu’elle souhaitait revenir dans la ville-tige. Elle m’a fait part de ses idées pour faire grandir ce monde, et j’ai pu suivre le développement de ce qui est devenu une fresque de 400 pages. J’ai lu la toute première version de Sintonia fin 2024.

À partir de là, ce manuscrit initial partait dans les mains de son éditrice, Laetitia Rondeau, et le vrai travail pouvait commencer. Ce roman, dans sa version finale publiée le 4 septembre aux éditions du Bélial’, je le découvre comme chacun. Certes, je connaissais la matière, mais pas la manière. Et je mesure le chemin parcouru.

Ce qui frappe tout d’abord est la qualité du worldbuilding, cette caractérisation du monde dans lequel les personnages se débattent. Il est époustouflant. Déjà présent, mais à moindre degré, dans le premier manuscrit, il est là pleinement abouti. Venise n’est pas un simple décor mais un personnage à part entière, à l’instar de Ciudalia dans le roman Gagner la guerre de Jean-Philippe Jaworski. Si vous avez lu Rossignol, la novella d’Audrey Pleynet qui a remporté le prix des Utopiales en 2023, vous savez que l’autrice crée des univers denses. Le même souci du détail se retrouve dans Sintonia. Une somme importante d’information est livrée progressivement au fil du texte, le plus naturellement possible. Tout est là, cohérent, complet, solide, et chaque question du lecteur trouve tôt ou tard sa réponse. Derrière cette précision, on devine le travail de fond de l’autrice, et peut-être aussi les questions féroces de son éditrice (« Mais comment ça marche ça ? », « Et pourquoi … »).

Puis vient le récit et ses personnages. Quatre sœurs, tueuses professionnelles, une famille décimée, tout indiquerait une n-ième histoire de vengeance. Mais celle imaginée par l’autrice ne se satisfait pas d’un ressort aussi simple. Son sujet est le déterminisme, le rôle attribué à chaque individu par la société, voire par son sang. Talia, Azzura, Agnese, et Reyna suivent des voies différentes, par choix ou par contrainte, et vivent un destin qui leur est propre. Mais tous les personnages, jusqu’aux plus secondaires, font face à cette question d’une manière ou d’une autre. La thématique est développée de multiples façons dans le roman, qui s’intéresse tout autant à la famille, à l’entreprise, à la politique, et aux technologies. À tout ce qui fait le monde moderne.

Enfin, le lecteur découvre que d’autres réalités se cachent sous les masques de la sérénissime et que les enjeux dépassent de loin ce qu’on pouvait imaginer. Dans sa partie finale, le roman prend un virage inattendu mais de ça je ne dirais rien.

Sintonia est le premier roman d’Audrey Pleynet. Si l’autrice s’est déjà fait un nom, notamment grâce aux multiples prix qui ont récompensé ses nouvelles ou novella, il s’agit là d’une nouvelle étape, importante, dans sa vie d’autrice. Je devine qu’elle est attendue, et je ne me fais pas de souci pour elle. Sintonia est un excellent roman de science-fiction qui aura su m’enthousiasmer deux fois, la première à l’état de projet, la seconde à la lecture du livre publié. Il possède à mes yeux toutes les qualités pour séduire à la fois un lectorat de fidèles du genre et convaincre de nouveaux lecteurs. Parce qu’il est tout simplement très bon.


  • Titre : Sintonia
  • Autrice : Audrey Pleynet
  • Publication : 4 septembre 2025, Le Bélial’
  • Illustration de couverture : Aurélien Police
  • Nombres de pages : 416
  • Format : broché (22,90 €) et numérique (12,99 €)

9 réflexions sur “Sintonia – Audrey Pleynet

  1. je l’ai sur mes radars. Mais, je ne sais pas si j’aurais le temps, car, j’ai un programme chargé. Pournat, un roman d’Audrey, je n’ai pas envie d’y passer à côté. J’avais beaucoup aimé Rossignol, le dernier que j’ai lu.

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  2. Je n’ai jamais été déçu par les textes d’Audrey Pleynet. Mon attention avait été attirée par Noosphère et mon intérêt confirmé par le recueil Ellipses. Rossignol témoignait d’une considérable progression dans la construction du récit. Autant dire que j’attendais ce roman avec impatience. Sintonia va au-delà de mes espérances. Le worldbuilding est, comme tu le dis, aussi étonnant que cohérent, les sœurs Sintonia aussi attachantes que différentes. L’évolution d’Agnese fait définitivement basculer ce qui, au départ, prenait l’allure d’une entreprise de vengeance, sur des enjeux purement science-fictionnels. Décidément, il va me falloir changer mes habitudes et délaisser, au moins provisoirement, la SF anglophone.

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