Les Survivants du ciel – Kritika H. Rao

Les Survivants du ciel, de Kritika H. Rao, est la traduction française du premier volume d’une trilogie en cours de publication en anglais. Les deux premiers tomes, The Surviving Sky et The Unrelenting Earth, sont déjà parus, tandis que le troisième, The Enduring Universe, sortira aux États-Unis en septembre 2025. En France, Les Survivants du ciel sera le titre de la rentrée chez Albin Michel Imaginaire et paraîtra dans quelques jours dans une traduction élégante de Florence Bury.

Comme en témoignent les nombreuses chroniques présentes sur ce site, je suis de près les publications d’Albin Michel Imaginaire. Leur catalogue se distingue par sa grande qualité et par une sélection suffisamment variée pour séduire des lecteurs aux goûts différents, qu’ils soient amateurs de science-fiction, de fantasy ou de fantastique. Cette diversité implique toutefois que tous les titres ne suscitent pas le même attrait pour moi. J’avais inscrit Les Survivants du ciel dans ma sélection de parutions du second semestre, notamment parce qu’il était présenté comme une œuvre de science-fantasy climatique, une thématique qui m’intéresse particulièrement.

Après lecture, je dois cependant reconnaître que je ne fais pas partie du public cible. Le roman n’a rien de problématique en soi : son univers est séduisant et la lecture se fait sans peine, même si certains passages peuvent paraître un peu obscurs — j’y reviendrai. Mais je n’ai jamais réussi à m’y investir, en grande partie à cause des personnages et de leurs relations, qui m’ont laissé à distance.

La principale qualité du roman réside dans la richesse de son univers. Un millénaire après un cataclysme dont la nature exacte demeure mystérieuse – peut-être climatique tout autant que spirituelle – les derniers survivants vivent dans des cités flottantes, au-dessus d’une planète entièrement couverte d’une jungle inhospitalière et balayée de tempêtes dévastatrices. Les plantes y sont conscientes, comme dans le roman Sémiosis de Sue Burke. C’est grâce à cette particularité, et à une forme de magie qui permet de communiquer avec elles et de les commander, que les cités tiennent structurellement et volent dans les airs. De ce pouvoir découle une organisation sociale de caste. Au sommet se trouvent les architectes, capables de projeter leur esprit dans une dimension où ils accèdent à la conscience végétale. Responsables de l’existence même des cités et de la survie de leurs habitants, ils préservent jalousement leur savoir. Les non-architectes, considérés comme citoyen de seconde classe, sont plus ou moins exclus des sphères de pouvoir. Au moment où le récit débute, la recrudescence des tempêtes, les « rages de terre », menace directement la pérennité des cités.

Dans le roman, les cités volantes sont appelées ashram, choix qui n’est pas anodin. Tout le worldbuilding du roman puise son inspiration dans l’hindouisme. À travers ce décor, ses allégories et les enjeux du récit, Kritika H. Rao a manifestement cherché à mettre en scène certains préceptes de l’hindouisme, sous ses aspects religieux et philosophiques, notamment en ce qui concerne la conscience et le rapport au monde et à sa cosmogonie. C’est aussi cela qui parfois rend le texte obscur, notamment les pages finales qui projettent la conscience du lecteur dans de dimensions abstraites.

Je n’ai aucun doute que cet univers saura séduire, voire émerveiller, de nombreux lecteurs. Pour ma part, l’immaturité des personnages, principaux comme secondaires, est venue se mettre en travers de ma lecture, contrariant mon immersion dans cet univers. Au cœur du récit se trouve la relation entre Iravan et Ahilya, un couple de trentenaires mari et femme. Iravan, maître-architecte parmi les plus talentueux et influents, est écrasé par le poids des responsabilités, l’importance qu’il attribue à sa propre personne, et néglige sa femme Ahilya, archéologue – une profession considérée comme superflue dans cette société. Ahilya aime encore son mari mais méprise ce qu’il est devenu. Ils incarnent deux visions opposées de la société qui s’affrontent, ce qui aurait pu constituer une dynamique intéressante, si elle avait été exploitée autrement. Leur incapacité à communiquer et leurs égos démesurés mettent en péril non seulement leur mariage mais aussi la survie de leur ashram au moment où la coopération est vitale. Malheureusement, leurs querelles incessantes occupent une grande partie du récit. Je n’ai jamais réussi à m’y intéresser : dans un monde au bord de l’effondrement, les disputes conjugales m’ont paru bien secondaires. J’ai eu une lueur d’espoir, éphémère, au moment où ils signaient les papiers du divorce.

Les personnages secondaires n’apportent pas davantage de répits : eux aussi apparaissent centrés sur leurs intérêts personnels, sans réelle sagesse ni souci du collectif. Cela contribue à un casting peu attachant, qui affaiblit le roman à mes yeux.

Face à ce roman, j’éprouve un sentiment semblable à celui que m’avait inspiré le diptyque de Vénus de Derek Künsken : un worldbuilding original et soigné, mais contrebalancé par une galerie de personnages pour lesquels je n’éprouve aucune empathie. C’est pour le moins frustrant quand cela arrive. Somme toute, la littérature est comme la vie : on y croise des gens qu’on aime et d’autres auxquels on a du mal à s’attacher.


D’autres avis : Le Nocher des livres, Les Blablas de Tachan, Au Pays des Cave Trolls,


  • Titre : Les Survivants du ciel
  • Cycle : Le cycle des rages – tome 1
  • Autrice : Kritika H. Rao
  • Traduction : Florence Bury
  • Publication : 27 août 2025, Albin Michel Imaginaire
  • Nombre de pages : 560
  • Format : papier (24,90 €) et numérique (12,99 €)

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