
En septembre dernier, les éditions Argyll lançaient une nouvelle collection de romans courts, RéciFs, avec la publication de Le Bracelet de Jade de Mu Ming. Cinquième texte de la collection, Hard Mary de Sofia Samatar est sorti le 11 avril. Peu connue en France, l’écrivaine américaine a vu son roman de fantasy Un étranger en Olondre publié chez L’Instant en 2016 et réédité chez Argyll en 2022. Elle est en outre autrice d’une petite dizaine de nouvelles parues dans divers magazines spécialisés (Angle mort, Galaxies, etc.).
L’accueil fait à Hard Mary, encore discret, est toutefois très positif si l’on en juge par les retours sur les réseaux asociaux, avec nombre coups de cœur chez les libraires et parmi les quelques blogueurs qui l’ont lu. Je suis pour ma part plus réservé, en très grande partie en raison d’un biais personnel.
Très brièvement, parce que le texte lui-même est court, à peine 80 pages, l’histoire se déroule à Jéricho, une communauté anabaptiste de Pennsylvanie. Alors qu’elles font sept fois le tour de la grange la nuit de la veille de Noël pour trouver un mari, un groupe de jeunes femmes découvre un androïde, d’apparence féminine, dépourvu de jambes. Il s’agit là, elles le savent, d’un produit des industries profanes venu du monde extérieur, mais décide dans un premier temps de l’accueillir et de la cacher, en lui donnant le nom de Hard Mary.
Hard Mary est un conte tant sur la forme que par l’ambition. C’est un récit de science-fiction qui confronte sans manichéisme trop poussé, juste ce qu’impose le format, deux mondes incompatibles : l’un est celui d’une communauté religieuse mennonite isolée du monde, et l’autre est le monde moderne extérieur, technologique et perçu comme déviant. Si les lignes morales sont clairement exposées, la part plus subtile du propos vient des échanges et d’une évolution partielle des positions. C’est aussi un récit d’émancipation féminine au sein d’une communauté profondément patriarcale. Hard Mary devient rapidement le symbole de la condition féminine pour quelques jeunes femmes, quand se pose la question de savoir si Hard Mary n’est qu’un outil qu’on peut faire travailler dans les champs à loisir, la confinant ainsi dans le rôle qu’on lui impose, ou si elle est une personne à part entière. Une seule parmi elles, Min, qui n’est pas la narratrice de l’histoire, prend son destin en main, reprogrammant le robot tout autant qu’elle se reprogramme elle-même et ira au bout de son cheminement. Lyddie, la narratrice, restera sur la voie que sa religion a tracée pour elle, comprenant toutefois et contemplant l’horizon des possibles.
Hard Mary est un conte, et en tant que tel, il est parfaitement mené. Mais on touche là à la limite de l’exercice en ce que le récit d’émancipation est facilité, trop, par les inhérentes ellipses qu’il contient, les fils qu’il ne faut pas trop tirer au risque de défaire l’ouvrage. Le principal étant les connaissances technologiques avancées qui permettent à Min, au sein de cette communauté fermée, de reprogrammer le robot.
Ce qui m’empêche d’apprécier pleinement la novella, tout en appréciant la forme du conte et le récit d’émancipation, est mon désintérêt profond pour la question religieuse. Sofia Samatar est elle-même mennonite, et épouse une branche plus moderne et libérale de cette religion, qui sait se faire critique des variantes anabaptistes les plus extrêmes. En ce sens, Hard Mary est certainement vertueux, et devrait parler à de nombreux lecteurs. Pour ma part, elle est encore trop proche de la religiosité, quand j’en suis infiniment éloigné. Biais personnel, disais-je, que cela ne vous freine pas si votre sensibilité et votre histoire propre est autre.
- Titre : Hard Mary
- Autrice : Sofia Samatar
- Traduction : Patrick Dechesne
- Publication : 11 avril 2025, Argyll, coll. RéciFs
- Nombre de pages : 128
- Format : broché (9,90 €) et numérique (5,99 €)
Ça me fait penser que Un étranger en Olondre est sur ma liste des bouquins à acheter (BAA). Il semblerait que le côté religieux ne soit pas présent sur ce dernier. Merci pour la chronique.
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Je n’ai pas lu Un étranger, donc je ne saurais dire. Je sais juste qu’il a eu bon écho.
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Je l’ai surtout pris pour l’autrice mais j’avoue que j’appréhende le côté religieux étant moi aussi très éloignée de cette dimension et pouvant me braquer et ressentir de la colère à son contact ^^! Mais je me dis que 80 pages, ça se case facilement pour tester 😉
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Il est à la biblio, si j’ai le temps, je l’emprunterai pour le découvrir ! 😉
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