Entre autres univers – Emet North

In Universes est paru aux États-Unis le 30 avril 2024 et a reçu un bel accueil critique. Il s’agit du premier roman d’Emet North. Il a été traduit par Gilles Goullet et nous arrive sous le titre Entre autres univers dans la collection imaginaire Lunes d’encre chez Denoël en mai 2025. C’est un étrange récit dont la catégorisation en science-fiction et le descriptif ne laissent pas imaginer a priori son véritable propos. Avant lecture, je pensais avoir à faire à de la pure SF voguant sur l’idée des univers parallèles, et je me suis retrouvé face à un texte introspectif, psychologique, qui m’a plus évoqué La Fille qui se noie de Caitlin R. Kiernan, ou Stella Maris de Cormac McCarthy ou encore Clapotille de Laurent Pépin. Emet North nous invite plus à voyager dans les tréfonds de l’âme, la sienne, que dans le cosmos. On y devine une dimension autobiographique.

Le roman s’ouvre sur le portrait de son personnage principal, Raffi (diminutif de Raphaella), étudiante en physique sur la matière noire dans l’univers, qui par découragement et manque de confiance en soi, choisit de réorienter ses travaux vers la philosophie et l’existence de réalités parallèles à la nôtre. Il se poursuit par une succession de chapitres indépendants, chacun plongeant le lecteur dans une version alternative où Raffi réinvente son histoire propre, ses relations avec les gens qui ont croisé sa vie, ses souffrances et ses doutes. Dans chacune de ces histoires, les personnages changent de rôle, interviennent à des époques différentes. Parfois, elle est dans une relation avec des hommes, mais elle est plus souvent amoureuse des femmes, ce qu’elle accepte plus ou moins selon son âge. Le passage d’un chapitre à l’autre se fait par un personnage, une situation, une idée, un sentiment, et l’ensemble dessine pas à pas un tableau plus vaste, au-delà des univers cloisonnés. En début de roman, Raffi parle à la première personne et se définit au féminin. À mi-parcours, la parole passe à la troisième personne et Raffi devient iel.

« J’ai vécu une si grande partie de ma vie à essayer d’un un certain type d’homme… ou à revendiquer en tant que femme ces possessions masculines. Mais dans l’obscurité profonde des bois, je ne suis ni un génie, ni une femme, ni un succès, ni un échec. Comment comprendre le fait que je n’arrive à me définir que par la négation ? »

Au fur et à mesure que l’on progresse dans le livre, les univers traversés perdent en réalisme, dans un tourbillon qui menace d’emporter la rationalité Raffi tout autant que celle du lecteur. Certains chapitres sont particulièrement imaginatifs et déroutants ; la réalité se déchire, et l’on tend parfois vers l’horreur. Le regard de Raffi, clinique, montre à la fois un détachement et une cohérence émotionnelle entre les différentes itérations. Aucune d’entre elles ne lui offre la sérénité. Cette exploration des possibles n’est pas heureuse. Raffi se perd. Le syndrome de l’imposteur qui l’accable touche autant sa vie professionnelle que sa vie affective, et iel ne se sent pas plus légitime dans le monde de la cosmologie que dans la vie de couple. La charge émotionnelle touche, résonne, et plombe le moral. Au-delà de sa dimension fantastique, Entre autres univers est une réflexion intime sur les choix de vie, les regrets, le poids du passé, la culpabilité et la quête de soi. Y sont évoqués la dépression, le suicide, la mort, les dépits amoureux, les drames familiaux et intimes, la Shoah, l’apocalypse. Entre autres univers n’est pas un roman joyeux.

L’avant-dernier chapitre propose une explication à tout cela, un retour sur expérience. Le dernier chapitre, une autre variation, une voie de sortie étonnante, pas forcément celle qu’on imaginait, mais pourquoi pas. Cela ou autre chose…

Dans une lecture au premier degré, Emet North utilise les ressorts de la science-fiction et plus encore du fantastique, invoque des univers parallèles. Mais ce n’est qu’un prisme permettant d’explorer la fluidité de l’identité personnelle et des relations humaines, la complexité de l’existence. Entre autres univers n’est pas un roman que je classerais en science-fiction, à la limite du genre, à la limite, si vous insistez. C’est une introspection, une expérience psychologique, un questionnement en grande partie autobiographique. C’est un roman que j’ai trouvé fort, marquant, déroutant, porté par une écriture à la puissance émotionnelle remarquable.


  • Titre : Entre autres univers
  • Auteur : Emet North
  • Traduction : Gilles Goullet
  • Publication : 14 mai 2025, Denoël, coll. Lunes d’encre
  • Nombre de pages : 304
  • Format : broché (21 €) et numérique (14,99 €)

5 réflexions sur “Entre autres univers – Emet North

  1. Merci pour ton avis, j’étais justement en hésitation face à ce texte qui me semblait si particulier. Maintenant je peux dire que je ne suis pas sûre qu’il soit fait pour moi, car je m’attendais à quelque chose de plus dense au niveau science-fiction et notamment univers alternatifs.

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