Perhaps the stars – Ada Palmer

Demain, le 19 octobre 2021, sort le quatrième et ultime chapitre de la série Terra Ignota d’Ada Palmer, soit plus de cinq ans après Too Like the Lightning qui ouvrait le bal. Suivirent assez rapidement Seven Surrenders (2017) et The Will to Battle (2017). En France les trois premiers tomes furent publiés chez Le Bélial’ sous les titres : Trop semblable à l’éclair (2019), Sept redditions (2020) et La Volonté de se battre (2021). La traduction en a été confiée à Michèle Charrier qui a produit là un travail d’une qualité exceptionnelle, d’autant plus que le texte d’origine est d’une grande complexité. Pour sa publication française, le dernier tome, en raison de sa taille de plus de 600 pages en VO, sera découpé en deux volumes : L’Alphabet des Créateurs (printemps 2022) et Peut-être les étoiles (automne 2022).

Ce n’est pas à l’heure du grand final qu’il convient de retracer les événements passés. Soit vous avez lu les tomes précédents et vous savez de quoi il retourne, soit vous ne les avez pas lus et vous souhaiterez en savoir le moins possible. Tout au plus rappellerai-je le cadre de la saga. Ada Palmer y pose une question fondamentale : est-il possible de concevoir une utopie ? L’autrice imagine la société humaine au vingt-cinquième siècle, une société d’abondance dans laquelle le lieu de naissance ne détermine plus la citoyenneté mais où chacun choisit son appartenance à une nation politique, une Ruche, au-delà des considérations géographiques, reléguant la notion de frontière à l’histoire. Cette nouvelle organisation est rendue possible par un système de transport global et automatisé par des voitures volantes qui permettent de se rendre à n’importe quel endroit de la planète en moins de deux heures. La famille nucléaire n’existe plus et est remplacée par des bash qui réunissent adultes et enfants sous un même toit. La pratique religieuse collective et le prosélytisme sont interdits, mais pas la croyance individuelle. Les prêtres sont remplacés par des guides spirituels personnels. Mais une fois cet univers mis en place, Ada Palmer en montre les failles et s’applique à le détruire. L’histoire débute en mars 2454 et les deux premiers tomes racontent ainsi la chute de ce monde en sept jours. Le troisième prépare la guerre, et le dernier l’accomplit.

L’une des particularités du cycle Terra Ignota, sa grandeur pour les uns et sa faiblesse pour les autres, est qu’il convoque la philosophie du siècle des Lumières, de Voltaire à Hobbes en passant par le Marquis de Sade. Le propos est chargé de concepts politiques, religieux et philosophiques, et de nombreuses pages y sont consacrées. Selon la sensibilité du lecteur, ou ses attentes, celui-ci l’aura trouvé éblouissant (c’est mon cas) ou « éblouichiant ». De fait, et c’était prévisible dès le premier tome, Terra Ignota polarise fortement le lectorat. Cela a donné lieu à de nombreux débats, n’y revenons pas. On aime ou on déteste.

La question qui se pose, à l’heure du grand final, est pour ceux qui sont arrivés jusque-là : cela valait-il la peine ? La réponse est oui, mille fois oui. Jusqu’à son dénouement, Terra Ignota s’impose comme une œuvre majeure de la science-fiction.

Ce quatrième et dernier tome joue la différence. Dans Perhaps the Stars, les Lumières sont définitivement éteintes, la philosophie passe au second plan, et si l’on croise encore quelquefois Hobbes, c’est désormais l’épopée et en particulier Homère qui prend le devant de la scène. Une autre particularité du cycle est son narrateur non fiable. L’illustre Mycroft Canner, criminel devenu conseiller des puissants, raconte à sa façon les trois premiers tomes de la saga. Mais il ment, cache des choses, se contredit et lentement sa raison défaille. Dans ce quatrième tome, et pour une bonne raison, ce n’est plus Mycroft Caner qui fait le récit des événements mais le neuvième Anonyme, 9A. Le ton change ainsi radicalement, se faisant plus simple, plus direct, plus franc aussi. Un temps du moins, car rien n’assure que 9A garde ses esprits bien longtemps face aux révélations qui vont s’abattre sur lui et sur le lecteur. Ce n’est plus un récit historique mais une chronique au jour le jour d’une histoire qui s’étend de juillet 2454 à Janvier 2456. À l’opposé des tomes précédents, l’histoire est écrite au fur et à mesure que les événements se développent, ce qui donne au texte un rythme plus dynamique. On y rencontre de nombreuses formes de narration différentes, comme cet incroyable chapitre 13 écrit sous la forme d’entrées et de sorties depuis les interfaces d’une machine pensante, rappelant les dialogues entre Mentaux dans Excession de Iain M. Banks. Et surtout, c’est un récit de guerre sur 504 jours. Car en effet, à la suite de The Will to Battle qui l’annonçait, la guerre qui ravagera le monde est là. Et le monde sera ravagé. Les voitures sont les premières victimes de la guerre. Les cités, villages, sont isolés. À l’endroit où il se trouve, chacun peut devenir une minorité et être en danger. Sans plus de nations géographiques ni d’armées ni d’uniformes, la guerre est civile. Personne n’est épargné, le monde entier est entré en guerre. À rebours des tomes précédents, le moteur du livre est l’action, ce qui ne manquera pas de surprendre les lecteurs jusqu’ici habitués à un rythme plus calme, quand bien même la fin de The Will to Battle l’annonçait.

La principale surprise, toutefois, est l’irruption à ce stade du cycle d’une forme de SF qu’on peut qualifier de spectaculaire. L’occasion de la guerre est aussi pour Ada Palmer de ne plus retenir les coups ni les effets pour produire du grand spectacle à grands renforts de pyrotechnie, d’armes et de machines futuristes de toutes sortes. Je ne vous en ferai pas la liste, car tout y passe. Plongez la main au hasard dans la grande boite à outils de la science-fiction, vous en sortirez un gadget qui surgira à un moment ou un autre dans les pages du livre. Et là encore avec des surprises de taille. C’est un déferlement tout à fait réjouissant, aussi ludique pour le lecteur que malicieux de la part de l’autrice. Car bien évidemment, tout cela n’est jamais gratuit.

« 9A – “Oh.  […] made a space cyborg techno-immortality deus ex machina resurrection thingey—I’m gonna start that sentence over.”

Si arrivé là, à ce moment du cycle, vous pensiez encore qu’Ada Palmer était une personne sympathique, vous vous trompiez. Ada Palmer est d’une sauvagerie sans limite ! Elle ose tout dans ce tome et fait tomber les barrières. Mycroft, n’étant plus contraint, se lâche totalement et prend une ampleur considérable. Vous pensiez connaître Mycroft Canner ? Au bout de trois tomes, accompagné des révélations du premier, du second et des surprises qu’il nous réservait dans l’action dans le troisième ? Alors permettez-moi de vous dire que vous ne connaissez pas Mycroft Canner. Il va en être de même pour de nombreux personnages présents depuis le début de la série, qu’on croyait connaître, et dont on découvre la véritable nature. Nous allons de surprise en surprise.

Comme dans toutes les guerres des batailles sont gagnées, d’autres perdues, des positions sont conquises, d’autres âprement abandonnées. Pour retrouver la paix, l’humanité devra faire des choix, des sacrifices, renoncer à certains rêves. L’utopie est définitivement perdue, il est désormais l’heure de choisir entre l’immortalité terrestre et la conquête des étoiles. La résolution est douloureuse, cruelle, injuste, mais mémorable.

C’est une immense et intense conclusion qu’Ada Palmer nous offre pour clore une saga qui restera dans les annales du genre pour son ampleur et sa virtuosité. Ada Palmer a produit une très grande œuvre. Certes exigeante, parfois énervante, mais toujours éblouissante. Ada rules!


D’autres avis : Outrelivres, Gromovar, Ombre bones,


  • Titre : Perhaps the Stars
  • Série : Terra Ignota (4/4)
  • Autrice : Ada Palmer
  • Publication : 19 octobre 2021 chez Head of Zeus
  • Nombre de pages : 608
  • Format : papier et numérique
  • Traduction : Michèle Charrier pour une publication en deux volumes au printemps et à l’automne 2022 chez Le Bélial’

23 réflexions sur “Perhaps the stars – Ada Palmer

  1. Bonjour ! Une remarque que certainement beaucoup se ferons concernant l’ édition française de ce 4 ème tome : deux volumes pour un total d’ un peu plus 600 pages édités sur l’année 2022, alors que de nos jours bon nombre d’ oeuvres littéraires avec une plus dense pagination sont publiées en un seul tome . Ou ces 608 pages ne concernent elles aussi aux USA que le premier tome de l’oeuvre finale ?

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    1. Les 608 pages de l’édition américaine concerne l’intégralité du dernier volet. Quant au choix d’un publication en deux volumes pour la traduction française, je laisse à l’éditeur le loisir de répondre.

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    2. Ada Palmer l’a indiqué sur son compte Twitter (https://twitter.com/Ada_Palmer/status/1446463130343809025), les marges sont plus courtes et les caractères plus petits pour Perhaps the Stars, de façon à ne pas faire enfler le nombre de pages. Il en reste que ce tome 4 compte 1,7 millions de signes, c’est-à-dire presque autant que les tomes 1 et 2 VO réunis. Traduit en français, le texte a tendance à enfler, et ces 1,7 millions de signes deviennent 2 millions. D’un point de vue économique (les coûts de trads) comme sous l’aspect fabrication, la seule à chose à faire pour nous au Bélial’ était de scinder le roman en deux.

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  2. Ah! que tu me motives. J’ai vraiment envie de m’y plonger dans cette série que j’ai commencé et que je veux reprendre depuis le début. Mais, je veux pouvoir savourer, réfléchir, m’imbiber, et laisser infuser doucement tout ce qu’Ada Palmer pourra « me » communiquer. Donc, un poil plus tars, quand mon emploi du temps sera moins chargé.
    Ah! Il me tarde!
    PS : je viens d’aller voir Dune une deuxiéme fois au cinéma, je ne sais pas combien d’années se sont écoulées depuis la dernière fois que j’ai vu 2 fois un film au cinéma. Enfin, si ; 1991, Le Silence des Agneaux!

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    1. Ainsi tu n’es pas du genre à voir et revoir les films ? J’use mes DVD à force de les regarder ! Le Dune de David Lynch est l’un de ceux que j’ai le plus regardé, avec Apocalypse Now et Blade Runner. Autant te dire que le Dune de Villeneuve, j’ai intérêt à le prendre en plusieurs exemplaires car je vais le brûler ! 🙂

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