
Dans son « Avertissement de l’éditeur », que l’on peut lire dans les Aventures de capitaine Hatteras, Pierre-Jules Hetzel disait de l’œuvre de Jules Verne qu’elle avait pour but de « résumer toutes les connaissances géographiques, géologiques, physiques, astronomiques, amassées par la science moderne, et [de] refaire, sous la forme attrayante et pittoresque qui lui est propre, l’histoire de l’univers. ». Il ajoutait : « la science a sa place faite dans le domaine de la littérature ». Une littérature dans laquelle la science aurait sa place ? Je me permets de reformuler : une littérature dans laquelle les connaissances humaines ont leur place, car qu’est-ce que la science si ce n’est la somme des connaissances ? Mais alors, il y aurait une littérature dans laquelle les connaissances humaines n’ont pas leur place ou sont mal venues ? La question est rhétorique, vous connaissez la réponse. Sous le joug germanopratin, en France on confond volontiers roman psychologique et Littérature, avec la majuscule instaurant la noblesse. N’est sujet littéraire qui vaille que l’expérience émotionnelle de la vie. Il existe pourtant bien une littérature dans laquelle les connaissances humaines – toutes les connaissances humaines, y compris la psychologie – ont leur place et qui par le jeu de la fiction transforme ces connaissances en expérience humaine. Il s’agit de la science-fiction, que pour cette raison je tiens comme la forme la plus aboutie de la littérature. Or la science-fiction telle que nous la connaissons aujourd’hui doit beaucoup à Jules Verne.
Bien sûr, à l’époque de Jules Verne, on ne parle pas de science-fiction, puisque le terme d’origine anglo-saxonne ne sera adopté en France que dans les années 50. On ne parle pas de merveilleux-scientifique qui sera théorisé par Maurice Renard au tout début du XXe siècle. Jules Verne écrit des récits d’aventure et de science distrayants. Une littérature populaire. C’est sous cet angle que Jules Verne est abordé dans ce nouvel essai de Nicolas Allard, spécialiste de pop culture et auteur de Stars Wars, un récit devenu légende (2017), L’Univers impitoyable de Game of Thrones (2018) et Dune, un chef d’œuvre de la science-fiction (2020). Plus encore, Nicolas Allard place Jules Verne aux origines de la pop culture. Pour ce faire, il explore les liens directs et indirects de l’œuvre de l’auteur nantais avec ses successeurs, qu’ils soient dans le domaine de la littérature, de la BD et des mangas, ou du cinéma et de la télévision, voire du jeu vidéo. Ainsi, ce n’est pas tant dans l’inspiration immédiate, bien qu’il passe aussi celle-ci en revue, qu’il trouve le plus de matière mais dans la manière quasi structurelle qu’a eu Jules Verne d’influencer la transmédialité propre à la pop culture d’aujourd’hui en créant un univers, un Univerne, cohérent et consistant.
En dix chapitres, Nicolas Allard place Jules Verne dans le contexte de son époque, dans sa relation avec son éditeur Pierre-Jules Hetzel. Il observe la construction de l’œuvre et sa réception, son succès populaire et pourtant l’échec de sa reconnaissance par les institutions de la grande littérature. Jules Verne ne sera pas prophète en son pays, et c’est à travers les temps et les espaces que le geste vernien va se propager. Nicolas Allard embarque le lecteur dans des voyages extraordinaires d’Hollywood au Japon, du théâtre au cinéma ; de Méliès à Georges Lucas, de Tintin au manga, du steampunk au shōnen, et bien sûr à travers la littérature de science-fiction. On en retient l’imprégnation profonde des écrits et de la démarche de Jules Verne dans la culture populaire.
Une fois sa lecture terminée, à bien y réfléchir, on se dit qu’il n’est dit rien de très surprenant dans cet essai. On parle de Jules Verne, après tout. Sauf que c’est en la formulant que l’idée acquiert consistance et qu’elle prend du poids. D’autant qu’il y a quelque chose de déconcertant chez Nicolas Allard qui tient à sa manière d’écrire. Je le notais déjà dans ma chronique de Dune, un chef d’œuvre de la science-fiction, cet auteur agrégé de lettres modernes n’adopte jamais un ton professoral mais pose ses hypothèses avec une plume d’une légèreté surprenante, presque en décalage avec les arguments qu’il avance et la somme de travail évidente qu’il lui a fallu accumuler pour produire un tel essai. L’essayiste arrive à nous faire croire que tout cela, on le savait déjà ou qu’on aurait pu le savoir, comme une évidence. Il n’est jamais abscons. Le résultat est l’accessibilité de l’ouvrage, voire son hospitalité envers le lecteur, qui s’adresse aussi bien aux fins connaisseurs des Voyages Extraordinaires de Jules Verne qu’à ceux qui les découvrent.
D’autres avis : outrelivres,
- Titre : Les Mondes extraordinaires de Jules Verne – Aux origines de la pop culture et de la science-fiction
- Auteur : Nicolas Allard
- Publication : 20 octobre 2021, Armand Collin
- Nombre de pages : 240
- Format : papier et numérique