
De nos jours, l’arsenal des technologies émergentes laisse entrevoir une révolution dans notre approche de la médecine : génie biologique, ingénierie tissulaire, nanothérapies. Ces concepts sont entrés dans le langage quotidien des laboratoires de recherche et promettent l’avènement pas plus tard que demain de traitements ciblés allant de la destruction de cellules cancéreuses, à la fabrication de cellules entièrement fonctionnelles reprogrammées au niveau génétique, jusqu’au remplacement d’organes complets. Il en faut peu à l’esprit porté vers la prospective pour envisager d’appliquer le paradoxe du bateau de Thésée au corps biologique. L’humain dont le corps serait progressivement renouvelé au niveau cellulaire, régénéré à l’identique, mais remplacé en totalité, au point de ne plus contenir aucune de ses parties d’origine, serait-il toujours lui-même ou un humain différent ? C’est une idée qu’explore Anton Hur dans son premier roman, Toward Eternity.
Futur proche. Cape Town, Afrique du Sud. Poursuivant les travaux de sa mère au sein de l’institut de nanothérapie qui porte son nom, Mali Beeko a adapté la technologie des nanites initialement conçues pour le traitement du cancer jusqu’à la mener à son extension logique. Elle confie dans un carnet de notes ses observations et réflexions sur la disparition mystérieuse de Yonghun Han, le patient numéro un. Docteur en littérature, spécialisé sur la poésie victorienne, il fut atteint d’un cancer généralisé et incurable par des thérapies traditionnelles. Il a accepté la transition : le remplacement progressif, mais complet de toutes ses cellules. Il est le premier patient à avoir survécu (nous découvrirons plus tard dans le roman l’identité du patient zéro), et a vu son existence prolongée de plusieurs dizaines d’années. Ce temps, il l’a occupé à concevoir une IA qui pouvait — non pas ÉCRIRE de la poésie, ça n’importe quel programme idiot sait le faire de manière à peu près convaincante — LIRE de la poésie. Mais un jour, il disparait sans laisser de traces. Puis tout aussi mystérieusement, il réapparait. Il s’approprie alors le carnet de Mali Beeko et y raconte son histoire, celle de son amour perdu, mais aussi son rapport au langage. Il confie ensuite le carnet à la patiente numéro 2, Ellen Van der Merwe, violoncelliste qui fut elle aussi atteinte d’un cancer et a survécu à la transition. Elle y narre à son tour son histoire et son rapport à la musique.
Cette première partie occupe un tiers du roman. Je l’ai trouvée un peu longue, un peu verbeuse. Mais elle est essentielle à poser des bases aussi temporelles — puisqu’elle constitue les origines de ce qui vient — que réflectives, car elle construit les fondations de la question centrale abordée par Anton Hur dans le roman : qu’est-ce qu’un humain ?
Le carnet de notes sera transmis de main en main depuis ce futur proche qui ouvre le récit, vers un futur de plus en plus lointain, de plus en plus vertigineux, jusqu’à un épilogue intitulé Éternité. Différents personnages, tous liés d’une manière ou d’une autre (je vous laisse découvrir comment) à Yonghun Han, Ellen Van der Merwe ou à un troisième antagoniste dont j’ai choisi de ne pas vous parler, y confine leur propre histoire. Le futur décrit par Anton Hur est sombre et violent, des IA folles et toutes puissantes envoient des armées de clones anéantir ce qu’il reste d’une humanité ravagée par un conflit nucléaire global, la Terre est perdue, mais… la vie perdure malgré tout.
Anton Hur est né en Suède. Vivant désormais à Séoul après avoir parcouru le monde, de l’Éthiopie à la Thaïlande, il s’est distingué en tant que traducteur. Il a ainsi développé un rapport fort et personnel au langage et à la littérature. Toward Eternity est un roman qui pose la question de savoir ce qui constitue l’humain en dehors du corps biologique, si cela est même possible, et ce qu’il en resterait au-delà, dans une optique transhumaniste. Anton Hur nourrit la thèse de l’homme narrateur, d’une humanité qui est créée et se crée, et n’existe qu’à travers le récit qu’elle fait d’elle-même. Le carnet de notes de Mali Beeko transmis à travers les siècles, devient le mythe fondateur d’un futur de l’humanité, tout autant qu’il définit la possibilité d’une humanité avec l’idée, comme chez Claude Lévi-Strauss, que la poésie ou la musique puissent se substituer aux mythes.
Avec Toward Eternity, et malgré une première partie lente, Anton Hur propose un premier roman de science-fiction aussi vertigineux dans sa temporalité que dans les transformations radicales, consenties ou subies, qu’il envisage pour que la vie, l’humanité, et le récit perdurent. L’éternité n’est jamais acquise.
PS : Le roman a été traduit par Gilles Goullet et sortira chez Albin Michel Imaginaire en janvier 2026 sous le titre Programme éternité.

- Titre : Toward Eternity
- Auteur : Anton Hur
- Publication : 9 juillet 2024, HarperVia
- Langue : anglais
- Nombre de pages : 256
- Format : papier et numérique
Un vertige différent de d’habitude mais non moins intéressant, un peu façon fable « Bateau de Thésée », ça ne peut que m’attirer.
Maintenant vu ma flemme légendaire de lire en vo, j’espère que vf il y aura !
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Il n’est pas impossible qu’il soit bientôt traduit… affaire à suivre.
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Ohoh tu me mets l’eau à la bouche. Je croise fort les doigts !
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