Les itinérants — Francesco Verso

Les Itinérants est un roman de science-fiction de l’auteur italien Francesco Verso, préfacé par Ugo Bellagamba, et publié ces jours-ci par les éditions Mnémos. Comme en atteste le bandeau de l’éditeur, il est considéré — ou en tout cas vendu — comme le roman phare du mouvement solarpunk. Le solarpunk est un mouvement littéraire qui — d’après Wikipédia dont je reproduis ici le verbatim tant il me semble juste et précis — « propose une anticipation optimiste d’un avenir désirable, durable, interconnecté avec la nature et la communauté, à la lumière des préoccupations des luttes intersectionnelles du début du XXIe siècle, non seulement au sujet de l’environnement, à l’égard du changement climatique et de la pollution, mais aussi des inégalités sociales et des intolérances et discriminations sociales (de genre, sexistes ou ethniques) ». Et « il envisage un avenir positif pour l’humanité par un usage modéré et responsable de la technologie ». Le programme est alléchant, me direz-vous, sauf que le contrat n’est jamais rempli en ce qui me concerne, notamment sur le point essentiel qui le définit : « un avenir désirable ». Chacun décidera de ce qui constitue un avenir qu’il estime désirable, mais à tout le moins on attend d’une telle proposition qu’elle s’attache à avancer une solution, même imparfaite, aux nombreux problèmes de notre époque. Or, les romans estampillés solarpunk sombrent trop souvent dans ce que Gromovar sur son blog Quoi de neuf sur ma pile nommait le ZADPUNK. Le zadpunk est un renoncement politique, un constat d’impuissance. Face à la misère du monde, à ses injustices, à ses dysfonctionnements, il n’a pas de solution. Son idéal est la sécession, l’abandon, le refus de la lutte, pour se tourner vers le modèle libertaire et fantasmé de la tribu, de l’existence recluse en petits groupes loin de la société, loin des lois et des institutions, loin des problèmes des autres huit milliards d’habitants sur la planète. Souvent en buvant du thé.

À ce moment de ma recension, lecteur, tu t’attends sans doute à un retournement, une déclaration du type « sauf Les Itinérants ». Eh bien non, il n’y aura pas de twist, le roman de Francesco Verso est affecté de tous les défauts du sous-genre dont il se veut le phare.

Commençons par les points positifs : le récit se déroule à Rome.

Les points négatifs, maintenant : tout le reste. Les Itinérants est le parangon de tout ce que je reproche au solarpunk, et plus encore.

On n’y échappe guère, le futur désirable de l’auteur est la tribu, la famille qu’on ne subit pas, mais qu’on choisit. « À l’aube de l’effondrement de la civilisation occidentale », nous dit la quatrième de couverture, un petit groupe de chauffeurs de pousse-pousse, les pulldogs, exerçant ses activités dans les rues de la capitale italienne va mettre la main sur une technologie pirate à base de nanites pour se libérer des contingences de la biologie. Voyons comment le roman aborde la question « des inégalités et des intolérances et discriminations sociales ». L’impulsion révolutionnaire est donnée par Alan qui a eu un accident qui l’a rendu paraplégique. Aidée par sa mère qui fait les démarches, il teste sur lui-même l’effet de nanorobots pour soigner ses vertèbres brisées, car, accrochez-vous… mieux vaut mourir que vivre le restant de sa vie dans un fauteuil roulant. Ce type de discours est précisément celui qui était dénoncé récemment par les associations de défense des handicapés lors des discussions autour de la loi sur l’aide à mourir en France. Un autre personnage clef du roman est Nicolas. Lui est affecté d’obésité morbide. Pour le convaincre de les rejoindre, Alan ira jusqu’à lui dire qu’il faut qu’il arrête de manger s’il veut perdre du poids et ainsi changer sa vie. Les intéressés apprécieront à leur tour ce discours qu’on leur a déjà asséné un million de fois. Car voilà, l’ingestion de nanites, en plus de réparer miraculeusement les corps (nous sommes dans la magie pure), permet à notre tribu de se passer totalement de manger. Car quoi de plus répugnant que de forcer des aliments d’un côté de son corps pour les chier deux jours plus tard ?

Conséquence de l’utilisation des nanites : les pulldogs sont des êtres magnifiques, aux corps désirables, c’est-à-dire en bonne santé, musclés, de vrais athlètes capables d’acrobaties dans les rues de la ville. Bref, des Übermensch zadistes.

Je m’arrête là, sinon pour dire que je n’ai rien apprécié dans ce livre. Je ne trouve rien d’enviable à cet avenir-là et, plus qu’un phare, j’y vois un livre noir du solarpunk.


D’autres avis (plus positifs) : Le Nocher des livres,


  • Titre : Les itinérants
  • Auteur : Francesco Verso
  • Traduction : Stéphan Lambadaris
  • Publication : 4 juin 2025, Mnémos
  • Nombre de pages : 327
  • Format : broché (22,50 €) et numérique (9,99 €)

13 réflexions sur “Les itinérants — Francesco Verso

  1. J’aime assez vos critiques de livres, et encore, je ne dirai pas critique mais réflexions posées sur les thèmes, l’histoire, ses traitements et j’en passe.
    C’est limite des bases pour d’autres histoires…
    … à écrire ^^
    Jamais tenté par l’envie ?
    (Ou alors, déjà fait et honte à moi si je ne l’ai pas vu ou su)

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    1. Jamais ! Je pense que pour avoir l’envie d’écrire, il faut estimer avoir quelque chose à dire. Et, en plus du talent, il me manque ce sentiment d’avoir un truc intéressant à apporter. Je me contente de critiquer les efforts des autres, c’est plus facile 😉.
      Plus sérieusement, je trouve mon bonheur d’écriture dans la traduction.

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      1. Le Bonheur est semble t’il fort bien trouvé, vu que nous sommes nombres à vous suivre et échanger avec vous via les commentaires ^^
        Et vous apportez réellement des choses, tant par vos traductions (donc les recherches faites) que par vos critiques.
        Elles nous font réfléchir, sortir l’esprit de sa zone de confort littéraire, et c’est un bien fou par ces temps (toujours troublés depuis la naissance de l’humanité… Réflexion faite).

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  2. Ouille ! Ça tire à balles réelles, mais c’est franc et argumenté.
    Je n’ai encore jamais lu de Solarpunk, et avec ce tire, je me disais que je pourrais tenter… .
    Ta remarque sur les handicapés m’a particulièrement refroidie.
    Le pire, c’est qu’encore aujourd’hui beaucoup de gens qui pensent que la vie d’un handicapé (quel que soit le handicap) n’en vaut pas la peine, que c’est une bouche inutile à nourrir, qu’il devrait être à la charge de la famille et non de la société, puisque la mère a décidé de ne pas avorter (entendu plusieurs fois à propos de handicap mental ou de handicap psychique qui ne se détecte que durant l’enfance ou l’adolescence).
    Je m’égare, ce n’était pas le sujet principal de ta chronique.
    Il faudra que je trouve autre chose pour tester la SF italienne.

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    1. Ce n’est pas le sujet principal, ni de ma chronique ni du livre, mais c’est tout de même le premier élément qui m’a refroidi à la lecture – alors que je trouvais le début du roman plutôt intéressant – et qui par la suite n’a fait que s’amplifier avec une sorte d’obsession autour de l’image du corps et sa fonctionnalité. Je trouve qu’il y a là un gros raté de la part de l’auteur.

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  3. Enfin un livre qui n’ira pas rejoindre ma PIL. Ceci dit, autant ta critique du roman m’a convaincu, autant celle du solarpunk (quoique je préfère le terme de hopepunk – s’agit-il de la même chose ?) me laisse insatisfait. « Le zadpunk est un renoncement politique, un constat d’impuissance. » Certes, il existe un zadpunk/solarpunk/hopepunk béat pour lequel un avenir paradisiaque est déjà inscrit. Mais il en existe un autre plus combatif, selon lequel nous forgeons aujourd’hui notre futur, sans nous laisser aveugler. « Hope without fear is naïve. But fear without hope is nihilism. It’s paralysis. » (Becky Chambers, https://www.thebooksmugglers.com/2017/03/sff-conversation-becky-chambers-case-optimism.html). Comme le dit Ada Palmer, le hopepunk est une réaction à la fois au grimdark cynique, nihiliste et décourageant et à ce qu’elle appelle les histoires de « Disney Princess ». Dans cette conception, le hopepunk peut être décrit « as weaponized optimism, and as rising from a culture of resistance, specifically anti-authoritarian resistance which swelled around the globe in the wake of 2016, connected with what Malka Older has called speculative resistance » (https://beforewegoblog.com/purity-and-futures-of-hard-work-by-ada-palmer/). Mais je suis déjà trop long, un tel débat dépasse, je crois, le cadre d’un simple commentaire.

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  4. Merci pour cette chronique très intéressante.

    Je n’ai encore jamais lu de solar punk mais je suis assez attiré par ce courant vu qu’on en parle beaucoup en ce moment. Cependant, ta critique du modèle promu autour de la tribu/zad m’interpelle car celui-ci est caractéristique d’une difficulté au sein d’une partie de la gauche à penser une solution qui s’attaque à la totalité sociale face à la catastrophe du capitalisme tardif. C’est déjà quelque chose de critiquable dans la conclusion de la « Zone du Dehors » de Damasio qui s’articule autour d’une communauté qui fait plus une sécession que la révolution.

    Ainsi, existe-t-il des romans de solarpunk ou hopepunk qui jettent des perspective de transformation révolutionnaire de la société dans son ensemble, au-delà d’un monde fragmenté en de multiples communautés ?

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    1. S’il en existe, et ce serait plus que souhaitable, je ne les connais pas malheureusement. C’est très déprimant sur ce que cela dit de notre capacité à penser la société dans son ensemble en dehors du modèle économique et politique imposé depuis 50 ans.

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