Arcane – une série d’animation

J’ai tergiversé un temps. Devais-je en parler ou pas ? Non pas que je m’interdise de donner mon avis, pour ce qu’il vaut, sur les choses que j’aime ou n’aime pas dans le domaine de l’imaginaire, mais je ne me sens pas grande légitimité à consacrer un billet à un film et encore moins à une série d’animation basée sur un jeu vidéo que je ne connais pas. Puis j’ai acquis la conviction que si je ne parlais pas d’Arcane sur ce blog dédié à l’imaginaire, alors autant ne parler de rien. Car Arcane est une merveille, un chef d’œuvre d’animation, bien sûr, mais aussi et surtout de mon point de vue de lecteur de SF, d’écriture.

Arcane est une série d’animation produite par Riot Games, compagnie californienne de développement de jeux vidéo, réalisée par le studio français Fortiche Production et diffusée sur la plateforme Netflix depuis le mois de novembre 2021. Elle se déroule dans l’univers du jeu League of Legends, développé par Riot Games. Il n’est pas utile de connaître le jeu ou son univers pour apprécier la série puisque ses deux créateurs, Christian Linke et Alex Yee, ont fait le choix judicieux de s’en éloigner pour proposer aux spectateurs une expérience totalement indépendante.

Si j’utilise le terme d’expérience plutôt que, disons, simple spectacle, c’est que le visionnage de la série a été pour moi véritablement une plongée dans une création visuelle totale comme je n’en avais jamais vue jusqu’à présent. Lors de la sortie de la série Love, Death and Robots sur la même plateforme dont les épisodes sont basés sur des nouvelles d’auteurs renommés de SF, j’avais déjà apprécié globalement le travail des différents studios, certains de ces courts métrages étant plus réussis que d’autres, ma préférence allant notamment à ceux montrant une identité visuelle forte, comme Zima Blue (d’après Alastair Reynolds) ou ICE (d’après Rich Larson) réalisés par Passion Animation Studio, moins à ceux réalisés par Blur Studio qui possèdent une esthétique réaliste trop léchée et trop fade. Ce qu’a fait Fortiche Production sur Arcane est extrêmement audacieux, tant dans sa diversité esthétique que dans la composition des plans, des mouvements de caméra et du montage des séquences. 

Piltover

Esthétiquement, en accord avec l’univers décrit et l’histoire contée, Arcane emprunte au meilleur de la fantasy, du steampunk, et du cyberpunk. C’est une rencontre de mondes disparates réunis dans un maelstrom dont la diversité fait la cohérence, et dont on pourrait tracer le fil des influences de Victor Hugo à Star Wars.  Rien ne sert de tenter un classement dans un sous-genre ou un autre, la série s’inscrit à la croisée des genres, entre SF et Fantasy, basculant de l’un à l’autre, incorporant tour à tour des éléments issus d’une multitude de références sans aucun regard pour les frontières qu’on pourrait dresser au sein de l’imaginaire. L’histoire se déroule intégralement dans une cité scindée en deux entités que tout sépare : en haut l’opulente Piltover, en bas la misérable Zaun. Piltover est lumineuse, élégante comme la cité fantasmée de la fantasy et du steampunk bourgeois, riche dans ses décors lumineux, travaillés, détaillés, s’inspirant autant de l’Art Nouveau de Guimard que des Cités Obscures de Schuiten. Zaun est sombre et polluée, bordélique et tout en sous-sol. Certains plans sur la ville basse font écho à la Los Angeles cyberpunk et pluvieuse de Blade Runner. L’extrême polarisation sociale de la géographie de la ville est un classique de la dystopie (lire à ce sujet l’essai Station Metropolis direction Coruscant d’Alain Musset). Là aussi, dans le traitement de ses thématiques, Arcane s’inscrit dans la tradition de la science-fiction.

Zaun

À l’inverse, les personnages bénéficient d’un traitement à la fois plus moderne et d’une animation plus traditionnelle, avec une esthétique inspirée des mangas. Les visages sont anguleux, durs, les corps filiformes évoquent des marionnettes, des pantins, mais dès qu’ils s’animent une magie opère. Il y a une (sur) théâtralisation de l’expression des caractères de chacun et de la complexité des sentiments qui les traversent, de l’amplitude des gestes et des postures, qui rappelle encore une fois le manga, ou le cinéma muet. Mais loin d’être superficiel, tout cela fait la beauté de la narration et de ses personnages. La dynamique de la composition, de l’agencement des plans, des mises en parallèle visuelles, des plans rapprochés, participent pleinement à la mise en avant des personnages. Et c’est aussi là qu’on touche au génie de l’écriture de cette série.

L’histoire peut être résumée très brièvement en une opposition entre deux sœurs, Vi et Powder/Jinx qui vont incarner, chacune en choisissant des camps opposés, la confrontation entre les deux villes de Piltover et Zaun. En parallèle, la série suit les efforts, les doutes et les erreurs de deux scientifiques, Jake et Viktor, pour développer une nouvelle technologie basée sur la magie, historiquement interdite, initialement pour aider à soigner les deux cités…

Mais ces deux fils conducteurs ne dévoilent qu’une infime partie d’un scénario complexe qui implique une multitude de personnages, des enjeux et des conflits, des thématiques et des raisons d’être. Les six scénaristes (Christian Linke, Ash Brannon, David Dunne, Alex Yee, Amanda Overton et Nick Luddington) montrent un immense talent à raconter des personnages. Chacun possède une histoire, un vécu qui se dévoile parfois en quelques images, une raison d’être et d’agir comme il le fait, une profondeur et une complexité tout à fait remarquable dans ce type de récit, et un charisme propre. Ce sont des personnages forts, entiers, vivants, des principaux aux plus secondaires. Ils sont attachants, y compris même Silco, le méchant de service qui, au-delà du charisme que tout méchant se doit d’avoir pour réussir dans sa carrière de méchant, possède une complexité qui lui permet de provoquer à maintes reprises l’émotion. Qualité rare chez les méchants prototypes qu’on nous sert si souvent. Le personnage central, impressionnant dans son intensité est Powder/Jinx, la plus jeune de deux sœurs. Personnage torturé, profondément perturbé, passant de la folie au désespoir, elle emmène le récit dans la tempête de ses émotions parfois, souvent même, contradictoires. Elle forme avec Silco un couple qui rappelle celui constitué du Joker et d’Harley Quinn. Je parlais de l’audace des choix esthétiques faits par la réalisation. Cette audace atteint son paroxysme avec Jinx. Au bout de quelques épisodes, chaque scène impliquant Jinx devient une furie visuelle, où le chaos se mêle à la précision des scènes d’action, où tous les codes graphiques explosent. Les techniques d’animation changent, expérimentent, le dessin passe du trait enfantin au réalisme explosif des scènes de combat, du plan rapproché accompagnant le geste au plan d’ensemble qui en évalue les conséquences, de la surimpression des graffitis à la pureté translucide d’une larme à l’œil témoin du drame qui se joue. C’est tout simplement bouleversant.

Là est la raison principale pour laquelle je souhaitais dire quelques mots de la série : l’écriture des personnages est plus puissante que dans la plupart des romans que j’ai lus ces derniers temps en littérature de l’imaginaire. Les auteurs démontrent qu’il est possible en quelques lignes de construire des personnages faits de chair, de sang et de larme, dont des personnages féminins qui occupent le centre, et une diversité qui jamais n’apparait factice quand de nombreux livres courent encore, en vain, derrière un message à livrer. Nous sommes loin du récit stéréotypé que la simple opposition entre deux sœurs orphelines aurait pu produire. La complexité du scénario qui mêle histoires personnelles et oppression sociale jusqu’au plus haut niveau, lutte politique et danger des technologies mal maîtrisées, mal utilisées, est tout aussi remarquable.

Dans l’attente de la saison 2…


D’autres avis : Ombrebones, C’est pour ma culture,


28 réflexions sur “Arcane – une série d’animation

  1. Je me suis posée la question justement si j’allais la chroniquer ou non sur mon blog. Et finalement, je ne l’ai pas fait car je l’ai vu en novembre et je t’avoue que j’étais un peu fatiguée à cette période. Mais, il me semble que Ombrebones l’a fait.

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  2. Ton article est superbe, tu aurais eu tort de te priver de t’exprimer. On sent tout ce que la série a provoqué comme émotions chez toi et j’en suis ravie. Pour moi aussi elle représente non seulement un coup de coeur mais aussi une bonne leçon de narration et de création de personnage.
    Comme tu dis, bien vite la saison 2 !

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  3. Wow, quel retour ! Je n’ai pas encore pris le temps de regarder la série, mais je joue au jeu (maintenant plutôt occasionnellement) depuis plusieurs années.
    L’émotion que tu transmets dans ton avis me touche et me donne juste envie de courir et visionner l’intégralité des épisodes disponibles.

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  4. C’est bien que tu te sois lancé pour donner un peu de visibilité à une série qui n’a fait aucun bruit. 👀
    Je suis d’accord avec tout ce que tu en dis, c’est une série magistrale à tous les niveaux et tu rends ça très bien. Il manque juste le générique et la musique associée. 😇

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  5. J’ai aussi été soufflée par l’expérience visuelle. J’ai été aspirée par l’univers et j’ai adoré l’écriture du personnage. Une série dont je n’attendais rien à cause du buzz (je suis une anti-buzz ><) mais qui m'a énormément surprise grâce à toutes les qualités que tu décris !
    Merci pour ce bien bel article 😀

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  6. Je souscris totalement. Fait inédit : j’ai même fait pause à plusieurs reprises pour profiter des décors, comme dans une BD (vive les possibilité numériques actuelles). L’exercice est d’autant plus à saluer que les séries (ou produits) dérivées d’univers déjà connus se contentent bien souvent d’un fan service de bas étage. Et on le répétera jamais assez : totalement visible par qui ne connait pas le jeu…

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  7. Bien que n’ayant jamais eu de réel intérêt pour la Fantasy, indécrottable amateur de sf, j’ai largement apprécié Arcane que j’ai regardé avec plaisir. Je dois avouer que je préfère largement les productions d’ Oats Studios, en particulier Adam, mon préféré, et Rakka avec Sigourney W. Sans oublier les courts métrages « Love, Death & Robots « 

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  8. Merci FeydRautha pour cette belle chronique qui m’a fait découvrir Arcane, une série que j’ai beaucoup aimé.
    Si j’ai eu un peu du mal à rentrer dedans (cible adolescente, graphisme des personnages…), c’est avec beaucoup de plaisir que j’ai terminé cette série d’animation, en particulier grace à l’humanité et la complexité de ses personnages.

    En puisque c’est la première fois que je m’exprime, merci beaucoup pour ce formidable blog SF, que j’ai découvert à l’occasion de la réédition collector du livre Dune, à laquelle tu as participé et dont tu as très bien décrit le travail.
    Merci pour les articles sur Dune (livres et film) (j’ai découvert Dune à 14 ans avec le film de Lynch qui m’a littéralement transporté et que j’aime toujours autant).
    Merci pour les articles sur les formidables adaptations de Lovecraft par Gou Tanabe (Ah les Montagnes Hallucinées !).
    Merci pour les tops livres SF à lire (j’ai tout à découvrir) et merci de ne jamais hésiter à vulgariser (j’aime que l’on me prenne par la main).

    Et pour finir, merci FeydRautha pour la passion, la qualité et l’objectivité de ton travail. On sent qu’il y a une belle personne derrière, qui aime transmettre, riche de connaissances, d’humilité et d’humanisme.

    Beaux voyages interstellaires !

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