L’Amour, La Mort – Dan Simmons

Le numéro 101 de la revue Bifrost, paru en janvier 2021, a consacré un vaste dossier à Dan Simmons, auteur d’un des cycles les plus connus de l’histoire de la science-fiction, Les Cantos d’Hyperion. À l’instar de Dune, nombre de lecteurs sont venus à la science-fiction grâce à Dan Simmons et Hypérion. Et comme dans le cas de Frank Herbert, le succès d’une œuvre fait souvent oublier que son auteur n’a pas écrit qu’un livre (quand bien même, métaphoriquement, cette affirmation est parfois discutable, mais c’est un autre débat). La principale vertu du dossier Bifrost est de mettre en lumière les écrits moins connus de Dan Simmons, ainsi que leur diversité. Car si Dan Simmons n’a pas écrit que Hyperion, il n’a pas non plus écrit que de la science-fiction. Les lecteurs, eux aussi nombreux, qui ont découvert l’auteur par son roman historico-fantastique Terreur (seule œuvre de Simmons à avoir fait l’objet d’une adaptation en série télévisée) en savent quelque chose. Je vous renvoie à la revue pour plus de détails biographiques et bibliographiques, puisque ce n’est pas l’objet de cette chronique. C’est en tout cas la lecture de ce dossier qui m’a donné l’envie d’explorer un peu plus en avant les écrits de l’auteur, notamment à travers ses nouvelles – vous le savez si vous lisez ce blog, je suis amateur de la forme courte qui est la quintessence du genre.

Contrairement à d’autres, Dan Simmons n’a pas écrit énormément de nouvelles, préférant les langueurs du roman pour développer ses idées. Seuls deux recueils ont été traduits en français, et sont disponibles chez Pocket comme par ailleurs l’ensemble de son œuvre : L’Amour, La Mort (1993) et Le Styx coule à l’envers (1997).

L’Amour, La Mort regroupe cinq textes qui tous appartiennent à des genres littéraires différents, si tant est qu’on souhaite catégoriser l’imaginaire. En cela, il s’agit d’un formidable ouvrage pour aborder à la fois la plume particulièrement travaillée de l’auteur et son éclectisme. En outre, le recueil s’ouvre sur une longue introduction de Simmons lui-même qui explique au profit du lecteur sa genèse et ses intentions. Le lien entre ces textes est donné par le titre même du recueil : l’amour et la mort, soit une variation moderne sur le thème classique du couple Eros et Thanatos qui lie en un oxymore d’apparence les pulsions de vie et de mort, de création et de destruction. Cinq variations, donc.

Le Lit de l’entropie à minuit (Prix Locus 1991)

La première nouvelle – dont on se dit qu’elle a dû inspirer quelques bonnes pages à Chuck Palahniuk pour son roman Fight Club (1996) – raconte les angoisses d’un père, séparé de sa compagne suite au décès accidentel de leur plus jeune fils, agent d’assurance automobile quotidiennement confronté à l’absurdité de la mort, face à l’existence fragile de sa fille de six ans qu’il emmène faire du ski pour quelques jours de vacances. Dan Simmons excelle dans la superposition des images et des scènes pour créer une angoisse latente sur fond de drame familial. L’amour et la mort ici s’affronte dans la psyché d’un père sous la forme d’une dichotomie inimaginable que tout parent connait.

Mourir à Bangkok (Prix Locus 1994)

La seconde nouvelle lie dans le sang sexe et mort, de manière très explicite, à l’heure de l’épidémie du sida. Elle raconte les virées d’un GI durant la guerre du Vietnam, les tentations sexuelles à Bangkok, leur conséquences tragiques, puis son retour des années plus tard dans la ville à la recherche d’une femme et de sa fille. Il est question de désirs mortels, de vengeance et de vampire.  La nouvelle met en scène au premier degré le couple l’Eros et Thanatos. Elle est violente, malsaine, et très marquante.  

Coucher avec des femmes dentues

Reprenant le mythe du vagin à dents, symbolisant l’angoisse de la castration en psychologie, Dan Simmons met ici en avant l’héritage amérindien et règle ses comptes à « la condescendance sirupeuse » du film Danse avec les loups de Kevin Costner (1990). Lassé des représentations « à vomir » de son peuple, un vieux Sioux raconte l’histoire de son arrière-grand-père, Hoka Ushte (Blaireau Boiteux), qui eut jeune une vision de l’avenir de son peuple et partit en une quête personnelle. Nous sommes là encore dans le fantastique, mais cette fois-ci s’exprime l’énergie créatrice qui naît parfois de la confrontation entre Eros et Thanatos.

Flash-back 

La nouvelle écrite en 1993, préfigure le roman de 2011, objet de polémique pour son inclinaison politique très droitière. La nouvelle raconte une Amérique en prise avec la drogue Flash-Back qui permet à celui qui la prend de revivre un souvenir, au risque de perdre pied avec le présent, ce qui ne manque d’arriver et met la société américaine en péril. Si c’est la nouvelle la plus ouvertement science-fictive du recueil, c’est aussi à mon avis la moins convaincante. Mais je dois avouer que ma lecture de ce texte a totalement été biaisée par la connaissance de ce que l’auteur fera de l’idée centrale plus tard dans le roman.

Le Grand Amant

Le recueil se ferme sur le texte le plus long, une novella plus qu’une nouvelle, et aussi le plus marquant. Sans aucun doute le morceau de bravoure littéraire de l’ouvrage. Nous sommes ici dans une exploration fantastico (un peu) – historique (beaucoup) comme l’a été le roman Terreur. Le Grand Amant fait le récit, sous la forme du journal intime d’un poète fictif, James Edwin Rooke, de la guerre des tranchées durant la première guerre mondiale. Marqué par les écrits de poètes anglais qui ont participé à ce drame, Dan Simmons utilise de vrais poèmes de différents auteurs. La reconstitution laisse libre court à l’horreur sans qu’il soit besoin de plus d’artifices. La description clinique des morts laisse à penser que Simmons a lu Orages d’acier d’Ernst Jünger. La part fantastique se déclare lorsqu’au fond d’une tranchée ou d’un lit d’hôpital, James Edwin Rooke fait face à la mort et la fantasme sous l’aspect d’une femme qui lui rend plusieurs fois visite, en lui promettant chaque fois une nouvelle rencontre. C’est là un superbe texte, absolument horrible et profondément marquant.

C’est peu dire que nous sommes là à des lieues d’Hyperion, et pourtant… on retrouve dans le recueil L’Amour, La Mort aussi bien la plume de Dan Simmons que les grandes thématiques qui traversent son œuvre la plus connue dans laquelle la mort, ne l’oublions pas, est symbolisée par le Gritche, ainsi que son amour pour la poésie. Ce fut une superbe lecture. Violente, parfois très crue autant dans ses scènes de sexe que de mort, mais toujours très marquante par les images que l’auteur impose au lecteur, et qui font que les cinq nouvelles ne restent jamais au seuil de l’horreur mais y plongent inexorablement.


D’autres avis : Yozone, Un Papillon dans la Lune,


  • Titre : L’Amour, la Mort
  • Auteur : Dan Simmons
  • Publication : Pocket, le 28 janvier 2021 pour la présente édition
  • Traduction : Monique Lebailly
  • Nombre de pages : 512
  • Format : papier et numérique

4 réflexions sur “L’Amour, La Mort – Dan Simmons

  1. Petite faute d’orthographe:
    « C’est peu dire que nous sommes là à des lieux d’Hyperion »
    Les lieues c’est la distance donc:
    C’est peu dire que nous sommes là à des lieues d’Hyperion

    😉

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