Trystero – Laurent Queyssi

 Auteur d’imaginaire aussi bien que de polars, traducteur entre autres d’Alastair Reynolds et de William Gibson, scénariste de BD, anthologiste, essayiste ou encore directeur d’ouvrages, Laurent Queyssi officie depuis belle lurette dans le domaine des littératures de genre et s’y impose comme un couteau gascon (à défaut d’être suisse) par la diversité de ses activités. De l’auteur, j’avais ici chroniqué la biographie en bande dessinée Phil, une vie de Philip K. Dick qu’il avait scénarisée, ainsi que les polars Correspondant local, et La Nuit était chez elle. Lorsqu’il a annoncé la sortie d’un roman de science-fiction il y a quelques mois sur les réseaux sociaux, je me réjouissais d’avance de cette parution par un auteur apprécié et dans le genre qui motive l’existence de ce blog. Trystero est paru le 10 avril 2024.

Si j’ai lu le roman dès sa sortie, il m’a fallu laisser couler les jours pour écrire cette chronique car Trystero est un roman singulier, projet hybride, qui s’ingénie à cacher pendant longtemps son propos, et ne dévoile ses intentions et son ambition que tardivement. À sa lecture, je fus tout d’abord décontenancé, voire déçu, puis enthousiasmé quand je suis arrivé dans les 50 dernières pages et qu’enfin j’ai compris ce qui jusque-là m’avait échappé. C’est un roman qui m’a perdu puis rattrapé et amplement récompensé dans sa partie finale.

Il me faut expliquer un travers personnel, un biais. Deux tendances m’agacent dans les livres : l’autofiction (ce qui fait que je ne goûte guère la littérature blanche française actuelle) et lorsque la littérature parle de littérature en s’admirant dans le miroir qu’elle a poli pour s’y trouver la plus belle. Or pour Trystero, Laurent Queyssi a choisi la forme d’un guide d’écriture sous la plume d’un auteur vieillissant qui distille ses conseils à la nouvelle génération. Très loin du roman de science-fiction classique que j’attendais. De plus, ces conseils d’écriture n’ont rien de bien révolutionnaires si peu qu’on ait lu quelques ouvrages du genre, puisque Laurent Queyssi s’est – il l’explique sur son site ou en interview – documenté sur le sujet pour en reprendre les termes usuels, voire les concepts éculés.

Mais voilà, au fil des pages, s’insinuent le contexte et l’histoire personnelle de l’auteur imaginaire, un certain Bruno Trinaven – sous les traits duquel on retrouve beaucoup de Laurent Queyssi lui-même de par ses goûts littéraires pour peu qu’on les connaisse. Avec le récit de cette vie dont il est le triste héros, on commence à percevoir non seulement le mordant et une certaine ironie, mais aussi progressivement la pertinence et la subversivité (à ce point que Weirdaholic dans sa chronique y voit une œuvre punk).

Bruno Trinaven a atteint l’âge de soixante-cinq ans lorsqu’il prend la plume. Il sort tout juste de prison et se trouve désormais en résidence surveillée. Il fut un auteur à succès. Mais son œuvre lui a échappé et, malgré lui, le symbole qu’il avait créé pour l’un de ses personnages a été repris comme signe de ralliement par la résistance politique underground – à la manière de V pour Vendetta d’Alan Moore auquel Laurent Queyssi a consacré un guide de lecture. L’époque est à la surveillance généralisée, à base d’implants invasifs, dans un régime autoritaire à l’échelle européenne, une dictature qui tente de ne pas apparaître comme telle. Ainsi le guide d’écriture de Bruno Trinaven, se transforme au fil des pages en manuel du résistant, un appel à se saisir d’armes telles que la plume pour instiller le venin de l’esprit critique dans les rouages de la machine politique qui broie les individus. Tout cela sans avoir l’air de le dire, et c’est là que le roman de Laurent Queyssi acquiert tout son sens et dévoile son ambition.

Déconcertant dans un premier temps par sa forme, Trystero est un fort beau roman qui se révèle au fil de la lecture. C’est un pari gagnant pour l’auteur qui a choisi de ne pas suivre un chemin trop immédiat et évident, mais d’adopter un regard de travers aussi métatextuel que justifié par la diégèse du roman. C’est finement construit et très réussi.


D’autres avis : Le Nocher des livres, Weirdaholic, Navigatrice de l’imaginaire,


  • Titre : Trystero
  • Auteur : Laurent Queyssi
  • Parution : 10 avril 2024, édition Mnémos, label Mu
  • Nombre de pages : 192
  • Support : papier (19€) et numérique (9,99€)

7 réflexions sur “Trystero – Laurent Queyssi

    1. Il ne s’agit pas de racialisation, « littérature blanche » est le nom générique donné à la littérature hors genre, soit la littérature généraliste. Ça n’a rien à voir avec la couleur de peau de l’auteur. Le nom « blanche » vient de la « collection blanche » qui est la collection de littérature française chez Gallimard. On parle ainsi de « littérature blanche » par otonomase, tout comme on dit « frigidaire ».

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  1. Cher FeydRautha,

    J’ai un souci : ma pile à lire augmente plus vite que mon temps de lecture et cette dernière chronique risque fort d’amplifier le phénomène. Pire, le dernier Bifrost est aussi sur la pile. Je sais, c’est impardonnable… Que faire ?

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  2. Entièrement d’accord concernant l’autofiction. C’est une des plaies de la littérature actuelle où les auteurs se prennent pour Narcisse et croient raconter une situation originale, de plus généralement pas intéressante.

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