Immobilité – Brian Evenson

Malgré une activité littéraire ininterrompue de l’auteur, il faut remonter à 2012, avec Baby Leg publié au Cherche Midi, pour trouver le dernier roman traduit en langue française de Brian Evenson. L’éditeur a aussi publié deux recueils de nouvelles La Langue D’Altmann et Un Rapport, respectivement en 2014 et 2017. L’auteur américain revient dans l’actualité chez nous avec ce mois-ci deux sorties : Immobilité, un roman de 272 pages publié dans la jeune collection Rivages/Imaginaire chez Rivages, et L’Antre, une novella de 110 pages, publiée chez Quidam. Incidemment, ces deux textes ont beaucoup en commun, et forment un diptyque. Etant publiés séparément par deux éditeurs différents, je scinde ma recension en deux chroniques distinctes. Je commencerai par vous parler d’Immobilité, qui est l’un des romans les plus déprimants que j’ai lus récemment.

Nous sommes dans un (no-) futur indéterminé et plus rien, ou si peu, vit encore à la surface de la planète transformée en champ de ruines stérile.  Le ciel, la terre et les eaux sont morts. Le taux de radiation présent dans l’air tue qui s’aventurerait au dehors en quelques heures, à moins qu’il ne soit protégé par une combinaison intégrale lui permettant de prolonger sa vie de…. quelques heures tout au plus. Quelques communautés humaines d’une poignée d’individus ont survécu, retranchées dans des ruines enterrées, ne sortant que lorsque la plus grande des nécessités s’impose. Josef Horkaï s’éveille, sorti d’un stockage cryogénique qui aura duré 30 ans, lui dit-on. Josef Horkaï n’a aucun souvenir de sa vie passée, ni du monde dans lequel il revient à la conscience.

Brian Evenson use de deux tropes dont la facilité comme argument romanesque habituellement m’exaspère : la Terre ravagée post-apocalyptique et le protagoniste amnésique. Mais l’auteur en fait fort bon usage. L’un et l’autre ont pour but de produire le dépouillement, la mise à nu de l’homme. Nous sommes sur une scène de théâtre entièrement vide, dont l’équivalent cinématographique serait – à plus d’un titre – Dogville de Lars von Trier (2003). Brian Evenson tend à l’épure. À ce dépouillement de faits, Brian Evenson adosse le froid et la rigueur d’un récit émacié et le minimalisme d’une écriture resserrée dans laquelle chaque mot porte le poids que lui confère sa rareté. La phrase se fait scalpel et dissèque, tranche et retire, pour ne laisser que l’os, révélant la profondeur de l’abîme.  Que reste-t-il d’un individu quand on lui a tout pris ? Comment se définit l’humain sans les béquilles de la civilisation, en l’absence de passé et d’avenir ? C’est la question que pose Brian Evenson dans ce roman qui n’est autre que la quête d’identité et de sens d’Horkaï, et à travers lui de l’humain.

«  Que sommes-nous alors ? 

– Nous sommes, tout simplement. Pourquoi n’est-ce jamais suffisant ? »

Horkaï, paraplégique, se voit confier une mission par la petite communauté qui l’a éveillé. Elle sera compliquée par le fait qu’il est paraplégique, mais il est aussi le seul, ou plutôt l’un des seuls, qui peut survivre aux radiations. En chemin, il rencontrera d’autres comme lui. Des frères ? L’homme est un loup pour l’homme et lorsque même les loups ont disparu il ne reste que la pourriture. Sans surprise, le personnage le plus sympathique qu’il rencontrera est aussi le plus nihiliste. Un spectateur qui choisit de se retirer du problème en embrassant l’indifférence. Evenson n’aime pas l’homme.

« Nous disons non à la torture, et nous trouvons une raison pour torturer au nom de la démocratie. Nous disons non à des milliers de morts par l’explosion d’une seule bombe sur une ville étrangère sans défense, puis nous recommençons avec des milliers de bombes cette fois-ci. Nous disons non à des millions de morts dans des camps d’extermination, puis nous revenons à la charge, avec des millions de morts dans des goulags. L’homme est un poison. Peut-être vaudrait-il mieux que nous n’existions pas du tout. »

Le chemin d’Horkaï lui imposera des choix à faire, des décisions à prendre sans qu’il ne possède les arguments nécessaires et suffisants. Pour cela, il lui faudrait démêler le vrai du faux dans un contexte où le vrai et le faux ne signifient plus rien. La férocité du mensonge qu’est l’humanité ne trouve pour équivalent que les atrocités que celle-ci est capable de commettre au nom de constructions et de croyances qui jamais ne parviennent à combler le vide ou à cacher l’inéluctable. Il le découvre, ils le savent, tout le monde sait, et continue à se mentir.  Puis, à la fin, on recommence. Le dernier chapitre creuse un trou au fond de l’abîme.

Vous voilà prévenus. Immobilité est d’une noirceur sans retour. Mais c’est brillant.


D’autres avis : Gromovar, Le Nocher des livres, Le Maki, Le Dragon galactique,


  • Titre : Immobilité
  • Auteur : Brian Evenson
  • Publication originale : 2012, anglais [US]
  • Edition française : 4 janvier 2023, Rivages, coll. Rivages/Imaginaire
  • Traduction : Jonathan Baillehache
  • Nombre de pages : 272
  • Support : papier et numérique

16 réflexions sur “Immobilité – Brian Evenson

  1. « Nous sommes sur une scène de théâtre entièrement vide, dont l’équivalent cinématographique serait – à plus d’un titre – Dogville de Lars von Trier (2003). »
    oui d’accord mais as tu la 3eme dédicace ?

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