Sauvage – Joan Mickelson

De l’imprudence de trainer du côté de Nantes alors que s’y jouent les Utopiales… Sauvage de Joan Mickelson est un livre qu’a priori je n’aurais pas lu si je n’avais été mis au défi de le faire par son éditrice, croisée aux Utos. Enfin, croisée… je fus pourchassé jusqu’au fond des bars bois, tel un animal traqué lors d’une chasse à courre, parce que je me suis rendu coupable d’une critique un peu verte sur le dernier roman d’un auteur dont, par ailleurs, j’avais beaucoup aimé d’autres livres mais moins celui-là. Les attentes déçues, etc. Si j’ai échappé à la curée, je suis reparti avec un bouquin qu’il me fallait absolument lire, d’après Brigitte Leblanc.

Brigitte Leblanc dirige Le Rayon Imaginaire, label lancé chez Hachette Heroes en octobre 2021. La collection est reconnaissable à ses élégantes mais très neutres – c’est à dire rassurantes pour un lectorat peu coutumier des littératures de l’imaginaire qui aiment afficher ses vaisseaux spatiaux et ses dragons en couleur – couvertures blanches ornées de décors au fer à dorer. Elle compte aujourd’hui une quinzaine de titres à travers lesquels il m’est encore difficile de distinguer une ligne éditoriale qui s’affirmerait au-delà des goûts personnels de sa directrice, entre fantasy et science-fiction, réédition de titres anciens et nouveautés. J’en ai aimé certains (Analog/Virtuel de Lavanya Lakshminarayan), d’autres me sont tombés des mains (Le Programme Lazare de Brice Reveney).

Joan Mickelson est américaine, même si de mère française. Elle vit dans un environnement isolé, les Catskill, une chaîne de montagnes de moyenne élévation paumée entre Albany et New York. Tout ceci a son importance. Tout d’abord parce que lorsque Brigitte Leblanc lui a proposé de publier son premier livre, écrit dans sa langue natale, l’anglais, Joan Mickelson s’est dit qu’elle allait le réécrire en français. Je connais peu d’auteurs capables d’en faire autant. Le résultat est pour le moins époustouflant puisque Sauvage est un des textes en français les mieux écrits que j’ai lus cette année. Tout simplement. Alors que j’ai lu des textes d’auteurs français publiés et encensés bien que franchement illisibles.

« Le destin distribue les cartes puis s’endort avec, aux lèvres, un sourire d’ivrogne. »

Sauvage est deux. Le livre possède deux couvertures, sur le recto et le verso, inversées, et deux histoires qu’on lit en retournant le livre. Il s’agit de deux portraits, deux vies, Elle et Lui. Je vous conseille de commencer par Lui. Son histoire à Elle est plus complexe et l’on appréhende mieux sa singularité si on a côtoyé Lui au préalable. Lui est citadin, new yorkais. C’est un self-made man à l’américaine. C’est aussi un renard. Non, pas vraiment, mais peut-être quand même. Tout dépend de comment il se voit, ou comment les autres le regardent. Nous sommes ici dans la subtilité du récit fantastique, et non dans l’évidence un peu grossière de l’urban fantasy. Rien ne se dévoile jamais complètement, c’est affaire de perception. Sauvage est un roman adulte. Différent, pourtant entouré d’humains amis, Lui souffre de solitude. Tout comme Elle. Elle a connu l’orphelinat, la pauvreté, la faim, la violence et l’internement. Elle est le renard sauvage parcourant les Catskill que Lui n’a jamais pu être dans l’enceinte la ville. Leurs récits se rejoindront. Au centre du livre.

« Le loup, disait-elle, c’est celui qui nous observe ; celui qui nous attend, celui qui voit clair en nous. Et tu sais pourquoi ? Parce que c’est ce que nous pouvons devenir si nous n’y prenons garde. Le loup : expression ultime de notre rage. La fureur, la douleur, ce qui sort de l’âme quand on la blesse ou qu’on la presse trop fort… »

Joan Mickelson pénètre au cœur des mythes ancestraux qui, dans toutes les civilisations, ont associé à une forme animale la part sauvage qui hurle en chaque humain lorsqu’il affronte un monde aliénant. S’il n’y a là rien de fondamentalement original, elle en tire un récit contemporain, dans lequel on croise des figures culturelles qui fondent le mythe moderne américain comme Walt Whitman mais aussi et surtout des figures féminines, de Zelda Fitzgerald à Patti Smith, et écrit une histoire de l’Amérique d’aujourd’hui à travers deux êtres qui ont longuement vécu et finissent par se trouver.

Sauvage est un roman d’une grande élégance, porté par une écriture fine et maitrisée, poétique et aussi moderne qu’elle est ancrée dans ses racines littéraires. Faut-il absolument lire Sauvage ? Il ne faut évidemment jamais écouter les belles paroles des éditeurs, mais parfois on peut se retrouver avec un très bon texte entre les mains. Sauvage est un des beaux romans que j’ai lus cette année.


  • Titre : Sauvage
  • Autrice : Joan Mickelson
  • Traduction : Joan Mickelson
  • Publication : 4 octobre 2023, Hachette Heroes, coll. Le Rayon Imaginaire
  • Nombre de pages : 352
  • Format : papier (23€) et numérique (15,99€)

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