Widjigo – Estelle Faye

Je n’avais jamais lu Estelle Faye. Gilles Dumay m’en a donné l’occasion en me proposant Widjigo, le nouveau roman de l’autrice française, à paraître dans la collection Albin Michel Imaginaire le 29 septembre 2021, sous une remarquable et très évocatrice couverture d’Aurélien Police. Pourquoi n’avais-je jamais lu Estelle Faye ? Parce qu’il est tous les ans publié plus de livres que je ne peux en lire. Parce que je ne sais pas. Parce que mille raisons qui ne valent pas plus qu’une autre dans cette marche au hasard qu’est le choix des lectures au sein de la grande bibliothèque de Babel des littératures de l’imaginaire.

Widjigo est le récit d’un récit d‘autres récits, une mise en abyme des imaginaires, un empilement métadiégétique qui dans sa représentation fractale et enracinée souligne le rôle essentiel de la construction même du récit, qu’il soit historique ou personnel. Reprenez votre souffle, explications.

Nous sommes en mars 1793, quelque part en Basse-Bretagne. Le jeune lieutenant Jean Verdier de la jeune armée républicaine brave les embruns et le froid pour se planter avec sa petite escouade au pied d’une tour fortifiée, ou tout du moins qui le fut dans un passé plus glorieux, demeure du vieil aristocrate Justinien de Salers. Au nom du peuple, la révolution réclame que le sang bleu abreuve ses sillons. Il n’est pas philosophe, Verdier, mais il voit bien puisqu’il en est l’acteur que le récit révolutionnaire, qui bientôt deviendra la grande histoire, se perd dans des détours et des méandres où il peine à reconnaitre un idéal derrière la dérive anthropophage d’une justice expéditive. Il mettra ainsi facilement de côté ses premières réticences lorsque Justinien de Salers lui demandera une nuit, une seule nuit de délai, en l’échange d’une reddition sans histoires au petit matin. Cette nuit, il l’occupera à faire à Verdier le récit de sa propre histoire.

Nous sommes en avril 1754, en Acadie anglaise. Le jeune Justinien de Salers a alors 26 ans. Pauvre, loin de la Bretagne, sentant venir la fin du chemin qui l’a mené là, il dilue ses derniers jours dans le jeu et la boisson. Rattrapé à demi-mort, il se voit proposer une mission en Terre-Neuve à la recherche d’une expédition disparue. Mais le bateau fait naufrage, livrant à une nature hostile une poignée de survivants dont l’existence se trouve menacée plus encore par la présence parmi eux d’un prédateur. Qui est-il ? Qui mourra ? Qui lui échappera ? Le récit se change alors en véritable catabase.

Si vous connaissez la légende algonquienne du Widjigo – plus connu peut-être sous le nom de Wendigo – vous devinez déjà certains des ressorts du récit. Pas tous, le roman réserve quelques surprises. Nous sommes entre la légende et le fantastique. Sous de nombreux aspects, on peut rapprocher le roman d’Estelle Faye du Terreur de Dan Simmons, quand bien même l’autrice produit en 256 pages un livre bien différent. Mais au cœur du récit se trouve cette idée illustrée dans les mythologies humaines, et pas seulement le folklore nord-américain, que lorsque des maux puissants tels que la famine, la proximité de la mort, voire la cupidité et la haine, amènent les hommes à en dévorer d’autres, au sens propre ou au figuré, ils les transforment inévitablement en monstres. C’est la légende du Wendigo, c’est le récit – ou les récits – de Widjigo.

Widjigo d’Estelle Faye propose à la fois un roman fantastique qui puise autant dans les légendes que dans l’Histoire, un conte horrifique sur la nature humaine à l’ambiance sombre très réussie, une histoire mêlant métaphore politique et quête de justice, et une jolie démonstration littéraire sur la construction du récit.


D’autres avis : Outrelivres, Au Pays des Cave Trolls, l’Albédo,


  • Titre : Widjigo
  • Autrice : Estelle Faye
  • Publication : 29 septembre 2021, Albin Michel Imaginaire
  • Nombre de pages : 256
  • Format : papier et numérique

14 réflexions sur “Widjigo – Estelle Faye

  1. Je je sais pas encore si je vais me laisser tenté. Car ayant déjà lu l’autrice, avec son post apo et son jeunesse, et bien que je reconnaisse son talent d’écriture, je n’ai été que moyennement convaincue à chaque fois.
    J’ai son space opera dans ma PàL poche donc je vais déjà lire ça (j’ai envie d’aimer en fait ^^’)

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