
Roman publié aux Etats-Unis par Ernest Callenbach en 1975, Ecotopia est considéré comme la première utopie écologiste. Il fut vendu à plus d’un million d’exemplaires et eut une influence importante sur les mouvements écologistes nord-américains. Ecotopia est à ce titre un classique de la SF utopiste. Après 40 ans, il vient tout juste d’être retraduit en français par Brice Matthieussent et publié le 4 Octobre 2018 aux éditions Rue de l’échiquier. C’est donc l’occasion de le lire.
Ecotopia se déroule en 1999, soit 25 ans dans le futur au moment de sa rédaction en 1974. La Californie du Nord, L’Oregon et l’état de Washington ont fait sécession des Etats-Unis et forment un nouvel état, Ecotopia, avec pour ambition de refuser l’inéluctable drame écologique promis par une société posant comme idéal de développement une perpétuelle croissance économique et démographique. Ecotopia englobe ainsi les villes de San Francisco, Portland et Seattle. Si vous connaissez un peu les Etats-Unis, ce choix géographique vous apparaîtra cohérent avec les idées progressistes de cette région que ce soit dans les années 70 ou encore aujourd’hui. La Californie du Sud, avec Los Angeles, ne fait évidemment pas partie de l’enclave.
Le roman prend le point de vue critique de cette utopie en la personne de William Weston. Journaliste pour le journal Time-Post, Weston est le premier américain autorisé à entrer sur le territoire d’Ecotopia après une vingtaine d’années d’isolement. C’est l’histoire de la conversion aux idées de cette société nouvelle de cet homme qui initialement l’aborde avec la certitude d’en dénoncer les erreurs et la barbarie. Ecotopia est écrit sous la forme d’articles et d’entrées dans le journal personnel de Weston. A travers les propos de Weston, Callenbach propose aux lecteurs de remettre en questions ses a priori en lui exposant un mode de vie alternatif basé sur une conscience écologique en rupture avec la pensée nord-américaine de l’époque. On notera qu’il s’adresse à un lecteur américain, dont les opinions en 1975 sont en moyenne assez proches de celles de Weston. Weston n’est pas un personnage caricatural, même s’il est à tendance misogyne et a de nombreux préjugés politiques, c’est un journaliste aguerri, qui a voyagé à travers le monde, a été confronté à divers systèmes politiques, est capable d’en voir les échecs comme les réussites, tout comme il est capable d’être critique vis à vis de son propre pays. Mais il est convaincu comme beaucoup des vertus du capitalisme et des mérites de la société de consommation. Il n’est en somme pas très différent d’un citoyen français en 2018 qui est persuadé qu’il est bon pour l’économie d’acheter le dernier smartphone, pour le pays de faire des gosses, et pour ses fins de mois de ne pas payer son essence trop chère.
Ce n’est pas une surprise, ce livre parlera aux lecteurs qui s’intéresse à l’écologie. Le discours de Callenbach est politique. Il était lui-même partisan de la décroissance et d’un mode de vie basé sur la simplicité volontaire. Dans Ecotopia, il expose sa société utopiste sous tous les angles : la décroissance économique, l’écologie bien sûr, les énergies propres, l’urbanisme, le mode de gouvernance, la démocratie participative, la codirigeance des entreprises, le système bancaire et les salaires, l’égalité homme-femme, la sexualité, l’éducation, etc. C’est un modèle complet convaincant qu’il propose. Les moteurs à explosion sont interdits, à quelques exceptions près, les transports en commun sont gratuits, les vélos en libre-service dans les villes. Les produits manufacturés doivent être durables et entièrement recyclables. Tout est d’ailleurs recyclé. Les grandes zones industrielles ont disparu, l’état est reboisé, l’agriculture est bio, et des rivières coulent à San Francisco. Le temps de travail est de 20 heures hebdomadaires et un revenu minimum est garanti. Il y a bien sûr des aspects que je qualifierai personnellement d’erronés ou dépassés, comme l’utilisation du cuir et de la fourrure, ou la consommation importante de viande bovine ou de gibiers, le pompage de grande quantité d’eau dans les océans, etc. Sur certaines questions, les habitants de San Francisco sont aujourd’hui plus avancés que ceux d’Ecotopia. Il y a aussi d’autres aspects dérangeants, présentés par Callenbach comme des maux nécessaires dans cet état transitoire, comme les jeux de guerre ou le replis ségrégationniste de certaines communautés ethniques qui ont une revanche à prendre sur l’histoire du pays. L’isolationnisme d’Ecotopia, encore une fois présenté comme un mal nécessaire, est d’ailleurs sa plus grande tare.
La faiblesse du roman est sa forme. Il ne s’y passe rien ou presque et on pourrait facilement le trouver ennuyant, à moins d’accepter ce qu’il est, à savoir la description d’une forme alternative de société progressiste et écologiquement consciente. Il aurait sans doute été plus efficace d’y implanter une véritable histoire qui aurait permis de tester le modèle sociétal, d’en éprouver les concours en le mettant à mal, de le confronter à des antagonismes pour convaincre de sa robustesse. Ce n’est pas la voie choisie par Callenbach, même s’il est clair sur le fait qu’il s’agit d’une utopie en devenir, un état transitoire imparfait, dont il dénonce certaines limites.
Sa plus grande force est, à travers une utopie, de renvoyer à la dystopie de notre époque : un monde dans lequel les solutions existent depuis plus de quarante ans, sont discutées, repensées, amendées en regard des progrès scientifiques et techniques, perfectionnées, mais jamais mises en œuvre. C’est aussi, loin des nombreuses dystopies en SF, de proposer une vision optimiste d’un futur possible.
Cela semble toutefois très mal barré. #onvatouscrever
D’autres avis : celui d’Erwann Perchoc sur le Blog du Bifrost, de Marcus Dupont-Besnard dans Numerama,
Titre : Ecotopia
Auteur : Ernest Callenbach
Publication originale : 1975
Publication en français : Octobre 2018 chez Rue de l’échiquier
Traduction : Brice Matthieussent
Nombre de pages : 304
Format : ebook et papier
soyons sérieux re traduit dans les années 80 il fut connu des vieux amateurs sf
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Justement, c’est une info que je cherchais, parce que je me doute bien qu’il a déjà été traduit, mais que je n’ai pas trouvée. Qui l’a sorti précédemment ?
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Les éditions Stock, en 1978, d’après Noosfere.
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Merci ! Je ne l’avais pas vu sur Noosfere. En effet, en 78 j’étais un peu jeune pour le lire. 😉
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Au moins un exemplaire de cette première édition est disponible sur Rakuten (sous le titre « écotopie »).
L’éditeur est Stock 2 . Sauf erreur de ma part, il s’agit d’un ancien département de la maison Stock.
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En effet, il a été publié sous le titre écotopie (c’est pourquoi je ne le trouvais pas) chez Stock 2, en 78.
D’après wiki, « le département Stock 2 fut créé en 1973 par Jean-Claude Barreau et Betty Mialet, laquelle le dirigea jusqu’en 1983 », au sein de Stock.
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La punchline paragraphe 3 xD
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Je ne connaissais pas ce livre. J’avoue je pourrai être tenté mais la présentation que tu en fais me parait tellement improbable que je suis indécis.
En tout cas merci pour la découverte je me le garde dans un coin de la tête au cas où un jour je change d’avis.
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Que veux-tu dire par « improbable » ?
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Un côté un peu blasé plus qu’une critique du livre. Les conditions que tu mets en avant et qui sont présentes dans le roman sont réalistes, sont une grosse base de départ pour changer le monde et l’environnement.
L’improbabilité vient plutôt de moi, en tant que lecteur travaillant dans la branche environnement pour des entreprises, d’imaginer que de tels bouleversement puissent être mis en place et non pas du côté réaliste de ce que présente le livre. Ensuite autant de tels bouleversements auraient pu avoir un gros impact en 1975, autant aujourd’hui j’ai un peu peur qu’il soit trop tard (permafrost et autre).
Maintenant oui si demain on arrive à mettre en place de tels bouleversement de nos habitudes je signe des deux mains.
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D’accord. Je te rejoins sur ce côté improbable. D’où ma phrase finale, par ailleurs.
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