Quatre nouvelles – Bifrost numéro 111

La nouvelle livraison de la revue des mondes imaginaires éditée par les éditions Le Bélial’, Bifrost,  est arrivée ces jours-ci dans toutes les bonnes boites à lettres et demain dans quelques librairies au goût sûr et orienté vers les mauvais genres. Le numéro 111 est cette fois-ci consacré à l’auteur américain Gene Wolfe disparu en 2019. Du côté des nouvelles proposées, on y trouve : Gene Wolfe (donc), Rich Larson (un auteur maison), Jean-François Seignol (un nouvel entrant) et Sequoia Nagamatsu. Revue de détail…

L’Île du docteur Mort et autres histoires – Gene Wolfe

Publié la première fois dans une anthologie de Damon Knight en 1970 puis repris dans le recueil “The Island of Doctor Death and Other Stories and Other Stories” en 1980, L’Île du docteur Mort… est, comme son nom l’indique, un texte hommage au roman L’Île du docteur Moreau de H.G. Wells (1896) et, de manière plus générale, à la littérature de l’imaginaire en tant que médium d’évasion. La nouvelle raconte l’histoire d’un jeune garçon vivant isolé dans une grande maison sur la côte atlantique avec sa mère et quelques autres adultes. Un jour, l’amant de sa mère lui offre un livre. Désemparé face à un monde adulte dont il ne comprend pas les modes d’interaction, qui cache une réalité sordide, il s’évade par la lecture. Les personnages du roman se mêlent aux adultes qu’il côtoie et le roman prend la qualité de guide moral lui permettant de faire un choix basé sur une distinction du bien et du mal. La nouvelle est saisissante en tant qu’hommage au pouvoir de l’imaginaire. Cela dit, j’ai toujours un haussement de sourcil quand la littérature rend hommage à la littérature et que les livres parlent de livres. Je sais que c’est un thème dont les auteurs et les éditeurs, notamment au Bélial’, sont friands, mais je ne peux m’empêcher d’y voir une forme d’adoration où le sujet et l’objet se confondent. Je préfère qu’un texte m’apporte l’évasion plutôt qu’il me conte l’évasion par les livres.

Le Requin conceptuel – Rich Larson

Voici un texte que j’avais lu en anglais lors de sa publication dans la revue Asimov’s Science Fiction, il y a deux ans. J’avais adoré, et j’adore toujours autant. Je reprends ici en quelques mots ce que j’en avais déjà dit. Le Requin conceptuel est un texte humoristique, qui part d’une idée tordue, enchaine les dialogues absurdes, et se conclut par une chute qui lui donne toute sa profondeur. Le narrateur, Adam, a un souci. Il se fait attaquer dans sa salle de bain par un requin surgi de la tuyauterie. Nora, sa psy, tente de le convaincre qu’il ne s’agit là que d’un « requin conceptuel », d’une hallucination qui donne forme à une peur enfouie. Mais rien n’y fait, Adam se fait attaquer chaque fois qu’il approche de l’eau, et manque de se faire dévorer. La folie va croissante. Une solution sera trouvée de manière inattendue dans le bureau de Nora, mais l’ouverture de la boite de Pandore a toujours des conséquences. On pourra voir, et c’est mon cas, Le Requin Conceptuel comme une critique de la psychanalyse. Quoi qu’il en soit, le texte est très drôle, la chute vertigineuse, et il est surtout très bien écrit. Voilà donc une très bonne manière de découvrir à la fois l’écriture et une face de l’univers de Rich Larson.

Le Groom – Jean-François Seignol

Nouvel entrant dans les pages de Bifrost, Jean-François Seignol est l’auteur d’une dizaine de nouvelles publiées et d’un recueil, Le Tango des ombres, paru en 2022. Dans Le Groom, Jean-François Seignol revisite le thème du zombie. Si à l’origine le mot désigne dans la culture hawaïenne un revenant victime d’un sortilège et rendu corvéable à merci, l’auteur remplace ici le sorcier vaudou par un médecin peu scrupuleux qui, aidé par les progrès de la médecine, transforme les défunts en main d’œuvre à pas cher au service des corporations. Mais l’on sait, car c’est un invariable des mythes de l’imaginaire, que les histoires de zombies ne finissent jamais bien. Pas mal.

La Cité du rire – Sequoia Nagamatsu

Voici un auteur que je ne connaissais pas. Le texte La Cité du rire est tiré du recueil How High We Go in the Dark publié en 2022. La note d’introduction nous informe que ce recueil est traduit en français et sortira début 2024 aux éditions du Seuil. Cette publication dans les pages de Bifrost est donc l’occasion de faire connaître l’auteur avant une sortie plus importante. La Cité du rire imagine un futur proche dans lequel les enfants de la planète sont touchés par une épidémie d’origine virale (et ancienne) qui condamne les contaminés à voir leurs organes s’effondrer les uns après les autres. La mort est certaine, mais lente. Des parcs d’attraction, comme La Cité du rire, sont créés pour accompagner les enfants et leurs parents vers la sortie. Il s’agit ni plus ni moins d’euthanasie pour abréger les souffrances sous la forme de montagnes russes. C’est un texte glaçant et percutant mais très humain, notamment à travers son narrateur. Je lui ferais tout de même le reproche d’une certaine facilité tant il est aisé de soutirer des larmes en évoquant la cruauté du sort des enfants malades, d’autant plus lorsqu’on crée de toutes pièces les conditions pour que ce soit encore plus cruel. Très beau texte néanmoins.


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