
Quelle excellente surprise que ce livre ! Les Flibustiers de la mer chimique, à paraître chez Albin Michel Imaginaire le 28 septembre, est le deuxième roman écrit par Marguerite Imbert, après Qu’allons-nous faire de ces jours qui s’annoncent ? publié en février 2021 chez Albin Michel. Ce dernier, que je n’ai pas lu, est un roman contemporain ayant pour cadre l’évacuation de la ZAD de Notre Dame des Landes. Les Flibustiers de la mer chimique est donc la première incursion de l’autrice dans le domaine de la science-fiction, mais les thématiques abordées restent proches puisqu’il est ici question d’écologie, ou plutôt de désastre écologique, et de luttes individuelles et collectives dans le but de créer une nouvelle société. Avec un twist balancé dès l’incipit du roman : « Je ne crois pas que l’apocalypse soit nécessairement une chose triste ». Ces quelques mots d’ouverture, le titre du roman et l’illustration de couverture imaginée par Sparth, annoncent la couleur : dans le genre post-apocalyptique, Marguerite Imbert fait tout à l’envers. Et c’est précisément de là que vient la surprise et la joie de cette lecture.
Quelle qu’en soit la date exacte, ce futur est proche, beaucoup trop proche. Mise au pied du mur par le réchauffement climatique, la montée brutale du niveau des océans, les atteintes répétées aux écosystèmes et la pollution généralisée de la terre, de l’air et de l’eau, l’humanité a continué à déconner comme si de rien n’était. Ce fut donc l’hécatombe – dont nous n’apprendrons la nature exacte qu’à la fin du roman – et en quelques jours, huit milliards d’individus s’en sont partis retrouver leur créateur. Un bon paquet d’années plus tard, la planète est ravagée, les océans ne sont plus que des mers chimiques acides et les terres sont en piteux état. On estime tout au plus à un million le nombre de survivants. Un peu partout, des clans se sont formés, se sont battus, des guerres de tribus ont éclaté et des alliances ont été formées. L’heure est à la survie dans un marasme mondialisé où les médicaments et les drogues servent de monnaie d’échange, où les technologies du monde d’avant sont recherchées puisqu’il n’y a plus personne pour en créer de nouvelles, où les transhumains sont autant pourchassés que jalousés, et dans lequel les animaux qui ont survécu ont mutés. Des hordes de chiens intelligents parcourent les continents en exterminant ce qui reste de l’humanité dispersée et, dans les océans, les poulpes, requins ou autres bestioles, sont devenus des géants plus dangereux encore que les eaux mortifères dans lesquelles ils pataugent.
« Je ne sais pas vous, mais moi je me sens jugée. Je sais que nous nous sentions coupables autrefois. Je n’ai pas inventé la honte, encore que j’en serais bien capable. Quand le gouvernement de France lançait ses escadrons par douzaine pour expulser les écolos des sites qu’ils voulaient vendre ou exploiter, les militants criaient : la nature déteste les flics ! Ils passaient à côté de la vérité. La vérité, c’est que la nature déteste la race humaine. »
L’histoire se construit en deux arcs narratifs, qui éventuellement se rejoindront. Le premier a pour personnage principal et narrateur Ismaël. Naturaliste un peu trop âgé et dépressif pour se lancer dans ce type d’aventures, il est toutefois envoyé par la Métareine de Rome en mission. À la suite d’un naufrage, il est fait prisonnier avec ses deux compagnons par une bande de flibustiers dirigée par Jonathan, un jeune capitaine fantasque, sorte de fusion entre le capitaine Achab et un Jack Sparrow du troisième millénaire, qui écume les mers à bord d’un sous-marin nucléaire retapé et accompagné de trois poulpes géants héroïnomanes. Le second arc a pour personnage Alba, jeune femme isolée du monde et éduquée depuis son plus jeune âge à être une Graffeuse, c’est-à-dire une mémoire des connaissances humaines contenues dans les livres, pour les restituer sous forme de fresques. Bien trop jeune et sans expérience de la vie, elle possède d’immenses connaissances théoriques qu’elle ne sait ni hiérarchiser ni confronter à la réalité du monde. Et parfois tout se mélange un peu dans sa tête, surtout qu’elle a clairement une araignée au plafond. Elle est enlevée par les armées de la Métareine de Rome qui la veut à ses côtés. Les Flibustiers de la mer chimique fait le récit des aventures dans lesquelles ces deux personnages vont être entraînés au gré des rencontres qu’ils vont faire chacun de leur côté.
« Le monde est bourré de gens qui luttent et se donnent du mal pour parvenir à leurs fins. Mais certains d’entre nous vagabondent et dansent plus qu’ils n’avancent. Ils les surpasseront toujours sans effort. »
Si l’univers décrit par Marguerite Imbert ressemble aux meilleurs cauchemars de Peter Watts, l’autrice prend le contrepied de la déprime. Le roman assume pleinement sa part sombre, et à l’occasion va gratter dans les plaies, mais l’autrice n’a aucunement l’intention de vous faire sauter par la fenêtre de manière prématurée. Elle instille dans son roman une bonne dose d’humour totalement irrévérencieux et débridé qui sans cesse, en arrière-plan, pointe les errances et les erreurs de l’humanité. Et de ce côté, elle tape large, n’épargnant rien ni personne. À travers une galerie de personnages hauts en couleur, elle illustre un catalogue d’attitudes, probables ou pas, face à l’extinction, depuis ceux qui la souhaitent à ceux qui croient encore à la possibilité d’un avenir. Parmi ceux-là, certains œuvrent, chacun à leur manière, s’attribuent des rôles, se dotent d’une mystique, au risque de reproduire invariablement les erreurs du passé. Jonathan, imprévisible, cruel et joyeux, assume lui totalement la ligne « foutus pour foutus, autant viser le feu d’artifice ». Alba, engoncée dans ses connaissances livresques et ses certitudes, est involontairement comique (et cela donne lieu à des pages très drôles) mais aussi terriblement dramatique. Elle incarne une humanité toute jeune, quasiment une intelligence artificielle sans expérience ni regard critique, qui aborderait l’Histoire sans aucune nuance ni compréhension des liens de cause à effet. Comme si tout cela n’avait finalement aucun sens.
Tragi-comédie post-apocalyptique autant que satire moraliste, Les Flibustiers de la mer chimique de Marguerite Imbert est un roman débridé, original, effervescent et totalement barré. Un dernier plaisir de lecture avant la fin du monde.
Le roman a été récompensé par le Grand Prix de l’Imaginaire 2023.
D’autres avis chez : Le Nocher des livres, Gromovar, Weirdaholic, Le Dragon galactique, Au Pays des cave trolls, Les blablas de Tachan, Feygirl, Sometimes a book, Ombrebones,
- Titre : Les Flibustiers de la mer chimique
- Autrice : Marguerite Imbert
- Publication : 28 septembre 2022 chez Albin Michel Imaginaire
- Nombre de pages : 464
- Support : papier et numérique
Après la lecture de cette chronique je suis plutôt convaincue ! Je me laisserais sans aucun doute tenter. Merci pour ma découverte.
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Je le recommande franchement. On s’y amuse beaucoup.
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Cet éditeur propose des choses très intéressantes
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Bon bon bon … Le thème ne m’attirait pas trop (on vit déjà un présent anxiogène), mais ce que tu dis de son traitement me tente davantage.
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C’est un roman qui n’est pas du tout depeii, au contraire. Il est très amusant à lire.
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Le côté catastrophe écologique me fait un peu peur, mais ça a tout de même l’air pas mal du tout. Merci 🙂
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