Collisions par temps calme – Stéphane Beauverger

Les auteurs de science-fiction sont des gens déprimants. Pas déprimés, quoique, mais déprimants. J’ignore s’ils ont des griefs personnels, une revanche à prendre sur la société, sur les autres, sur l’existence, un truc qui les rend désabusés, cyniques, voire méchants, mais force est de constater qu’ils ne cessent d’imaginer des futurs moches, sordides, violents, dans lesquels l’humanité souffre encore et toujours. Des futurs déprimants. C’est ainsi que la dystopie s’est imposée comme genre majeur au sein de la littérature de science-fiction.  Et à la fin, c’est toujours les mêmes qui trinquent, nous, les lecteurs. Certes, je ne nie pas que nous allons tous crever, et que le dire bien haut peut avoir un effet cathartique. Mais bon.

À l’opposé, la construction des utopies est un art oublié, et lorsqu’un auteur ou une autrice s’y aventure du bout du pied, en imaginant un monde pas si pire, c’est toujours pour mieux le dézinguer et en faire ressortir la noirceur cachée. Prenez pour exemple récent Terra Ignota d’Ada Palmer. Ça commence pourtant bien. Puis ça finit en guerre totale. Gnomon de Nick Harkaway ? Pareil, à peine commence-t-on à se dire pourquoi pas ? que paf dans les dents. Comment voulez-vous qu’on ait envie de sourire les lundis matin lorsqu’on passe les weekends à lire des horreurs pareilles ? Non, ce qu’il nous faut c’est une bonne utopie.

Dans Collisions par temps calme, troisième titre publiée dans la collection Eutopia chez La Volte, Stéphane Beauverger s’en va cultiver ces terres en friche d’un monde où tout va bien. De Stéphane Beauverger, je n’ai jamais lu que Le Déchronologue (2009), ce roman acclamé, multiplement primé, dont on répète à l’envie qu’il s’agit d’un chef d’œuvre du genre… roman que je n’ai jamais réussi à finir. Deux fois. Parfois, que voulez-vous, on refuse le bonheur promis et on passe à côté des livres. Mais revenons à nos collisions.

Sylas mène une vie heureuse sur son île bretonne, équilibrant habillement sa vie professionnelle d’analyste en intelligence artificielle et sa passion pour la voile, avec sa fille Typhaine et son mari Kylian. Dans le monde de Sylas tout va bien. Les équilibres écologiques sont préservés, l’humanité a atteint la douceur des sociétés post-pénurie. Il y a même du beurre salé. L’accès aux ressources et la sécurité pour tous sont garantis grâce à la bienveillance programmée de Simri, une intelligence artificielle globale née des progrès technologiques réalisés cinquante ans auparavant. Lecteurs par défaut de trop nombreuses dystopies, je lis dans vos pensées, vous vous dites voir venir le piège. Il n’y en a pas. Stéphane Beauverger évite les clichés autour de l’IA et sa Simri n’œuvre qu’au bien être de tous, sans arrière-pensée, sans plan de domination ni d’extermination de l’espèce humaine qui l’a créée. Brave Simri ! Le temps est au calme, le titre de la novella nous le dit. Mais collisions, il va pourtant y avoir. Calie, la sœur jumelle de Sylas, vient le rejoindre sur son île. Elle lui demande son aide, son accord, sa compréhension. Car Calie ne se satisfait pas de ce bonheur garanti. Elle-même brillante analyste, plus que Sylas, elle a tout plaqué il y a des années pour s’abandonner dans la musique. Aujourd’hui, comme des milliers d’autres personnes avant elle, elle a décidé de quitter la société, de sortir de sous le parapluie de Siri, et de devenir une A-citoyenne, de quitter le système et la surveillance de Simri et de s’exiler vers un ailleurs sans promesse d’avenir. Cette possibilité est aussi garantie par Simri qui, sage, sait qu’une utopie ne peut être véritable et fonctionner que si elle accepte ceux qui n’en veulent pas. Cette décision, Sylas ne peut la comprendre. Première collision. Deuxième collision, Mika Alliet, l’un des concepteurs de Simri et instructeur en informatique cognitive de Sylas, vient de se donner la mort. Et Sylas hérite de son poste. Ce que Mika a découvert, va passionner Calie et, avec Sylas, ils vont révéler une autre facette de Simri et du monde dans lequel ils vivent. Troisième collision, et ce n’est pas ce que vous imaginez.

Collisions par temps calme est un très beau texte, bercé par les embruns et la lumière douce des côtes bretonnes, aussi calme et épurée qu’une série scandinave. Sa structure est habilement construite autour d’une alternance de points de vue entre Sylas et Calie, de chapitre en chapitre, avec cette intelligence d’introduire de subtiles différences dans les dialogues qui se recouvrent. J’y ai trouvé aussi un parfait équilibre narratif entre les descriptions, courtes mais qui donnent un ton au récit, et les dialogues qui portent le propos avec autant de réalisme que de profondeur. Enfin, Stéphane Beauverger navigue avec aisance et dirige son embarcation entre tous les récifs et les pièges qui peuplent souvent ce genre de thématique, évitant les tropes et surprenant son lecteur à chaque coup de godille. Il tient scrupuleusement la ligne de l’utopie avec, malgré tout, un twist vraiment savoureux qui se révèle en miroir. L’auteur nous offre là un texte original, à de nombreux points de vue, totalement en décalage avec la production habituelle en science-fiction. Brave Simri !


D’autres avis : Outrelivres, Le Nocher des livres, Les lectures du Maki, Le Chroniqueur,


  • Titre : Collisions pas temps calme
  • Auteur : Stéphane Beauverger
  • Publication : 7 octobre 2021, La Volte, coll. Eutopia
  • Nombre de pages : 128
  • Format : papier et numérique

11 réflexions sur “Collisions par temps calme – Stéphane Beauverger

  1. Belle chronique, oui… mais j’ai été tellement déçu par cette oeuvre !
    Les personnages ne sont ni attachants ni profonds. Le contexte est vide. J’attendais beaucoup de cette utopie en termes d’idées… mais franchement, c’est également d’un néant profond car de Simri et de son impact sur la société on ne sait rien et rien n’est développé.
    Il ne reste que des impressions de calme plat, de plage et de bateau (et encore, c’est tellement évasif !).
    Le livre est court : finalement c’est tant mieux (d’ailleurs, il n’aurait pas pu être plus long au regard de son vide intersidéral).
    En résumé : quelques heures de lectures absolument perdues qui ne laisseront rien. Tant pis !
    Du coup, le « décronologue » attendra encore (longtemps).

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