The Fractal Prince (Jean le Flambeur 2/3) – Hannu Rajaniemi

the fractal prince

The Fractal Prince est la suite directe du premier roman d’Hannu Rajaniemi, The Quantum Thief chroniqué sur ce blog il y a quelques jours. Si le premier tome avait été courageusement traduit et publié par Bragelonne (certains esprits taquins affirment qu’il s’agissait là d’une erreur de casting de la part de l’éditeur), l’affaire a été abandonnée en cours de route et ce second tome n’a pas reçu l’honneur de la traduction. Il y a donc peu de chance qu’il soit un jour traduit, sauf sur un malentendu ou par l’héroïsme d’un forcené.

The Fractal Prince n’est pas une lecture facile. Mais c’est un excellent livre si on accepte l’idée qu’on ne va pas tout comprendre. Accéder aux joies de la trilogie de Rajaniemi a un prix. Si on en doutait encore après avoir lu le premier tome, on a une piqûre de rappel en ouvrant le second tome. On s’était bien battu pour se plonger dans l’univers de The Quantum Thief et en ressortir sans trop de dommages collatéraux des fonctions cognitives. On pouvait donc espérer que le plus dur soit fait, et que l’accès à The Fractal Prince soit plus aisé. Que nenni. Si le  Show – Don’t Tell extrême du premier tome nous avait tout de même fourni un contexte permettant d’élucider les néologismes, les idées maîtresses, et de dessiner les contours de l’univers dans lequel Jean le Flambeur s’épanouit, le contexte ici change et l’univers acquiert de nouvelles dimensions. The Quantum Thief n’avait fait que peindre la première case d’un échiquier dont on découvre l’étendue dans ce deuxième tome.

Le contexte

Dans The Fractal Prince, le contexte général de la trilogie nous est dévoilé. Alléluia ! Notamment, on apprend enfin ce qu’est le Sobornost : un collectif de post-humains, esprits dématérialisés, dont les fondateurs sont Matjek Chen, Sasha the Engineer-of-Souls, Chitragupta, Hsien-ku, Anton Vasilev, Sumanguru et Joséphine Pellegrini. Le but du Sobornost est la Grande Tâche Commune, inspirée du futurologue russe légèrement déjanté Nikolaï Fiodorov, et qui dans le cadre de cette trilogie n’est autre que la numérisation de tous les esprits et la création d’un nouvel univers libéré de la mort et dont les lois physiques ne seraient plus que classiques, en opposition aux lois quantiques qui sont le domaine des Zokus. Vous suivez ? Les tensions entre les fondateurs sont vives et Hsien-ku et Vasiliev se sont associés dans le but d’éliminer Pellegrini. Pour se défendre, celle-ci tente d’atteindre le big boss, Matjek Chen, en utilisant les talents de Jean et Mieli.

La structure du récit est semblable, en apparence, à celle du premier tome et on va suivre deux arcs narratifs en parallèle, avant qu’ils ne fassent plus qu’un aux deux tiers du livre.

Le voleur

On the day the Hunter comes, I am killing ghost cats from the Schrödinger box.

Jean le Flambeur s’est échappé de la cité Martienne Oubliette en laissant derrière lui une partie de sa mémoire, pour s’envoler à bord du Perhonen vers la Terre en compagnie de la guerrière Oortienne Mieli et sous la surveillance étroite de Joséphine Pellegrini. Il a tout de même récupéré la boîte de Schrödinger, une technologie Zoku enfermant un dieu, c’est-à-dire en fait un des fondateurs du Sorbornost. S’il parvient à ouvrir la boîte, il disposera alors d’un moyen d’accéder aux autres fondateurs.

Dans cet univers hautement digitalisé, où l’on se promène de simulations en réalités virtuelles, Jean le voleur, sous les multiples identités qu’il revêt depuis plusieurs siècles, apparaît de plus en plus comme une sorte de hacker de haute volée.  Et il s’apprête à hacker dieu et l’univers. Une tendance se dessine dans sa manière d’opérer : il crée des pièges à l’intérieur des pièges, comme on cache des virus informatiques dans des codes inoffensifs, suivant une structure fractale.

La putain

Before she makes love to Mr Shen the jinn, she feeds him grapes.

Le second arc se déroule sur Terre. Et c’est là que les difficultés commencent. La Terre telle qu’elle se présente est radicalement différente de celle que nous connaissons. Rien à voir non plus avec la cité des Oubliettes que l’on avait visitée sur Mars. Cette partie du récit est directement inspirée du conte des Mille et Une Nuits, autant dans l’atmosphère, les noms des créatures (les djinns, etc) que dans sa structure… fractale. Il y a des histoires à l’intérieur des histoires, du code à l’intérieur des codes. Rajaniemi joue ici à fond et dans les grandes largeurs l’idée clarkienne qu’une technologie suffisamment avancée est indistinguable de la magie.  Le récit prend alors des allures de fantasy orientale. Sirr est la dernière cité humaine sur la planète, construite sur les débris d’une station spatiale qui est tombée du ciel, abritant une humanité encore faite de chair et de sang. On y converse avec les djinns, et le désert qui l’entoure est le royaume des âmes mortes et du wildcode qui ronge les corps et s’attaque à tout ce qui ressemble de près ou de loin à une technologie. On s’en protège en portant des sceaux, et en parlant des Noms Secrets. Tout ceci n’est évidemment qu’une représentation, et on devine derrière l’imagerie terrienne les nanotechnologies devenues folles, les virus informatiques, et les contre-mesures. Tout comme l’était Oubliette, et je dirais même plus encore, Sirr est d’une richesse folle.

Notre guide dans ce monde post-apocalyptique aux saveurs orientales est un personnage tout-à-fait extraordinaire qui vole la vedette du livre : Tawaddud, aussi appelée celle qui aimait les monstres, ou encore la putain de l’Axolotl. Tawaddud Gomenez est la fille d’un des nobles qui dirigent la cité, une mystique qui connait des Noms Secrets puissants, qui guérissent, protègent ou tuent, une jeune femme dont les connivences avec les esprits qui habitent ce monde la placent dangereusement près de la voie de la répudiation. Elle va être plongée dans les méandres de la politique terrienne par son père et sa sœur, face aux Hsien-kus et au Sobonost qui œuvrent à reprendre possession de la planète, sachant qu’ils ne sont pas étrangers à l’état dans laquelle elle se trouve.

Entre l’intérêt que lui porte Jean le Flambeur et ce qui se trame à Sirr, la planète Terre va soudainement se retrouver au centre du système solaire et saisir l’attention des factions qui s’y affrontent. Au final, on en apprendra beaucoup sur Jean, qui il est vraiment et quel est son rôle dans cet univers.

Les difficultés et la beauté

Comme je le disais, The Fractal Prince n’est pas un livre facile. Sa nature post-hard-SF se manifeste encore une fois dans le refus de l’auteur d’expliquer les notions ou les idées les plus complexes issues de la hard-SF. Jamais, par exemple, il n’explique les conditions si particulières qui règnent sur la planète Venus, mais parle des Cités dans le Ciel qui évoluent à 50 km d’altitude. Si vous ne savez pas pourquoi, allez lire le très bon billet sur le sujet sur le Journal d’un Curieux. Jamais il n’explique ce qu’est une corde cosmique, ni comment la flotte du Sobornost les utilise pour voyager à travers l’espace. Si vous ne savez pas pourquoi… allez relire la théorie des cordes, et révisez votre cosmologie branaire. Étonnement, il fait une exception, en expliquant ce qu’est l’expérience du chat de Shrödinger, mais c’est pour mieux dire que c’est évidemment complètement faux. Mais si vous ne savez pas ce qu’est la décohérence quantique… prenez un thé, ou un alcool fort, à votre guise. Je n’insiste pas à travers les mille et un autres exemples qu’on pourrait choisir, vous voyez où se trouvent les difficultés de lecture d’un tel ouvrage.

It’s surprisingly difficult to win a staring contest with a butterfly, even when you’re wearing the face of the greatest warrior in the solar system.

The Fractal Prince n’est donc pas un livre facile. Mais c’est aussi un livre empli de beauté, et parfois très poétique, si tant est qu’on sache s’émouvoir devant un flux de neutrinos. Ou devant un papillon quantique. Il y a ainsi de très belles images. Par exemple, dans le langage de Mieli, le vide intersidéral est le Dark Man. Et le fait de se faire expulser dans le vide devient « recevoir le baiser de l’homme sombre ». On y trouve aussi de grands Dragons qui dévorent la structure de la réalité, des tapis volants et des oiseaux métalliques.

Au final, j’ai trouvé que The Fractal Prince était encore plus brillant que The Quantum Thief. Plus beau, plus grand, plus ambitieux. Je n’ai pas tout compris. Notamment, je ne suis pas du tout sûr de ce qui arrive à la Terre à la fin du livre. Mais je suis persuadé que les choses s’éclaireront dans le troisième et dernier tome de la série, The Causal Angel.


Voir aussi l’avis de : Gromovar sur Quoi de neuf sur ma pile, Stéphane Gallay sur Blog à Part


Livre : The Fractal Prince
Série : Jean le Flambeur (2/3)
Auteur : Hannu Rajaniemi
Publication : 2012
Langue : Anglais
Traduction : Non, Bragelonne ayant jeté l’éponge après le premier tome
Nombre de pages : 320
Format : papier et ebook


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