Infinity wars (Infinity project 6/7) – Collectif

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Sixième installation de l’Infinity Project, Infinity wars s’attaque à tout un pan de l’histoire de la SF: la guerre. Du roman Starship Troopers de Robert Heinlein au dernier Star Wars de Disney, la science-fiction et la guerre ont toujours fait bon ménage. Cette histoire d’amour est toujours aussi vivace et l’une et l’autre ne cesse de danser le tango. Les nouvelles combinaisons tactiques de l’US army développées au MIT (TALOS) sont là pour en témoigner. Il serait aussi naïf de ne pas reconnaître que cet aspect alimente l’idée que la SF est une littérature pour ados mâles. Mais nous savons pertinemment, vous et moi, qu’il n’en est rien. L’anthologie moderne de Jonathan Strahan se devait donc d’aborder le sujet, en le plaçant sous le regard d’auteur(e)s de hard-SF en 2017. La question posée dans ce sixième volume est double : que seront les guerres du futur et comment vivrons-nous avec les dommages qu’elles engendrent ? Les réponses sont aussi diverses que les 15 nouvelles de ce recueil qui est un excellent cru dans la série. Je note que Jonathan Strahan a fait le choix très pertinent de confier la rédaction d’une majorité des nouvelles à des femmes, prenant ainsi à revers les critiques récurrentes de la SF militaire lui reprochant son côté machiste.

The evening of their span of day de Carrie Vaughn. La station spatiale Tennant est un avant-poste aux limites de l’espace exploré. Derrière, des centaines de planètes, des milliers de vaisseaux, des milliards d’habitants. Devant, l’espace profond, vide, sombre. Et l’inconnu. Une station de ce type se doit d’être autonome et pouvoir fabriquer et réparer à peu près tout. Ce qui manque, c’est la matière première. Opal est la cheffe mécanicienne des 10 baies de maintenance de la station. Son quotidien se résume à essayer tant bien que mal d’allouer des ressources là où se placent les priorités. Mais ces priorités vont soudainement être révisées lorsque le flux des communications militaires montre un pic inquiétant. La nouvelle repose sur un point de vue original, car peu souvent exploité, celui des gens qui ne se trouvent pas au front, mais derrière les lignes, dans les ateliers, et qui pourtant doivent participer activement à l’effort de guerre.

The Last Broadcasts d’An Owomoyela. An Owomoyela fait partie des auteurs qui pour moi se distinguent vraiment dans cette collection, ayant notamment signé les nouvelles Water rights dans Edge of infinity, Outsiders dans Meeting Infinity, et Travelling into nothing dans Bridging Infinity. Dans The Last Broadcasts, An Owomoyela envisage la guerre du point de vue de ceux qui en sont les témoins éloignés et impuissants. Daja est embauchée sur Relay Point, loin de sa colonie natale, pour un travail particulier : filtrer les informations en provenance de Caribou et créer un narratif pour cacher que cette colonie est en guerre depuis 4 ans et sur le point d’être perdue pour l’humanité. Encore une fois une bonne nouvelle avec un personnage intéressant affecté d’un trouble du déficit de l’attention très bien rendu dans le récit.

Faceless soldiers, patchwork ship de Caroline M. Yoachim. Station 17 regroupe différentes espèces extra-terrestres, hybrides, et humains face à un ennemi commun, les Faceless, qui rappellent fortement les Borgs de Star Trek. Lorsqu’un vaisseau ennemi se pointe à proximité de Station 17, Ekundayo va être envoyée sur ce dernier en se faisant passer pour un Faceless et tenter d’y lâcher un virus. Elle va être confrontée à un choix cornélien. La nouvelle mêle à la fois des idées intéressantes et d’autres moins originales, mais se lit très bien.

Dear Sarah de Nancy Kress. Des extraterrestres, les Likkies, ont apporté à la Terre une nouvelle technologie permettant une production efficace d’énergie. Comme à chaque révolution technologique majeure, certains, toujours les mêmes, se sont enrichis, d’autres, toujours les mêmes, ont tout perdu. Ceux qui ont perdu en font une raison d’en vouloir aux Likkies. Comme la famille de MarieJo, vivant pauvrement dans une ancienne ville industrielle désormais dévastée par la cessation des activités qui leur permettaient de vivre. MarieJo, elle, ne blâme personne. Les choses changent, il en a toujours été ainsi. Elle fait des choix. Notamment celui de s’engager dans l’armée, pour combattre du côté des Likkies les terroristes qui voudraient qu’ils débarrassent le plancher des vaches. Lors d’une intervention, en pleine prise d’otage, elle devra là encore faire un choix. Une nouvelle bien construite, avec une ambiance à la District 9. La surprise ne vient pas tant de l’originalité du récit, mais de la narration. J’ai trouvé cette nouvelle vraiment très bonne.

The moon is not a battlefield d’Indrapramit Das. A son retour sur Terre, Gita raconte à une journaliste sa vie. Née pauvre dans une famille indienne, vendue par ses parents pour devenir un défenseur astral de la République d’Inde. Elle raconte 36 années passées dans l’infanterie à défendre la souveraineté de L’Inde sur son territoire lunaire quand aucune autre nation ne reconnait un quelconque territoire lunaire. Le romantisme de la mission, la beauté des scaphandres armés, des guerriers resplendissant sous la lumière blanche de la Lune. Et puis les accrochages avec des armées qu’on ne voit pas, des combats silencieux, des explosions inaudibles, des tirs lasers invisibles. La mort dans un monde de silence. Puis le traité de paix et la démilitarisation de la Lune. Et le retour sur Terre… Vous l’aurez compris, il s’agit d’une nouvelle sur l’absurdité de la guerre et le sacrifice forcé. J’ai été assez sensible à ce récit.

Perfect Gun d’Elizabeth Bear. Que dire si ce n’est « Oh la vache ! ». Elle est très cynique cette nouvelle, car Elizabeth Bear plante un décor, une histoire puis la détruit dans un final sans concession en signant sa nouvelle le jour de la Saint Valentin. Perfect Gun raconte l’histoire amoureuse d’un mercenaire sans scrupule ni morale, le genre de type qu’on croise souvent en SF militaire, avec son nouveau jouet : un vaisseau d’attaque, acheté dans un surplus militaire, aux courbes séduisantes, équipé d’une intelligence artificielle qu’il bricole plus ou moins pour lui faire oublier les quelques règles morales d’engagement armé. Avec elle, il va vendre ses services à des dirigeants plus ou moins infâmes, ne reculant devant aucune saleté à accomplir. Et puis… Une nouvelle bien percutante.

The Oracle de Dominica Phetteplace. L’histoire d’une femme qui développe un code, les prémices d’une IA, qui permet de mieux cibler sa clientèle de vernis à ongles, étend le concept aux bouteilles de whisky et fait ainsi fortune. Elle finira par être contactée par la Défense pour mettre son IA au service de l’armée en mal de guerres faciles à gagner. L’IA va lentement évoluer seule. Après les deux nouvelles précédentes, celle-ci fait pâle figure. Le personnage principal est complètement creux et l’histoire est franchement bête. Une mauvaise nouvelle donc.

In everlasting wisdom d’Aliette de Bodard.  Il s’agit d’une nouvelle sur l’endoctrinement des masses pendant une guerre longue et coûteuse pour que l’Empereur puisse faire passer la pilule de l’effort de guerre. Pilule qui ne passe évidemment pas. La nouvelle est écrite de manière assez particulière. Encore une fois, je suis un peu frustré par Aliette de Bodard, car j’ai l’impression de passer à côté du texte. Il y a dans ses nouvelles quelque chose que je n’arrive pas à saisir.

Command and control de David D. Levine. Il s’agit de la nouvelle la plus guerrière du recueil, car elle se déroule sur le front d’un conflit entre l’Inde et la Chine dans les montagnes de l’Himalaya. On y suit un groupe de combattants indiens, qui, dans un style très SF militaire, sont équipés de toutes sortes de technologies futuristes. Et quand cette démonstration de technologie ne sert qu’à produire des morts sans faire avancer le conflit, peut-être est il temps d’en imaginer une autre utilisation qui pourrait y mettre un terme. Il s’agit d’une nouvelle intéressante pour le côté SF militaire qui se devait d’être représenté dans ce recueil, et pour le twist sympathique du dénouement.

Conversations with an armory de Garth Nix. Très courte mais savoureuse nouvelle sous la forme d’un dialogue entre les quelques derniers éclopés d’un vaisseau hôpital et l’IA, endormie depuis des années, gérant l’armurerie dans laquelle se trouvent les armes dépassées qui pourraient leur fournir la gloire d’un dernier assaut contre une horde de vaisseaux extraterrestres sur le point de les vaporiser. Voilà le genre de textes qu’on ne peut se permettre dans un roman, alors autant s’amuser avec dans une nouvelle. C’est drôle, déprimant et réjouissant. Un moment d’humour noir au beau milieu de l’immensité froide du vide interstellaire.

Heavies de Rich Larson. Dexter est un militaire, terrien augmenté par des implants, travaillant pour le combinat (gouvernement interplanétaire). Il est envoyé sur une colonie où les habitants locaux ont été génétiquement modifiés pour s’adapter à la gravité relativement basse de ce petit coin de paradis. Et lorsque, après 50 ans de paix, un terrien est assassiné par un local, Dexter va devoir enquêter. Les textes qui composent ces recueils sont en général courts, développant une idée, mais peu au final arrivent à poser un monde, une histoire et des personnages en quelques pages. C’est pourtant le cas du texte de Rich Larson. En finissant la nouvelle, j’ai eu l’impression de refermer un roman. De plus, elle est joliment écrite. Ce n’est pas la plus originale, car on imaginerait bien Takeshi Kovacs (Carbone modifié) sur Pandora (Avatar), mais une des nouvelles les plus satisfaisantes. La même en roman, j’achète et j’attends impatiemment le film.

Overburden de Genevieve Valentine. Une autre histoire de conflit sur des colonies planétaires, mais celle-ci n’est pas très engageante. L’auteure perd beaucoup de temps en des discussions longues entre personnages au lieu d’aller à l’essentiel.

Weather Girl de E.J. Swift. Ses collègues la surnomme Weather GirL et détournent le regard quand ils la croisent dans les couloirs. Sa spécialité est d’utiliser la météo comme arme. Si on ne peut pas diriger un typhon, on peut le cacher, en hackant les informations satellites si le pays victime n’est pas un pays ami. Et un typhon, ça fait beaucoup de dégâts si personne n’est prévenu de son arrivée. Nicolas, son ex mari est lui journaliste et il parcourt le monde. L’idée de base de la nouvelle est bonne, mais dès le début on en devine la fin. Normalement, vous l’avez vous même devinée avec ce court résumé que je viens d’en faire. Peu de surprise donc dans cette nouvelle.

Mines d’Eleanor Arnason. Une nouvelle sur le stress post-traumatique sur la seule planète colonisée par les humains qui ont réussi à y amener un conflit et qui se retrouve petit à petit isolée de la Terre. Encore une nouvelle avec une vraie histoire, et des rats intelligents. Pas mal du tout.

ZeroS de Peter Watts. « Welcome to the Zombie corps ». Immédiatement après sa mort sur un champ de bataille Kodjo Asante est réveillé, pour s’entendre proposer un marché : une renaissance contre 5 ans de service. Ou bien ? Le repos éternel. Second réveil dans un corps qu’on entraîne à être un soldat d’élite. Tout cela Asante le vit de façon détachée. C’est le syndrome du corps étranger. Et Asante est aveugle. Ou plutôt atteint du syndrome de vision aveugle. Il n’est pas le seul, toutes les autres recrues sont atteintes des mêmes syndromes. En mission, ils sont des passagers. Si vous connaissez les marottes de Watts, là on est en plein dedans. L’histoire est pour Watts l’occasion d’explorer les mécanismes de la conscience, du lien entre le corps et l’esprit et bien sûr du libre arbitre. La nouvelle est dans la veine de Vision Aveugle mais dans une version à la Robert Heinlein. Et c’est fucking brilliant du début à la fin. Peter Watts est l’un des auteurs les plus profonds de cette génération.

Voilà qui boucle le revue des 6 tomes publiés de la série Infinity Project de Jonathan Strahan. Rendez-vous durant l’été 2018 pour la sortie du 7e et dernier volet : Infinity’s End. En attendant, il serait judicieux qu’un éditeur français se penche sur la traduction de ces textes. Il s’agit là à mon avis d’une anthologie importante pour la SF du début du XXIe siècle.


Livre : Infinity wars
Collection : Infinity Project 6/7
Auteur : collectif (Carrie Vaughn, An Owomoyela, Caroline M. Yoachim, Nancy Kress, Indrapramit Das, Elizabeth Bear, Dominica Phetteplace, Aliette de Bodard, David D. Levine, Garth Nix, Rich Larson, Genevieve Valentine, E.J. Swift, Eleanor Arnason, Peter Watts.)
Editeur : Jonathan Strahan pour Solaris
Publication : 2017
Langue : Anglais
Traduction : Non
Nombre de pages : 356
Format : papier et ebook


12 réflexions sur “Infinity wars (Infinity project 6/7) – Collectif

  1. Alors là, tu ne pouvais pas me proposer quelque chose de plus immanquable…. à moins d’aborder les IA et la rencontre ET.
    C’est un recueil indispensable pour moi! MErci, je cours me le procurer. Au fait, peu importe l’iodre de lecture de cette anthologie ?

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    1. C’est un euphémisme, je suis déjà sur amazon….(j’ai déjà acheter le premier)
      J’ai une question. J’ai un pote qui me propose 3 recueils de l’auteur :
      – The best of the year, volume nine

      Lauren Beukes
      Paolo Bacigalupi
      Joe Abercrombie
      Genevieve Valentine
      K. J. Parker
      Ken Liu
      Elizabeth Bear
      Kai Ashante Wilson
      Caitlin R. Kiernan
      Garth Nix
      Rachel Swirsky

      – Godlike machines

      • « Troika » Alastair Reynolds unlocks the secrets inside an alien spaceship—secrets that could change the world…if only a repressive regime would believe its last surviving explorer.
      • Stephen Baxter « Return to Titan » sends wormhole builders to Titan, but what they discover there may fuel their wildest dreams…or destroy them.
      • Cory Doctorow « There’s a Great Big Beautiful Tomorrow » turns the idea of godlike machines on its head with replicating machines that turn cities back into wilderness.
      • Sean Williams « A Glimpse of the Marvelous Structure » leads a spacer agent through a subterranean Structure…and into space-time itself.
      • Robert Reed—in « Alone  » a story about the ancient, Jupiter-sized Great Ship—looks at a strange passenger who has been onboard far longer than seems possible.
      • Greg Egan « Hot Rock » gives us an alien technology only he could imagine—a wandering world that’s inexplicably warm enough to support life.

      – The starry rift

      ASS-HAT MAGIC SPIDER by Scott Westerfeld
      CHEATS by Ann Halam
      ORANGE by Neil Gaiman
      THE SURFER by Kelly Link
      REPAIR KIT by Stephen Baxter
      THE DISMANTLED INVENTION OF FATE by Jeffrey Ford
      ANDA’S GAME by Cory Doctorow
      SUNDIVER DAY by Kathleen Ann Goonan
      THE DUST ASSASSIN by Ian McDonald
      THE STAR SURGEON’S APPRENTICE by Alastair Reynolds
      AN HONEST DAY’S WORK by Margo Lanagan
      LOST CONTINENT by Greg Egan
      INCOMERS by Paul McAuley
      POST-IRONIC STRESS SYNDROME by Tricia Sullivan
      INFESTATION by Garth Nix
      PINOCCHIO by Walter Jon Williams

      Connais-tu ? Es-tu intéressé ?

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  2. Un recueil qui m’a l’air bien sympa 😊 l’idée de faire intervenir des autrices en majorité est bonne et c’est marrant comme on constate qu’elles préfèrent traiter la guerre de manière éloignée, indirecte.

    Aimé par 1 personne

    1. Oui, exactement. Elles s’en tiennent éloignées. Et si elles s’en approchent comme le fait Elizabeth Bear, ce n’est pas tendre. Sinon le recueil est vraiment bien. Je crois que c’est mon préféré de la série.

      Aimé par 1 personne

        1. Alors là c’est la question piège, car cela dépend énormément des auteurs. Mais de manière générale, je dirais que non, ce n’est pas trop exigent. Et ce sont des textes courts donc ça passe bien.

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