L'épaule d'Orion

Il y a une vingtaine d’années, je débarquai de l’avion à San Francisco, et m’installai pour quelques années dans la Bay. L’un de mes premiers chocs, surtout en venant de Paris, fut que les Californiens avaient l’air perpétuellement heureux. Il ne m’a pas fallu très longtemps pour comprendre qu’afficher son bonheur et sa bonne santé était une obligation sociale, une apparence de réussite personnelle.

Dans Tout est sous contrôle, Christopher Bouix déroule cette idée de bonheur imposé comme norme sociale, dans un futur proche. Ici, et demain. Ou plutôt en 2084 pour le clin d’œil appuyé à George Orwell, mais qui pourrait tout aussi bien être aujourd’hui, à peu de choses près, tant l’histoire qui nous est contée est une simple projection du présent. Pas même une anticipation (il n’est jamais question de climat alors que ce sera la question principale, au-delà de tout autre sujet, dans la seconde moitié du siècle). C’est notre société, devenue obsédée jusque dans son organisation politique totalitaire par la réussite individuelle. Les technologies permettent une surveillance généralisée, et le contrôle du taux de bonheur individuel des citoyens. Un score est attribué, synonyme de rang social, et il est du devoir de chacun d’aspirer au score le plus haut, en affichant son épanouissement personnel sur les réseaux sociaux. Tout ceci est évidemment factice et il ne faut guère gratter beaucoup la surface pour révéler la fraude. La parole est donnée à une chorale d’une petite dizaine de personnages, pour faire craquer le vernis en un peu moins de 400 pages.

 Il y a deux ans, en 2023, j’ai lu avec bonheur Alfie, le premier roman de SF adulte écrit par Christopher Bouix (auteur qui publie avec un certain succès des romans jeunesse sous le pseudonyme de Nataël Trapp) publié par les éditions Au Diable Vauvert. Le roman, que j’avais trouvé très réussi, drôle et astucieux, sur la thématique de l’intelligence artificielle, m’avait convaincu au point que j’avais souhaité le proposer au sein de la courte liste des lectures recommandées pour le dossier spécial I.A. du numéro 113 de la revue Bifrost. Mon enthousiasme d’alors m’a fait beaucoup attendre de ce deuxième roman. Trop peut-être.

Christopher Bouix avance de nombreuses idées intéressantes au cours du récit, mais l’ensemble ne m’a pas convaincu. L’idée principale sur laquelle repose le récit, à savoir l’usage et la dépendance des réseaux sociaux n’est pas d’une folle originalité. Si vous êtes lecteur de SF, vous connaissez sans doute de nombreux textes de SF qui ont traité la thématique. Audrey Pleynet l’avait fait dans Citoyen+, tout comme Lavanya Lakshminarayan dans Analog/Virtuel, ou encore Claire North dans Sweet Harmony, pour ne citer que ces trois textes récents. Mais surtout, je trouve que Christopher Bouix manque ici d’ambition. Il lui aurait fallu aller plus loin et pousser les curseurs pour se distinguer des productions précédentes. D’autre part, ce qui rendait Alfie astucieux dans sa construction était un antagonisme émergent, basé sur une erreur de perception qui laissait le lecteur pendant longtemps dans le doute. Tout est sous contrôle n’offre pas ce petit bonheur à la lecture, car le monde dans lequel le roman se déroule est en quelque sorte figé, connu, et sans surprise quant à la direction du récit. Les personnages sont enfermés tant dans la société qui les entoure que dans leur propre dimension caricaturale. Sans qu’une échappatoire leur soit proposée pour sortir de l’attendu dans ce type d’histoire.

Après un Alfie réussi et prometteur, Tout est sous contrôle m’a semblé trop timide, trop classique, pour emporter mon enthousiasme une seconde fois. Sachez toutefois que tout le monde ne partage pas mon avis puisque le roman est dans la première sélection pour le Grand Prix de l’Imaginaire qui sera attribué en mai 2025.

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D’autres avis : Le Maki,

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• Titre : Tout est sous contrôle
• Auteur : Christopher Bouix
• Parution : 4 avril 2024, Au Diable Vauvert
• Nombre de pages : 400
• Support : papier (20 €) et numérique (12,99 €)