
Comme le fait aussi en France la revue Bifrost, le magazine américain Asimov’s science fiction organise un vote auprès de ses lecteurs pour élire les meilleurs textes publiés dans ses pages chaque année. Après le premier tour, le magazine rend accessible, en ligne et gratuitement, le top 5 des textes dans chacune des catégories : novella, novellettes, nouvelles et poèmes. Vous pouvez les lire à cette adresse. Asimov’s fonctionnant par abonnement, il n’y a habituellement pas d’intérêt à ce que je vous parle des textes qui y sont publiés, sauf en cette occasion où ils deviennent accessibles à tous. C’est le cas de Solidity, un texte publié dans le numéro de septembre/octobre 2022 et signé par le maître de la hard-SF et chouchou de ce blog, Greg Egan.
Futur proche, dès demain. Omar, fils d’immigré tunisien, s’ennuie en cours de géographie au lycée, contemple les nuages qui s’accumulent au dehors et pique du nez. Lorsqu’il revient au présent, le professeur a changé et le tableau s’est couvert de géométrie. L’ensemble de la classe s’interrompt. Ce n’est pas lui, Omar, mais la réalité qui a sursauté. Autour de lui, il ne reconnait personne. Si les lieux, l’école, les rues, la ville sont les mêmes, les personnes sont différentes, inconnues. Et cela vaut pour tout un chacun. Ils viennent tous de glisser dans une réalité alternative, qui plus est instable.
Solidity est une nouvelle sur la résilience et croise plusieurs thématiques chères à Greg Egan : les univers parallèles et la mécanique quantique (sans jamais les nommer directement) et, de manière allégorique, l’expérience vécue par les réfugiés. Omar découvre rapidement qu’il suffit de tourner le regard pour que la réalité change à nouveau. Les gens apparaissent et disparaissent au hasard, remplacés par d’autres tout aussi perdus que lui. La famille, les amis, les simples connaissances de quartier, le gouvernement, toutes les relations sont coupées et sont à réinventer perpétuellement. Cela s’accompagne d’une perte de repères, de sens, et de valeurs sociales. Pour faire face humainement à cette situation de déracinement totale – chacun est devenu un réfugié permanent – et éviter que l’idée même de civilisation ne s’effondre, il va falloir s’organiser, expérimenter avec une réalité changeante et tenter d’inventer une solidarité d’un nouveau genre pour redonner au monde un semblant de solidité. (Le texte joue explicitement sur la proximité des mots solidarité et solidité).
Greg Egan fait ici ce qu’il fait le mieux dans ses nouvelles : il se saisit d’une idée tirée des théories scientifiques avancées et la transporte dans notre réalité tangible pour altérer notre observation du monde. Le texte est court mais emporte son lot de bizarreries extraordinaires qui rendent sa lecture trépidante. Comme souvent chez Greg Egan, la fin reste ouverte, privant le lecteur d’une chute trop facile, mais l’auteur prend soin de proposer une voie suffisamment explicite pour être entièrement satisfaisante sans qu’il n’y ait rien à ajouter de plus. Hautement recommandable si vous lisez l’anglais.
Ou alors attendre que Le Bélial nous le traduise… (en même temps ce n’est pas comme si j’avais depuis 6 mois Axiomatique dans ma liseuse et presque autant La Cité des Permutants en attente d’achat !) Et je ne parle pas de Diaspora qui m’effraie un peu !
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Je n’ai pas encore lu Solidity (un des objectifs des prochains jours), mais j’ai lu deux autres récits qui sont accessibles grâce au lien que tu as fourni:
– Falling Off the Edge of the World, novelette de Suzanne Palmer. Ça commence comme de la SF de routine : une collision ne laisse que deux survivants à bord de l’épave mais ils sont séparés par un gouffre infranchissable, tout en pouvant communiquer. Ils se soutiennent mutuellement pour survivre en attendant les secours qui arrivent presque trente ans plus tard. Et là… surprise, et tout se présente sous un angle neuf ;
– The Empty, nouvelle de Ray Nayler. Pas de Protectorat d’Istanbul, cette fois, pour cette histoire d’une femme qui pilote à distance des camions dans un monde où le chômage place les salariés dans une situation d’extrême précarité et qui va confronter Sal à un dilemme moral.
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Pas encore lu le Palmer, mais j’y compte bien. Mais j’ai lu The Empty de Nayler il y a quelques mois déjà (il me l’avait envoyé) et c’est une nouvelle que j’ai trouvée très bien et très différentes de ses autres textes.
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Merci, chère Constellation qui nous permet de repérer de bien beau objet cosmique avant qu’il n’arrive sur nos terres. Je vais lire cette novella… dès que j’ai terminé Eversion.
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