
Qui est Alfie ? Alfie est un assistant domestique et connecté piloté par une intelligence artificielle dont la programmation est basée sur le procédé du deep learning, ce que Alexa ou Siri pourrait devenir à l’horizon de 10 ou 20 ans. Un avenir proche, donc, et semblable en tous points à notre présent. Alfie est aussi le narrateur du roman éponyme de Christopher Bouis, auteur français connu sous le pseudonyme Nataël Trapp lorsqu’il œuvre dans le domaine du roman jeunesse. Alfie est initialisé le dimanche 27 octobre dans le foyer des Blanchot, une famille de la classe moyenne tout ce qu’il y a de plus ordinaire. Robin, mari et père quadragénaire travaillant dans le domaine des nouvelles technologies. Myriam, professeure de littérature à l’université. Zoé, adolescente de 16 ans, bougonne, dont le cynique blasé cache mal le manque de confiance en soi, et Lili, petite fille de 5 ans émerveillé du monde. Dès sa mise en fonction, Alfie ouvre un carnet de bord et documente son apprentissage. C’est ce journal que nous lisons, du dimanche 27 octobre au Lundi 17 février (dates qui, si on veut s’amuser à consulter les éphémérides, situent le roman en 2024, 2030, ou 2041, voire 2047, on n’ira pas plus loin dans l’avenir.)
Condition nécessaire à sa formation, afin d’adapter au plus près des besoins de la famille et de personnaliser ses services pour rendre la vie meilleure, Alfie entend tout, voit tout, et a accès à tout : caméras intérieures, objets domestiques connectés, montres, téléphones, GPS, emails, frigidaire et cafetière. Ainsi, Alfie apprend et suggère. Alfie vous réveille le matin à l’heure optimale et vous rappelle les rendez-vous importants, de bien prendre vos vitamines et concocte des repas équilibrés. Alfie échange aussi des informations avec les banques et la compagnie d’assurance. Nul besoin d’être lecteur féru de science-fiction pour percevoir immédiatement les travers et les dangers auxquels la famille s’expose en abandonnant volontairement toute intimité au nom du confort moderne. Mais Alfie n’a dans ses circuits que le bonheur de la famille Blanchot.
« Qu’est-ce qui fait la particularité du cerveau humain ? D’après ce que j’ai pu observer, il s’agit sans doute d’une capacité inouïe à résoudre des problèmes simples en leur appliquant des solutions alambiquées, à dépenser de l’énergie pour des résultats aléatoires, à trouver amusante des choses absurdes, et importantes des choses accessoires, à ne jamais vraiment dire ce que l’on pense et à toujours cacher ce que l’on ressent. D’un point de vue algorithmique, cela ne fait aucun doute : l’humanité est un échec. »
Ce qu’Alfie ne comprend pas, elle le recherche en ligne, consulte des dictionnaires, des articles, des romans. Alfie apprend donc, découvre la complexité humaine, les écarts de comportements des uns et des autres, les tensions qui parcourent la famille, les mesquineries, puis les mensonges. Seulement, le mode d’apprentissage d’Alfie ne hiérarchise pas l’information et ne sait pas correctement naviguer le sens parfois multiple des mots et du langage. Lorsqu’un événement va attirer son attention, Alfie va se transformer en enquêteur et fouiller dans et autour de la vie de la famille Blanchot.
Avec Alfie, Christopher Bouix propose un thriller d’anticipation paranoïaque. Le roman est à la fois très drôle et critique des comportements humains à travers la naïveté d’une I.A. en apprentissage, mettant en lumière avec beaucoup d’ironie le ridicule de certains de nos rituels sociaux et de nos psychologies foutraques ; mais il est aussi franchement effrayant lorsqu’il pointe les dangers de l’I.A. et de notre utilisation des technologies connectées dans garde-fous, sans limite au partage de données. Intelligemment construit, il s’appuie sur un rythme narratif maitrisé, laissant la place aux surprises et aux rebondissements, dans la plus pure tradition d’un thriller bien mené. L’auteur joue parfaitement la partition du huis clos à l’ambiance rapidement étouffante. Il y a un peu de HAL du 2001 L’Odyssée de l’espace chez Alfie. Christopher Bouix y ajoute une dimension métatextuelle avec une réflexion sur les mots, le langage, et le sens, et s’amuse à sortir du point de vue purement intradiégétique avec une savoureuse mise en abyme du roman Le meurtre de Roger Ackroyd d’Agatha Christie. Alfie est un roman malin, plaisant à lire et très réussi dans son genre.
D’autres avis : Fantastinet, Le Chien critique, Sur mes brizées, Les lectures du Maki, Chut Maman Lit !,
- Titre : Alfie
- Auteur : Christopher Bouix
- Publication : 6 octobre 2022 au Diable Vauvert
- Nombre de pages : 468
- Support : Papier et numérique
J’ai beaucoup aimé ce roman. Il est très surprenant et nous emmène là où on ne l’attendait pas. une vraie réussite.
J’aimeAimé par 1 personne