Termination Shock – Neal Stephenson

Albin Michel Imaginaire vient d’annoncer l’acquisition des droits du dernier roman de Neal Stephenson, Termination Shock. Le roman a reçu un très bon accueil critique dans la presse anglosaxonne, qu’elle soit spécialisée (Tor, Locus mag, etc.) ou généraliste (Washington Post, New York Times, etc.) On peut ainsi comprendre l’intérêt que lui a porté l’éditeur de l’excellent [anatèm] du même auteur. Cet avis n’est pas partagé sur l’épaule d’Orion. Pour la petite histoire, c’est un roman dont j’ai lu le manuscrit pour une maison d’édition alors que ses responsables éditoriaux défrichaient l’actualité science-fictive dans l’espoir d’y trouver un bon texte à publier. J’avais alors vivement déconseillé ce roman.

Termination Shock est ce qu’on appelle une fiction climatique, ce genre qui imagine les désastres à venir, leurs conséquences et éventuellement leurs solutions. Le roman apparaît très directement comme une réponse au magistral (et à mon avis pour longtemps indépassable) The Ministry for the Future de Kim Stanley Robinson. Dans ce dernier, KSR s’intéresse aux conséquences immédiates du réchauffement climatique, et détaille les solutions techniques, politiques, sociales et économiques qui selon lui seront à mettre en place dans les cinquante prochaines années pour éviter la catastrophe. Comme vous le savez sans doute, KSR se positionne à gauche sur l’échiquier politique et il propose naturellement une action collective, internationale et concertée, faisant intervenir les gouvernements ainsi que l’ONU à l’origine de la création d’un « ministère pour le futur ». Neal Stephenson en prend le contrepied et adopte un point de vue ancré dans les idées de la droite libertarienne américaine. Il dit longuement dans son roman tout le mal qu’il pense des gouvernements, des institutions internationales comme l’ONU, de l’Europe et de toute forme de régulation. Selon lui, la solution se trouvera dans l’action individuelle de quelques milliardaires qui décideront d’agir sans demander l’avis de personne et en outrepassant les lois locales et internationales qui ne sont que des obstacles au progrès et aux bonnes volontés. On appréciera, ou pas, selon ses propres sensibilités politiques.

Du point de vue des propositions concrètes, Neal Stephenson n’en fait pas. Il ne fait que reprendre quelques principes connus de géo-ingénierie, par ailleurs développés en détails chez Kim Stanley Robinson, et notamment celui d’une émission massive de dioxyde de soufre dans l’atmosphère pour atténuer le rayonnement solaire. L’idée – bien réelle et inspirée par l’éruption du Pinatubo de 1991 – a été discutée par KSR qui montrait que si cela peut fonctionner localement, ce n’est en rien une solution viable en raison des conséquences globales (modification du régime des moussons, etc) et sur le long terme (le fameux choc terminal qui arrive dès qu’on cesse de pomper du SO2 dans l’atmosphère et conduit à une augmentation très rapide des températures). Dans son roman, Neal Stephenson n’évalue jamais la pertinence scientifique ou la simple faisabilité de concepts qu’il utilise uniquement comme ressorts romanesques, voire burlesques, mais ne produit pas le travail qu’on peut attendre d’un auteur qui ferait un minimum de prospective sur ce sujet plus que d’actualité. Typiquement, le choc terminal dont le roman tire son nom n’apparait jamais dans le récit et reste une conséquence vaguement agitée comme un épouvantail.

Structurellement, le roman présente les mêmes défauts que le précédent livre de l’auteur, Fall or Dodge in Hell. Il est inutilement long, lent à démarrer, et change de direction à mi-parcours pour oublier totalement son propos initial et s’égarer dans un récit dont la banalité se joint au ridicule. La première moitié du livre est constituée de chapitres d’exposition consacrés à la présentation des différents personnages, leur fonction, leur histoire personnelle, celle de leur famille, de l’endroit d’où ils viennent, dans les moindres détails. Puis, à la moitié du récit, Neal Stephenson oublie tout cela et oriente son récit vers de l’action grand spectacle totalement dénuée de sens, comme dans un mauvais western, en version terreur climatique. Ses personnages, construits pour incarner des figures culturelles du XXIe siècle et autant de points de vue alternatifs, sont forcés au point d’en être caricaturaux. On peut argumenter du fait que Neal Stephenson produit une satire, mais celle-ci oublie d’être comique et, dans l’ambiguïté idéologique savamment entretenue qu’elle transporte, confine au ridicule. J’avais abandonné la lecture à la page 300 lorsque la reine des Pays-Bas (dont on se demande bien ce qu’elle fait là) propose à un chasseur de cochons sauvages texan de lui faire une fellation, pensant qu’on avait atteint là le fond. Puis j’ai repris la lecture, pour savoir où cela allait tout de même. Cela ne mène nulle part car l’auteur fait le choix du thriller technologique et de l’action grandiloquente aux dépens de la réflexion.  Il me semble que depuis quelques romans, Neal Stephenson a perdu de sa pertinence, et quand bien même il en fait des tartines, il n’arrive pas à la cheville de Kim Stanley Robinson en termes de réflexion, de connaissances scientifiques, et d’argumentation. L’appréciation du lecteur dépendra donc entièrement de ce qu’il attend d’un roman.

Personnellement, Termination Shock est un livre que j’ai détesté. Cela ne m’arrive pas souvent de détester un livre, tout au plus je me contente de ne pas l’aimer. Mais celui-ci, je l’ai détesté. Avec force et passion. Je lui souhaite toutefois, pour le bien de la collection Albin Michel Imaginaire et de son directeur, de se trouver un lectorat plus conciliant que moi.


  • Titre : Termination shock
  • Auteur : Neal Stephenson
  • Langue : anglais
  • Publication originale : novembre 2021 chez HarperCollins
  • Nombre de pages : 720
  • Support : numérique et papier

11 réflexions sur “Termination Shock – Neal Stephenson

  1. « Selon lui, la solution se trouvera dans l’action individuelle de quelques milliardaires qui décideront d’agir sans demander l’avis de personne et en outrepassant les lois locales et internationales qui ne sont que des obstacles au progrès et aux bonnes volontés. On appréciera, ou pas, selon ses propres sensibilités politiques. » ==> C’est vrai que Musk et Bezos, œuvre beaucoup au sauvertage du monde…

     » la reine des Pays-Bas (dont on se demande bien ce qu’elle fait là) propose à un chasseur de cochons sauvages texan de lui faire une fellation » ==> Pardon?

    Clairement ton article ne donne pas envie de lire « Termination Sock » que ce soit en VO ou VF. Au moins, je sais quel bouquin esquiver. Merci pour ton article.

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  2. Yep, clairement pas ma came. Pourtant, j’ai beau être team gaucho, il y a de la SF libertarienne que j’aime bien, « La Hanse Galactique » par exemple. Et étant donné que j’ai acheté le très long et controversé « Atlas Shrugged », j’ai peur qu’il s’y pose le même problème que pour ce bouquin…

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