The Blade Between – Sam J. Miller

The Blade Between de Sam J. Miller est un roman d’horreur fantastique qui aurait pu être tout à fait extraordinaire, par sa mise en place et son cadre, ses personnages, sa thématique sociale. Il s’agit certainement d’un roman très personnel pour Sam J. Miller, auteur du roman La Cité de l’orque publié en 2019 chez Albin Michel Imaginaire, puisque les événements qu’il décrit se déroulent dans la ville dans laquelle il a grandi. On peut dès lors aisément imaginer que certains éléments, notamment ceux qui se rapportent à l’enfance du personnage principal, aient une saveur autobiographique. Toutefois, j’ai trouvé le roman fragilisé par un volet surnaturel que l’auteur introduit en cours de récit et qu’il n’a pas pris soin de développer aussi solidement que sa face réaliste. Cet aspect-là n’a pour moi pas fonctionné, au point même de gâcher l’ensemble.

Hudson est une petite ville américaine qui, comme son nom l’indique, se trouve sur les rives de la rivière Hudson, upstate New York (au fil des pages, on peut s’amuser à suivre le déplacement des personnages dans les rues d’Hudson en parcourant les cartes et les images de la ville sur internet). À la fin du XVIIIe et au début du XIXe, Hudson abrita un port associé à l’industrie de la pêche à la baleine. L’activité s’est arrêtée durant la première moitié du XIXe siècle et la ville s’est convertie en ville industrielle. L’économie a fini par s’effondrer dans les années 60 et Hudson est devenue relativement pauvre. La population s’élève aujourd’hui à quelque 6000 habitants, en majorité noirs, ce qui aux Etats-Unis n’est jamais signe de prospérité économique. Les choses changent cependant, et sa proximité avec New York attire depuis les années 2000 les investissements et une toute nouvelle population, branchée, artistique, et riche. Son historique rue commerçante, la Warren Street, abrite désormais galerie d’arts, restaurants et magasins d’antiquités. Les prix de l’immobilier augmentent inexorablement et, devant cet afflux, les habitants d’Hudson les moins fortunés se trouvent repoussés hors de leur ville. La gentrification d’Hudson se trouve au cœur du récit de Sam J. Miller.

Ronan Szepessy est un jeune photographe new-yorkais, né à Hudson, et qui y revient pour des raisons qui au début du roman sont obscures, pour lui comme pour le lecteur. Il déteste la ville qui incarne toutes les souffrances et humiliations qu’il a vécues en tant que jeune homosexuel. Arrivé sur place, il reprend contact avec ses anciens, et rares, amis et premiers amours. À Hudson, tout le monde se connait, tout le monde a une histoire commune, et tout le monde parle. Les tensions et les inimitiés restent vivaces car l’eau ne s’écoule jamais vraiment sous les ponts d’e la ville. Et quand les tensions se font raciales, sur fond d’injustice sociale, de discriminations et d’addictions, les conditions sont réunies pour que les haines se matérialisent. Cet aspect du récit fonctionne à merveille. La ville décrite par Sam J. Miller est vivante, les personnages qui l’habitent sont puissants et la peinture sociale est pertinente. Je suis personnellement très friand de ce type d’histoires typiquement américaines. Sam J. Miller livre une histoire immersive, avec un rythme maîtrisé, des attentes, un suspense et un crescendo efficaces tout au long du roman. J’ai souvent pensé à Midnight in the Garden of Good and Evil durant ma lecture. Il y a cette saveur.

Mais, à mi-parcours, Sam J. Miller invoque une part fantastique qui, accolée à la face réaliste, m’a paru fichtrement mal foutue. Contre toute attente, Ronan va dépasser sa haine de la ville et de ses habitants et se montrer sensible à la résistance de certains face à la gentrification en marche. Alors que lui-même représente l’archétype du hipster new-yorkais qui envahit les rues de la cité. Avec un couple d’amis d’enfance, il va lancer un mouvement qui va rapidement le dépasser et tourner au massacre de masse. Car l’histoire que raconte The Blade Between est une forme de possession. L’inspiration principale est à chercher chez Stephen King, de manière très évidente, trop peut-être. Mais, ici, la ville n’est pas construite sur une ancien cimetière amérindien, son sol est imprégné du sang des baleines dont les carcasses furent dépecées dans le port à la fin du XVIIIe siècle. C’est en quelque sorte un esprit vengeur qui s’empare de la ville et provoque le chaos dans lequel Hudson va plonger. Il y avait de quoi donner deux récits en parallèle et amener à leur collision catastrophique, mais l’auteur échoue à le faire de manière convaincante. Cela aurait pu fonctionner si Sam J. Miller avait aussi solidement développé les deux pans de l’histoire. Le moteur du fantastique fonctionne lorsqu’un lien est tissé entre un monde et l’autre. Mais je peine à trouver ce lien dans ce récit. Cela donne lieu à des scènes qui flirtent avec le ridicule et m’ont fait hésiter entre le rire et le désespoir en mode « que diable allait-il faire dans cette galère ? » On termine sur ce message martelé avec insistance : l’amour est plus fort que la haine (c’est écrit ainsi, plusieurs fois au cas où on ne comprendrait pas). C’est raté, le roman de Sam J. Miller arrive à convaincre du contraire.

The Blade Between aurait pu être un roman formidable, et j’ai été enthousiaste jusqu’à la moitié du livre. Mais l’édifice s’effondre dans la deuxième partie. La part fantastique est inévitablement la plus délicate à gérer dans un récit d’horreur, et un effort doit être fait pour que le lecteur l’accepte, au risque que cela ne vire au Grand Guignol. C’est malheureusement le cas ici en ce qui me concerne. Autant la part réaliste du récit m’a séduit, autant la part imaginaire m’a laissé sur le bord de la rive. The Blade Between aurait été à mon avis plus réussi s’il était resté dans le champ de la littérature blanche (c’est la première et sans doute la dernière fois que vous lirez ceci sur ce blog).


Un autre avis : Gromovar (qui se montre nettement moins critique que moi)


  • Titre : The Blade Between
  • Auteur : Sam J. Miller
  • Publication : Ecco (1 décembre 2020)
  • Langue : anglais
  • Nombre de pages : 384
  • Format : papier et numérique

2 réflexions sur “The Blade Between – Sam J. Miller

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