The Passenger – Cormac McCarthy

Si Cormac McCarthy s’est illustré dans notre domaine de prédilection avec le roman postapocalyptique The Road publié en 2006 (La Route, pour sa traduction française en 2008), et pour lequel il a reçu le prix Pulitzer, cette incursion dans les mauvais genres n’était qu’un accident de parcours et, de fait, le roman dont je vous parle aujourd’hui n’est pas un roman de science-fiction. C’est un roman de Cormac McCarthy. Ecrit en 2022, alors que l’auteur avait 89 ans, The Passenger a été son premier roman à être publié seize ans après The Road. Il fut suivi quelques mois plus tard par Stella Maris, roman compagnon qui propose un autre aspect de la même histoire. J’ai lu The Passenger dans sa version originale en anglais et je me réjouis tant l’écriture de McCarthy est singulière et ne facilite pas l’accès et je n’ose imaginer les difficultés de traduction et donc de lecture mais sachez qu’il a été traduit sous le titre Le Passager et publié le 3 mars 2023 aux éditions de L’olivier.

The Passenger débute en 1980. Son arc narratif principal a pour personnage Robert Western, dit « Bobby », dit aussi parfois « Squire ». Bobby est le frère d’Alicia, une jeune femme surdouée des mathématiques, qui a mis fin à ses jours dix années plus tôt après une période d’internement dans l’institution de Stella Maris pour schizophrénie paranoïaque. Le prologue, d’une page, magnifique, raconte sa pendaison. Leur père fut l’un des scientifiques qui ont travaillé à la création de la bombe atomique.

« There were people who escaped Hiroshima and rushed to Nagasaki to see that their loved ones were safe. Arriving just in time to be incinerated. »

Bobby lui aussi fut un élève doué, mais il a abandonné les études pour les courses de voitures en Europe. Il vit désormais à la Nouvelle Orléans, gagnant sa vie comme plongeur spécialisé dans la récupération d’épaves de navire ou d’avions abîmés en mer. Suite à un signalement, il plonge sur une épave d’avion d’affaire dans lequel les passagers sont encore attachés à leur siège. Mais un passager manque, ainsi que la boite noire de l’appareil. Soupçonnant qu’il cache quelque chose, des agents fédéraux, costards noirs et cravates assorties, vont s’intéresser à Bobby.

« It’s just that sometimes I think I would have found my life pretty funny if I hadnt had to live it.  »

Cela pourrait signer le début d’un thriller, mais ce n’est qu’une fausse piste, parmi d’autres. De multiples arc narratifs vont s’ouvrir au cours du roman et aucun ne sera résolu, pas en tout cas dans le sens où on l’entend habituellement dans le cadre d’un thriller. L’arc concernant Bobby alterne avec des chapitres concernant Alicia, dans lesquels elle dialogue avec ses hallucinations. D’autres encore prennent la forme de flashbacks. L’essentiel du livre est écrit sous la forme de conversations au bar, au restaurant, retranscrites par une plume si particulière. À son habitude, Cormac McCarthy fait une utilisation parcimonieuse de la ponctuation, préférant les successions de « and » aux virgules. Aucun guillemet ou tiret cadratin n’introduit le dialogue pas plus qu’une indentification de l’interlocuteur. On ne sait ainsi jamais qui parle, ou même s’il parle ou pense. Les phrases sont courtes, déstructurées, sans verbe, parfois sans logique immédiatement apparente. L’auteur inventent des mots, mais aussi utilise un vocabulaire très précis et, en brouillant le discours, il met en avant le ressenti, au sens psychologique du terme, plus que l’intellect.

C’est un livre dans lequel il est difficile d’entrer. Pendant longtemps, on ne comprend pas ce qu’il raconte ni où il va. La réalisation se fait lentement et les éléments s’assemblent pour dresser un tableau plus général. Il faut être attentif aux détails qui sont autant d’indices, même lorsqu’on se sent totalement perdu. On commencera par noter que Bobby et Alicia, Bob et Alice, sont les noms traditionnellement utilisés dans les expériences de téléportation quantique de l’information, ce qui souligne un lien particulier entre le frère et la sœur. Un lien que leur entourage décrit comme une relation incestueuse platonique. Le passager manquant, et la boite noire de l’avion, symbolisent dès l’ouverture la thématique qui va réellement occuper le récit, à savoir les fantômes qui nous habitent.  Cette thématique est déclinée du microscopique (le fantôme d’Alicia qui hante Bobby) jusqu’au macroscopique dans l’histoire des Etats-Unis. Ainsi dans son roman, Cormac McCarthy va évoquer certains mythes qui hantent l’histoire contemporaine et la culture américaine, de la naissance de la physique moderne et de ses errances (cela donne lieu à de très belles pages), de la bombe atomique, de la guerre du Vietnam, de l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy… Le destin de Bobby va être celui d’une fuite, ni en avant ni en arrière, mais de côté. Son errance est à l’image de celle de l’Histoire dont le sens échappe à l’interrogation.

« Everything is supposed to hang on the speed of light but nobody wants to talk about the speed of dark. »

Il y a aussi une part autobiographique dans le roman, notamment dans les lieux choisis et les rappels subliminaux à certaines de ses œuvres passées, comme à La Route, qui incite à penser aux fantômes habitant l’auteur de 89 ans signant là son dernier ouvrage avant sa disparition le 13 juin dernier.

« I feel old, Squire. Every conversation is about the past. »

Je disais plus haut que c’est un roman dans lequel il est difficile d’entrer. Il m’a fallu plus d’une semaine pour lire les cent premières pages. Mais une fois un cap passé, celui qui abat le mur des attentes non récompensées, il devient difficile à poser et j’ai lu les 300 pages restantes dans la journée. The Passenger est un roman complexe, qui ne tient aucune de ses promesses, ou plutôt ce qu’on pensait devoir en attendre, auquel on en comprend pas toujours grand-chose mais que l’on quitte avec le sentiment d’avoir lu un truc génial.


  • Titre : The Passenger
  • Auteur : Cormac McCarthy
  • Publication originale : 25 octobre 2022, Picador
  • Publication française : 3 mars 2023, Olivier, trad. Serge Chauvin
  • Nombre de pages : 400 (VO), 540 (VF)
  • Support : papier et numérique

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