
Au choix, le lecteur pourra voir dans le roman Thirteen Storeys de Jonathan Sims un hommage au récit horrifique ou un pillage du catalogue du genre. Mais puisqu’il se présente dans sa structure – qui inévitablement rappelle Les Dix petits nègres Ils étaient dix d’Agatha Christie – comme une collection de douze histoires, reliées entre elles par une treizième, nous pencherons pour l’hommage.
Jonathan Sims est principalement connu pour le podcast The Magnus Archives dans lequel il incarne un archiviste nouvellement embauché au sein de l’Institut Magnus de Londres, qui exhume une série d’histoires surnaturelles. The Magnus Archives construit ainsi le temps de 5 saisons, une anthologie de l’horreur sur la base de récits individuels liés entre eux par le synopsis du podcast.
Thirteen Storeys exploite le même concept. L’action se déroule dans l’immeuble Banyan Court situé dans le quartier de Whitechapel à Londres, lieu historique des crimes de Jack l’éventreur. Le propriétaire de Banyan Court est un milliardaire du nom de Tobias Fell dont le prologue nous apprend le meurtre dans son appartement, lors d’une soirée regroupant 13 voisins. Tobias Fell est un entrepreneur qui a fait fortune en vendant des médicaments dangereux pour la santé, en exploitant les travailleurs dans des pays pauvres, en polluant la planète, etc. (Voilà pour le côté conscience sociale du récit.) La police n’a su résoudre l’énigme de son meurtre. Le livre va le faire.
Suivent douze chapitres qui racontent les événements qui se déroulent dans la vie de douze personnes lors des quelques jours qui précèdent le meurtre de Tobias Fell. Ces histoires individuelles sont en apparence déconnectées. Les douze protagonistes ne se connaissent pas, et leur seul point commun est qu’ils habitent Banyan Court. Ils vont chacun être les témoins de manifestations surnaturelles dans l’immeuble. C’est là que Jonathan Sims multiplie les emprunts, car chacun de ces récits est déjà vu, déjà lu, déjà entendu. Il y a le marchand d’art qui achète un portrait habité qui le hante au point qu’il en perd la santé. Il y a la jeune femme qui voit des personnes mortes. Il y a le geek qui va voir sa vie menacée par l’IA qui lui sert d’assistant personnel. La gamine qui a une amie imaginaire qui montre des penchants pour le mal, etc. Il y a même un gardien d’immeuble du nom de Jason dont l’ami imaginaire est un tueur mort vivant… Toutes ces histoires sont connues, et c’est là que le bât blesse. C’est un catalogue des classiques de l’horreur. Aucun des récits ne surprend, aucun n’est original, et aucun de ces personnages n’attire la sympathie au point qu’on puisse vraiment s’intéresser à leur histoire. Étonnamment, c’est Jason que j’ai trouvé le plus sympathique. J’ai partagé sa souffrance en le voyant se débattre avec son « ami » imaginaire sanguinaire.
À mesure qu’on progresse dans le roman, toutefois, les récits se croisent, les fils s’entremêlent, et les personnages secondaires deviennent récurrents, comme Diego aperçu fumant dans les couloirs de l’immeuble, Edith Kinney, la vieille dame qui ne sort jamais de chez elle, ou James André qui passe par la fenêtre. Lentement un synopsis se dessine qui suggère qu’un grand secret se cache dans les murs de Banyan Court, au sens littéral, depuis sa construction. Nous sommes dans un récit de maison hantée. Toutes les histoires se terminent de la même façon : le protagoniste reçoit une invitation à dîner au treizième étage, chez Tobias Fell.
Le mystère est dévoilé de manière expéditive dans le treizième et dernier chapitre, lors du dîner, quand Tobias explique ce qui se passe à Banyan Court, fournissant pour l’occasion l’une des fins de roman les plus ridicules, ou drôles selon qu’on est généreux ou pas, qu’il m’ait été donné de lire. Genre : « Oh zut, j’ai commis une erreur». The end. Voyez ?
Thirteen Storeys est un roman lent et long, qui prend le temps de construire une tension et une histoire enchâssée qui se résout dans les dernières pages. Il en faut du temps pour en arriver là, et réussir à s’intéresser aux douze récits qui sont sans surprise si on connait un peu les terres horrifiques. Pourtant, à mesure qu’on progresse, ils arrivent à devenir intrigants passé la moitié du livre. Mais la fin manque singulièrement d’ambition. Alors qu’il avait jusqu’alors réussi à jouer sur l’ambiguïté, Jonathan Sims livre un dénouement moralisateur à la facilité ahurissante. Il y a tout de même un attrait dans ce catalogue des horreurs, qui aurait pu vraiment fonctionner si la résolution avait été à la hauteur des enjeux. Mais on reste sur la grève à regarder s’échouer une vaguelette. Ce roman pourra éventuellement intéresser les lecteurs pour qui le genre horrifique est un met rarement consommé. Les autres s’ennuieront.
- Titre : Thirteen Storeys
- Auteur : Jonathan Sims
- Éditeur : Gollancz (26 novembre 2020)
- Langue : Anglais
- Nombre de pages : 400 pages
- Format : papier et numérique