Chronique d’une révision impossible [2/2]

Dans la première Chronique d’une révision impossible, je vous parlais du travail fait sur le roman Dune à l’occasion du cinquantième anniversaire de sa première publication en France. Ici, nous parlerons de la suite des aventures, avec la révision des traductions des cinq romans suivants de l’hexalogie originale de Frank Herbert, à savoir Le Messie de Dune, Les Enfants de Dune, L’Empereur-dieu de Dune, Les Hérétiques de Dune et La Maison des Mères.

Dune, le roman, est publié aux États-Unis en 1965 chez un petit éditeur après avoir été refusé par une dizaine de maisons d’édition. Dès 1968, Gérard Klein souhaite le voir traduit et publié en France. Mais il est à l’époque le seul à croire au succès de ce roman touffu, complexe, d’un auteur totalement inconnu chez nous (voir à ce sujet la préface de Le cycle de Dune, Robert Laffont, 2003). C’est avec la création de la collection Ailleurs et Demain en 1969 qu’il a l’occasion de le faire lui-même. C’est Michel Demuth qui le traduit. Évidemment, à l’époque, l’ensemble des études et ressources dont nous avons bénéficié pour la révision n’existaient pas. Il a fallu tout inventer. Un travail absolument titanesque. Michel Demuth s’en était ouvert à Claude Scasso dans un entretien en 1978 (à lire dans le MOOK Dune ou dans Tout sur Dune, ouvrages collectifs dirigés par Lloyd Chéry) : après trois années passées à traduire les trois premiers romans de la saga, et autant de sacrifices personnels, il s’était lassé de cet univers. À partir de L’Empereur-dieu de Dune (1982), c’est Guy Abadia qui reprend le flambeau. Abadia n’était pas étranger à la plume de Frank Herbert puisqu’il avait déjà traduit L’Etoile et le fouet en 1973, roman que Gérard Klein lui-même pensait intraduisible jusqu’à ce que Guy Abadia lui prouve le contraire, comme il le raconte dans À Frank Herbert en 1986 (postface reproduite dans le tome 6 de la nouvelle édition chez Robert Laffont). Puis il y a eu Dosadi en 1979, et L’Incident Jésus en 1981. Au moment où il traduit L’Empereur-dieu de Dune, nous ne sommes plus en 1970 mais dans les années 80, et Abadia impose un style différent de celui de Demuth, un style plus « rock’n roll ».

Suite à la révision de Dune, et avant de nous lancer dans la suite, j’ai voulu savoir de quelle latitude nous disposions dans nos choix de révision. La réponse fut que nous avions toute liberté, du moment qu’on respectait les traductions historiques et qu’on ne fasse pas s’effondrer les bâtiments à force de taper dans les fondations. Et bien sûr, on ne change pas l’histoire (vous vous demandiez pourquoi Feyd-Rautha ne gagnait pas son combat contre Paul dans la nouvelle édition ? Voilà la raison). Nous avons donc suivi les mêmes règles que nous nous étions données pour le premier volume. À savoir : on révise mais on ne retraduit pas, on préserve les termes devenus iconiques, on apporte des modifications là où cela nous semble nécessaire si l’on note des erreurs, si la cohérence interne du dunivers en dépend, mais on garde les mains libres pour éventuellement remanier le style afin d’offrir une expérience de lecture fluide à un lecteur en 2020. De nouveaux aspects toutefois apparaissent. L’impératif de cohérence s’impose plus que jamais au fur et à mesure qu’on progresse dans le cycle, et un effet boule de neige se met en place. Une correction faite en amont en provoque des dizaines par la suite. De plus, en cours de cycle, le traducteur change. Quand bien même 3000 ans s’écoulent entre le tome 3 et le tome 4, la transition était parfois abrupte, et un lissage des différences sur la forme et le vocabulaire employé nous est apparu nécessaire pour renforcer le lien de continuité. À relire mes fichiers pour préparer cette chronique, je me suis rendu-compte que la très grande majorité des corrections ont porté sur le style. Nous avons réécrit de très nombreuses phrases pour nous approcher du style plus direct de Frank Herbert. Cela concerne des passages entiers, ou des phrases courtes. Par exemple, lorsque la traduction de Michel Demuth disait « Ils regardaient ce qui avait été mouvant et devenait immobile, ce qui avait été sage et devenait sot » nous avons choisi une forme plus compacte « Ils regardaient l’éloquence devenir muette, le sage devenir sot » qui se rapproche du texte original « They were watching the articulate become dumb, the wise become a fool ». Ou lorsque celle de Guy Abadia disait : « Leto décida qu’un bon coup de gueule s’imposait ici », nous sommes revenus à un plus neutre « Leto décida qu’un haussement de voix s’imposait ici », plus proche du ton du texte d’origine. De manière générale, nous avons éliminé le vocabulaire familier comme « salaud » ou « merde » qui à notre avis n’appartiennent ni à Frank Herbert ni à l’univers de Dune.

Cela dit, Frank Herbert lui-même voit son écriture évoluer. Vous en conviendrez, le cycle de Dune n’est pas connu pour les franches hilarités qu’il déclenche chez ses lecteurs, pour la plupart. Et pourtant, Herbert a distillé à travers les six romans quelques traits d’humour, parfois sous la forme de jeux de mots, parfois sous la forme de clins d’œil, qui ont presque systématiquement disparu dans la traduction. J’ai un immense regret à propos de la révision de Dune qui est de ne pas avoir su traduire un jeu de mots. Il existe une expression anglaise qui est « a kettle of fish » (une casserole de poissons) pour désigner une affaire compliquée. Sous la plume d’Herbert, et sur Arrakis, cela devenait « a kettle of sand trout » (une casserole de truites des sables), évidemment, puisqu’il n’y a pas de poisson sur Dune. Michel Demuth avait traduit l’expression comme il se doit, par « une affaire compliquée ». Après des heures et des jours à y réfléchir, je n’ai pas su trouver de formulation satisfaisante. Cette frustration s’est changée en détermination à remettre de l’humour dans le cycle de Dune, autant que possible.

Un troisième aspect est l’intertextualité. Frank Herbert n’a pas écrit que Dune, il est aussi l’auteur d’une œuvre riche de 17 romans et de nombreuses nouvelles. Ces textes montrent des croisements thématiques importants, et parfois un vocabulaire emprunté à l’un ou à l’autre. Pour la cohérence de l’œuvre, il semblait important que cette intertextualité soit préservée, quand bien même elle échapperait aux lecteurs occasionnels. Frank Hebert s’est aussi amusé (et on rejoint là l’aspect humoristique) à glisser des références à d’autres œuvres que les siennes, et l’on trouve dans le cycle de discrets mais pourtant bien présents clins d’œil que nous avons souhaité mettre en lumière.

Voilà pour les grands principes. Comme pour la première chronique, il m’est impossible de rassembler ici les milliers de modifications effectuées. De plus, vous savez déjà, à la lecture de la première chronique, comment nous avons procédé. Je ne reviendrai donc pas sur les recherches effectuées, quand bien même les ressources s’amenuisent une fois passés Dune et le Messie, ni sur les corrections de contre-sens, de petites erreurs, les citations de la Bible, tout cela maintenant vous le connaissez. Pour cette seconde chronique, je m’intéresserai donc à d’autres facettes du travail de révision.

Une chose que je ne vous ai pas dite dans la première chronique, c’est qu’à côté des différences entre la version sérialisée de 63 à 65 dans la revue Analog et le roman publié en 1965, au-delà des différences entre la VO et la VF que nous avons essayées de corriger, il y a parfois aussi des différences dans le texte entre les éditions anglo-saxonnes. Nous voilà bien. Comme pour Dune, je suis retourné aux sources pour Le Messie de Dune. L’histoire est connue, en raison de ce qu’Herbert fait subir à la figure du héros (qu’il atomise au sens propre comme au sens figuré), John W. Campbell avait refusé de publier le Messie de Dune dans Analog. Le texte est donc paru dans la revue Galaxy en 1969. Il était accompagné d’un résumé dont le titre était The Weird of Dune. Ce résumé, on le retrouve dans les éditions américaines lors de la publication du roman, et dans les éditions anglaises jusqu’à aujourd’hui. The Weird of Dune n’a pas été traduit car, admettons-le, il n’a pas grand intérêt. (Je vous en propose une traduction en fin d’article). Mais en comparant les éditions anglaises et américaines, voilà que…

"Salut Saint Pierre-Paul, tu savais qu’il existait un prologue jamais traduit au Messie de Dune ?
- Qu’est-ce que tu me racontes là, vermisseau Harkonnen ? Ça se saurait si…
- Non, je t’assure, Ô, Grand Naib de l’Aveyron, il y a un prologue dans l’édition américaine.
- Bouge pas, je vais voir ça… Oh poutre ! Mais c’est qu’il a raison le vil rejeton de Giedi Prime !"

Au moment où nous attaquions avec Fabien Le Roy la révision du Messie de Dune, Pierre-Paul Durastanti était plongé dans la traduction des nouvelles de Frank Herbert pour la double intégrale publiée chez Le Bélial’. Nous avons alors commencé à partager des anecdotes et des références, réalisant petit à petit l’ampleur des liens qui se tissaient dans l’œuvre étendue de « Frankie », comme l’a affectueusement surnommé Pierre-Paul. Nous voilà donc partis à draguer les fonds marins du world wide web à la recherche de l’histoire de ce prologue. (Avec Pierre-Paul, nous passons régulièrement des heures à faire des recherches sur les trucs les plus insignifiants, simplement pour notre plaisir personnel. Nous avons des vies passionnantes, ne nous jugez pas.) C’est donc en 1975, à l’invitation d’un éditeur, que Frank Herbert a rédigé Excerpts from the Death Cell Interview with Bronso of IX qui désormais est inclus comme prologue au Messie de Dune dans les éditions américaines. Ce court texte a ceci de passionnant qu’en quelques lignes Herbert malmène la version « autorisée » de la vie de Paul Atréides telle qu’elle est donnée à lire dans Dune. Se pourrait-il que le premier roman constitue plus une hagiographie qu’un récit historique ? Il y a quelque chose de pourri au royaume d’Arrakis… J’en ai proposé la traduction à Fabien Le Roy qui fut immédiatement convaincu de l’intérêt de l’inclure dans la version révisée du Messie de Dune. C’est ainsi que vous trouverez désormais les « Extraits de l’interrogatoire de Bronso d’IX depuis la cellule des condamnés » en ouvrant le livre.

La caractérisation des personnages

Comme dans Dune, nous avons apporté des révisions qui nous semblaient nécessaires pour satisfaire une correcte caractérisation des personnages. Notamment, dans Le Messie, Frank Herbert décrit Duncan Idaho comme un homme ayant une peau foncée et des yeux « with definite epicanthic folds ». Le pli épicanthique est plus communément appelé en français : yeux bridés. Michel Demuth a malheureusement supprimé la référence aux yeux. Nous l’avons évidemment réintroduite car c’est l’une des rares descriptions physiques que nous avons de Duncan Idaho. Le fait qu’il possède un pli épicanthique (des yeux bridés donc) a amené des lecteurs à spéculer sur les origines ethniques de Idaho, lui prêtant une ascendance polynésienne ou native américaine, en raison de sa peau foncée. Notez que dans son adaptation du roman, Denis Villeneuve a choisi de donner le rôle à Jason Momoa, qui est maori. Quel choix judicieux.

Le diable, comme toujours, se cache dans les détails et, parfois, un simple mot peut changer beaucoup de choses. On lisait cette phrase prononcée par Chani à l’intention de Paul : « Les tribus espèrent en ton retour. Elles réclament Muad’Dib. Tu leur appartiens. » En fait, Chani ne dit pas « leur » mais « nous ». Elle ne se place pas en dehors des tribus, au contraire, elle rappelle à Paul qu’elle est une Fremen du désert. « Tu nous appartiens ». En d’autres occasions, c’est encore un mot qui va définir les rapports entretenus entre les personnes. Lorsqu’un prêtre ordonne à la Révérende Mère Gaius Hellen Mohiam de le suivre, il dit en VO : « The thing is ordained ». La traduction de Michel Demuth était « Ceci a été prévu » mais elle passe à côté de la dimension religieuse des commandements de Muad’Dib qui est contenu dans le terme « ordained ». Il n’y a pas de verbe équivalent en français, mais on peut utiliser le nom commun « ordonnance ». Nous avons ainsi préféré : « L’ordonnance est édictée. » C’est un peu pompeux, mais cela transmet l’idée.

Le langage technique

Comme dans Dune, certaines corrections ont eu pour but de revenir au langage technique employé par Frank Herbert, confortant le caractère science-fictif et rationnel de l’œuvre. Vous trouverez dans le cycle à nouveau ce type de révisions. Ainsi nous avons remplacé « Qui sait quels facteurs, quelles relations Chani pourrait introduire par son origine fremen ? » par une formulation au plus proche de la VO qui est : « Qui sait quelles délétions et quelles intrications génétiques Chani pourrait introduire par sa souche fremen sauvage. » C’est bien de génétique dont parle ici Herbert et le vocabulaire est précis.

Plus loin « un robinet et un évier » redevient « un robinet doseur au-dessus d’un bassin de récupération ». Nous sommes sur Arrakis, l’eau est précieuse et la description est porteuse de sens. Encore, lorsque Paul envoie sa sœur Alia examiner les lieux d’un crime, il lui demande de le faire « en se servant des dons que lui avait donnés sa mère. » Mais là aussi la première traduction s’éloigne du sens initial. Ce qu’écrit Herbert, c’est « en se servant des méthodes que leur mère leur avait enseignées » ce qui change profondément la perception qu’on peut avoir du roman. Herbert reste toujours, en tout cas à ce stade du cycle, du côté purement rationnel des choses.

Le D-wolf d’Herbert est devenu loup-H chez Abadia. J’en ignore la raison. Il existe de nombreuses spéculations sur le fait que le nom choisi par Frank Herbert puisse provenir de dire wolf (canus dirus) une race de loup géant disparu il y a 10 000 ans, qu’on appelle en français loup sinistre. Nous avons donc choisi de suivre cette voie et de changer loup-H en loup-S.

En ce qui concerne le véhicule utilisé par Leto pour déplacer son corps de ver, Herbert utilise le mot « cart », qu’Abadia a traduit par « chariot ». Lors de mes lectures de L’empereur-dieu, ce terme m’a toujours dérangé, imaginant très mal un empereur se promenant en chariot. Il me fallait trouver dans la liste des véhicules hippomobiles ayant existé un équivalent le plus proche possible de l’anglais cart, en passant même par des recherches iconographiques. Il s’avère que le type de véhicule correspondant le mieux à la description et aux caractéristiques était un coche. Nous l’avons donc adopté et le « Chariot impérial » est devenu « Coche impérial ».

Dans le même ordre d’idée, j’ai fait le choix de corriger une erreur scientifique qui se trouve dans le texte d’origine. Dans Les Hérétiques de Dune, il est question d’une température de « moins trois cent quarante degrés Kelvin ». C’est à l’évidence une erreur dans l’édition d’origine qui a été reprise par la suite puisque le zéro absolu est 0 Kelvin, soit -273,15°C ou -459,67°F. Par contre, -340° Fahrenheit est tout à fait acceptable, puisqu’il s’agit alors d’une température de -212,2°C ce qui est au-dessus de la température de l’hélium liquide (-269°C). Nous avons donc changé les unités en Fahrenheit.

L’humour dans Dune

En différentes occasions, s’exprime l’humour d’Herbert dont je vous parlais en introduction. Frank Herber s’était déjà amusé à introduire dans le Lexique de L’imperium le nom de Holjance Vohnbrook, qui est l’anagramme de John Holbrook Vance, le vrai nom de Jack Vance. Dans les Appendices, nous avions Pander Oulson, anagramme de Poul Anderson. En ouverture de L’Empereur-dieu de Dune, apparaît « le célèbre poète Rebeth Vreeb ». En fait, le nom Rebeth Vreeb est l’anagramme de Beve Herbert, la femme de Frank Herbert. Dans la révision, c’est donc de la « célèbre poétesse Rebeth Vreeb » dont il s’agit désormais. Dans L’Empereur-dieu encore, Leto II déclare à Hwi : « Sais-tu que c’est moi qui ai écrit les ouvrages de Noah Arkwright ? ». Noah Arkwright est un nom inventé par Frank Herbert, Jack Vance et Poul Anderson pour un projet d’écriture commune. Même si le projet ne s’est jamais fait, Poul Anderson a aussi utilisé le nom dans Au Comptoir du Cosmos et Les Coureurs d’étoiles. Il ne fait aucun doute que Jack Vance et Poul Anderson ont apprécié la blague de Leto II.

Dans Le Messie, cet humour se retrouve principalement dans les dialogues du nain Bijaz que nous avons entièrement remaniés. Bijaz possède une manière très particulière de parler, faite entièrement de jeux de mots. C’est toujours délicat à transposer dans une autre langue, mais nous avons tenté de retranscrire au mieux cet aspect du texte. Ainsi, « Mes muscles sont faibles, mais ma bouche est puissante. Je ne coûte guère à nourrir, mais il faut beaucoup d’argent pour me remplir. » devient « Je suis faible en muscle mais fort en bouche ; chiche en chair mais cher à remplir. » Ou « Mon bavardage est fait de devinettes et toutes ne sont pas stupides. Être loin, Usul, c’est être passé, non ? Ne revenons plus sur le passé. » devient « Mes énigmes sont des mystères mais toutes ne sont pas stupides. Être parti, Usul, c’est être passé, non ? Laissons le passé être dépassé. »

De la même manière, dans Les Hérétiques de Dune, nous avons réécrit les dialogues de Mirlat, le conseiller du Bene Tleilax car celui-ci ne s’exprime dans la VO que par des phrases ne contenant pas de verbe, ce qui lui donne un caractère à la fois comique et immédiatement reconnaissable, qui avait disparu dans la traduction.

Intertextualité, clins d’œil et hommages

Les lecteurs de Frank Herbert le savent, on trouve des correspondances entre les textes à travers toute son œuvre. Au point que le texte Et l’homme créa un dieu (1972) a parfois été vendu en France comme se rapportant au cycle de Dune, ce qui n’est pas le cas. On trouve à travers le cycle de Dune de nombreux liens avec d’autres romans ou nouvelles. Nous avons été très attentifs à ce qu’on retrouve à travers les termes utilisés, les expressions, cette intertextualité au sein même de l’œuvre d’Herbert. Ce ne sont souvent que des détails qui passeront inaperçus pour la plupart des lecteurs. Mais parfois…

Bon, je ne veux pas balancer, mais Guy Abadia a modifié la litanie de la peur. Et pas qu’un peu. Voilà, c’est dit. Dans le texte en VO, elle est inchangée. Nous sommes donc revenus à la version de Michel Demuth qui est entrée dans la mémoire collective. De la même manière, un des épigraphes des Hérétiques de Dune reprend la description du banquet d’Arrakeen qu’on peut lire dans Dune. Ici encore, nous sommes revenus à la version de Demuth.

Et puis l’on trouve des références à d’autres œuvres. Herbert lance notamment un clin d’œil à Jack Vance et son récit Les Maisons d’Iszm à travers un personnage qui vient d’une planète sur laquelle pousse des arbres maison. Dans Les Hérétiques de Dune, lors d’une rencontre avec Teg Miles, la Révérende mère Odrade refuse de s’assoir sur un canisiège, préférant un fauteuil inanimé, au prétexte que : « Je déteste qu’ils me pelotent » (dans la traduction de Guy Abadia). C’est une blague que Frank Herbert emprunte à Asimov qui deux ans avant la publication des Hérétiques, écrivait dans Fondation foudroyée : « je refuse à me faire tripoter par mes sièges. » Afin de souligner le lien, nous avons réécrit la phrase de la manière suivante : « Je déteste quand ils essaient de me tripoter. »

Toujours dans les Hérétiques, Herbert parle des trois matériaux les plus utilisés dans l’empire pour remplacer des matériaux nobles devenus chers comme le bois ou la pierre : la polastine, le polaz et le pormabat. Il les surnomme les 3-PO. Abadia avait choisi « Les po-po-po » passant côté de la référence évidente à… Star Wars.


C’est sur ces mots que je terminerai ces chroniques consacrées à la révision de Dune. J’espère que cela aura répondu aux questions que vous avez pu vous poser, et que ce regard en coulisses vous aura intéressé.e.s. N’hésitez pas à laisser un commentaire ci-dessous si vous avez des questions.

Bien à vous.


La Saga Dune, Robert Laffont, collection Ailleurs et Demain (2020). Traduction révisée et corrigée. Illustrations d’Aurélien Police.


The Weird of Dune

Dune est la planète Arrakis, un monde aride fait d’immenses déserts où la vie se maintient contre toute attente. Le peuple fremen de Dune est semi-nomade. Il base entièrement ses coutumes sur la pénurie d’eau et fait face au désert muni de distilles qui récupèrent l’humidité des corps. Les vers des sables géants et les tempêtes féroces sont pour eux une menace permanente. La seule ressource de Dune est le Mélange, une drogue addictive produite par les vers. Cette « épice » confère à ses adeptes la longévité et une certaine aptitude à percevoir l’avenir. Paul Atréides était le fils du souverain de Dune. Lorsque son père fut tué pendant la guerre qui l’opposa à une famille noble rivale du nom de Harkonnen, Paul s’enfuit dans le désert avec sa mère enceinte, Dame Jessica. C’était une adepte entraînée par le Bene Gesserit – un ordre féminin dévolu aux arts mentaux et au contrôle des lignées génétiques. D’après elles, Paul appartenait à une lignée destinée à produire le kwisatz haderach, le messie du futur. Duncan Idaho fut tué en les sauvant. Paul gagna sa place parmi les Fremen, et apprit à contrôler et chevaucher les vers des sables. Lors de l’un de leurs rituels, il absorba une dose massive d’Épice qui provoqua en lui une transformation permanente, lui donnant une vision complète du futur – ou des futurs. Sa mère prit aussi la drogue et la contrôla par des méthodes bene gesserit. En conséquence, la sœur de Paul, Alia, naquit pleinement consciente et en possession de toutes les connaissances de sa mère. Avec le temps, Paul devint le leader accepté de toutes les tribus fremens. Il se mit en couple avec une Fremen, Chani, et adopta la plupart de leurs coutumes. Mais son esprit Atréides avait été formé à des disciplines inconnues des Fremen et il leur donna une organisation et un but qu’ils n’avaient jamais connus. Il planifia aussi la transformation écologique de la planète, afin d’apporter de l’eau sur Dune. Mais avant que ses plans ne se réalisent, les Harkonnen frappèrent à nouveau Dune et sa capitale Arrakeen. En dépit de la supposée invincibilité des Sardaukars, les armées de Paul défirent l’ennemi lors d’une grande bataille. Par le traité qu’il imposa, Paul assit largement un pouvoir qui lui permet de lancer la conquête d’un empire interstellaire. Il prit la princesse Irulan pour épouse mais refusa de consommer le mariage, restant fidèle à Chani. Dans les douze années qui suivirent, il développa son empire. Mais à présent, les anciennes puissances se réunissent et conspirent contre lui et contre la légende de Muad’Dib, ainsi qu’on le nomme.


32 réflexions sur “Chronique d’une révision impossible [2/2]

    1. L’url de ce Bélial’ est vraiment très étrange… 😀

      Bravo pour le boulot Feyd, notamment pour ce prologue qui paraît anodin mais qui pourtant dit tellement de choses.
      Et pour tout le reste aussi bien sûr. 😉

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      1. Golden Path est pourtant tellement plus causant en anglais. Sentier d’Or fait un peu randonnée en montagne… Si éloigné de la notion de passage (au sens initiatique) ou même de cette vision d’une voie principale à suivre pour sauver l’humanité.
        J’avoue n’avoir pas compris de quoi il était question avant d’aller voir ce qui était écrit en anglais pour ce passage (du texte 😉 ).
        Mais bon, je comprend : impossible de changer ça.

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        1. Oui, vous avez raison, sur la compréhensibilité de ce qu’est le sentier d’or.
          J’ai du lire de nombreuse fois avant de commencer à imaginer. Je dois dire que ce n’est toujours pas parfaitement clair pour moi. Golden Path me donne un meilleure éclairage.
          Mais dans ce cas, « la voie d’or », est encore mieux. Le « chemin » n’est pas tellement différent du « sentier ». Et « doré »…… erk.

          J’aurais pu accepter un « la voie d’or » dans la mini-série. Peut-être.
          Dans le nouveau film, la question ne se pose pas, non ? Cela n’apparait pas distinctement dans DUNE, bien que Paul s’interroge sur le meilleure chemin à suivre… et peut-être pas que pour éviter le Jihad.

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  1. Excellent ! Autant j’avais déjà lu ailleurs en quoi avait consisté le travail sur le premier tome, autant je ne savais rien à partir du Messie et notamment après le changement de traducteur. Et je suis ravi de ce que j’apprends dans cette chronique car moi aussi, j’ai toujours eu du mal avec le « chariot » de Leto ! Quel travail titanesque, chapeau !

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  2. Bravo ! Ça a l’air d’avoir été un chantier franchement titanesque, et les lecteurs du futurs vous seront reconnaissants de l’avoir mené à bien. Ça va être d’autant plus dur de se retenir de tout racheter… gniiiiiiii…

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  3. Encore une fois, c’est passionnant de lire les coulisses de cette nouvelle traduction, les choix faits et leurs raisons entre retour aux sources et conservation de ce qu’on connait. J’avoue que je ne savais qu’il y avait autant de private jokes dans le cycle de Dune et ça fait plaisir de le savoir, ça montre la camaraderie entre les auteurs ^^
    Merci pour cette exégèse passionnante !

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  4. Wow!
    Ton récit du chantier de ces traductions est vraiment passionnant!
    J’attendais la sortie du film pour relire le roman, mais, après avoir lu tes Chroniques, je sais que je ne le ferai pas sans songer à la somme de recherches produite en amont (ni sans essayer de deviner quels changements sont apparus)!
    En tout cas, bravo pour ce travail de Titan!

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      1. J’imagine volontiers! 🙂
        Ce doit être enthousiasmant de participer à une telle entreprise lorsqu’elle concerne le livre qui est ta référence..!
        (au passage, j’aime beaucoup le travail d’Aurélien Police sur les couvertures des éditions « classiques » Certains préfèrent le look des vieux A&D, ce n’est pas mon cas!)

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  5. « Dans Les Hérétiques de Dune, il est question d’une température de « moins trois cent quarante degrés Kelvin » (…). Nous avons donc changé les unités en Fahrenheit. »

    Bonjour
    Difficile d’imaginer que les échelles thermiques de William Thomson Kelvin et Gabriel Fahrenheit puissent encore servir de référence dans plus de vingt-cinq siècles, surtout, (historiquement, le lexique scientifique varie rapidement, parce que la science elle-même bouge vite). Dans un manuscrit lambda ça m’aurait jetée hors de la lecture et je l’aurais fait remarquer à l’auteur. Absence de distance par rapport à nos propres références, projection illogique. Mais bon, comme cette bizarrerie (légèrement teintée d’hybris, quand même) vient de FH lui-même, on ne peut pas vous la reprocher.
    Lo

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    1. C’est là le grand paradoxe (qui n’en est pas un) de la SF : elle ne parle jamais que du présent pour des lecteurs du jour. Dune a été écrit en 53 pour les lecteurs de la revue Analog. Le roman utilise comme unités de mesure le mètre, le litre, etc. Et il est écrit en anglais !

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      1. C’est vrai, on peut voir ça comme ça. La fiction reste de la fiction 😉 Ceci dit, les auteurs contemporains font souvent mieux dans le domaine de la transposition créative que nos grands ancêtres (c’est amusant de voir, par exemple, à quel point ils ont été rares à avoir imaginé l’informatique moderne, dans les années 50, alors même qu’elle existait déjà en germe).

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        1. Tout à fait ! Mais c’est là une approche très contemporaine. J’aime dire que la SF est une littérature consciente de son histoire et se construit sur celle-ci. Le worldbuilding a beaucoup évolué et n’était pas imaginable dans les années 50, je crois. (Ça se discute en ce qui concerne Le Seigneurs des Anneaux qui reste assez fou) La culture des auteurs évoluent et accompagnent celle des lecteurs. Ils se doivent d’avoir une longueur d’avance mais pas trop pour ne pas les perdre.

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  6. Merci pour ces deux articles très intéressants, c’est toujours fascinant ces questions de traduction, ça peut tellement changer la vision d’un texte. Bon faudrait peut-être que j’aille la lire, cette traduction révisée maintenant 😅

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