
Le 28 avril, soit dans une semaine, sortira le numéro 106 de la revue Bifrost. Il est consacré à l’écrivain de science-fiction Kim Stanley Robinson qui s’impose à la fois comme l’un des grands noms du courant hard-SF pour l’approche scientifique rigoureuse à l’extrême des phénomènes et techniques qu’il décrit dans ses romans – que ce soit dans le domaine de la physique, de la chimie, de la biologie ou de la géologie – mais aussi du courant dit de la fiction climatique puisqu’il s’agit là de la thématique qui structure quasiment l’ensemble de son œuvre – au point d’en être véritablement le chef de file – ainsi que, par inclinaison politique et humaniste, l’un des rares écrivains à encore penser l’utopie. J’ai, à ma mesure, participé à ce numéro de Bifrost en proposant un article sur la trilogie martienne pour laquelle l’auteur a acquis une renommée mondiale. Dans la foulée, Charlotte Volper qui dirige la collection « science-fiction » chez Pocket a eu la gentillesse et la bonne idée de m’envoyer la réédition du roman SOS Antarctica parue en janvier 2022, me donnant ainsi l’occasion de lire cet énorme pavé de 768 pages.
Le roman a été publié en langue originale sous le titre Antarctica, Inc en 1997, soit un an seulement après la parution de Mars la bleue, dernier volume de la trilogie martienne. Il est important de le souligner car les liens que l’on peut tirer entre la trilogie et SOS Antarctica sont si nombreux, et forts, que le lecteur qui aura parcouru les deux œuvres ne pourra s’empêcher de voir dans la seconde une transposition intégrale depuis la planète rouge vers le continent blanc de l’ensemble des thématiques déjà abordées par l’auteur. Dans la trilogie martienne, Kim Stanley Robinson (KSR) décrit la colonisation de Mars suivie de tous les problèmes techniques, économiques, politiques et humains qui vont apparaitre le temps de sa terraformation. Le récit est fait à travers un ensemble de personnages représentant différents intérêts et courants de pensée. Les trois livres comportent de très nombreuses descriptions des paysages martiens et de leur évolution, de très nombreuses descriptions scientifiques, ainsi que de très nombreuses discussions politiques, pour amener au terme de la trilogie à la constitution d’une utopie. Et c’est grandiose.
C’est très exactement la même partition que rejoue KSR dans SOS Antarctica, mais cette fois-ci sur Terre, au pôle Sud. Nous sommes au début du XXIe siècle, et la Terre commence à subir les effets du réchauffement climatique et de l’épuisement des ressources fossiles. Le traité international faisant de l’antarctique une zone protégée depuis 1961 – la mettant à l’abri de la convoitise des compagnies privées qu’elles œuvrent dans le domaine minier, énergétique ou touristique, pour en faire le territoire privilégié de la recherche scientifique – peine à être renouvelé devant l’insistance des lobbys. Déjà les foreuses des pays du sud entrent en action, tandis que les instances scientifiques décident d’organiser elles-mêmes l’activité touristique, à travers des excursions de type « sur les traces de…. » pour les amateurs d’expériences extrêmes, afin de couper l’herbe sous le pied des opérateurs moins scrupuleux et respectueux de l’environnement. Le roman débute alors qu’une mystérieuse organisation lance une série de sabotages écologiques, « écotages », sur le continent. C’est dans ce paysage que vont se croiser Val, une guide de haute montagne dopée à l’adrénaline, Wade, l’assistant d’un sénateur démocrate venu là de Washington contre son gré, X, un technicien paumé et amoureux malheureux, et Ta Shu, un poète chinois adepte de l’aphorisme obscur, ainsi que toute une panoplie de personnages secondaires. Comme dans la trilogie martienne, le parcours des uns et des autres forme le récit de l’évolution du continent face aux tensions auxquelles il se trouve soumis. Sur Mars, les « rouges » défendaient une vision radicale de la préservation de la planète face à sa terraformation. Ce rôle est joué par les « naturels » en Antarctique. L’enjeu est écologique et au long des pages se dessine une utopie antarctique à l’image de l’utopie martienne qui concluait la trilogie.
SOS Antarctica est un roman typiquement robinsonnien jusque dans ses excès. Il faudra aimer les longues descriptions, les considérations géologiques, et les palabres politiques. On y lit de très belles pages sur le continent antarctique et son histoire, ou l’histoire des hommes qui ont participé à sa découverte. Je ne doute pas que des lecteurs le trouveront long – il l’est – ennuyant par son manque d’action – ce n’est pas son fort – mais si l’on accepte le prix à payer, c’est aussi un formidable roman par son ambition de déclarer possible l’utopie sociale et écologique, mission dont l’auteur s’est investi, depuis ses premiers jusqu’à son tout dernier roman, l’indispensable The Ministry for the Future. Ce n’est sans doute pas le roman de KSR par lequel il faut commencer pour approcher l’auteur, on risquerait de ne pas y revenir. Mais déjà plongé dans son œuvre, le lecteur plus habitué sera en terrain connu et trouvera plaisir à saisir la pertinence de la pensée de l’auteur, qui encore ici se manifeste à travers un radicalisme empreint d’un incurable optimisme qui a de quoi surprendre au sein d’un genre qui bien souvent se contente de regarder passer les catastrophes.
Je me permets de finir sur une remarque concernant la traduction. Elle est malheureusement à plus d’une occasion défaillante et le roman bénéficierait grandement d’une sérieuse révision.
- Titre : SOS Antarctica
- Auteur : Kim Stanley Robinson
- Traduction : Dominique Haas
- Publication : 13 janvier 2022, coll. « science-fiction », Pocket
- Nombre de pages : 768
- Format : papier et numérique