You and Whose Army? (Un Château sous la mer) – Greg Egan

Il y a de ça à peine un mois, je vous parlais de Dispersion de Greg Egan et, grommelant tel le vieux fan blasé et grincheux, je regrettais l’époque où les écrits de l’auteur australien savaient encore me titiller l’hypothalamus, et blablabla… enfin, vous voyez le sinistre tableau. Bien mal m’en a pris, car Greg Egan is back ! Le pape de la hard-SF a publié un nouveau texte dans les pages du magazine Clarkesworld d’octobre, une nouvelle dont le titre, You and Whose Army?, reprend un mème d’internet qui ne s’apprécie pleinement qu’une fois lues les toutes dernières lignes. Car, oui, aussi étonnant que cela puisse paraître, il s’agit d’une nouvelle à chute, voire même à twist final tordu de chez tordu, chose à laquelle le maître de Perth ne nous avait pas forcément habitués. Si l’anglais ne vous fait pas peur, la nouvelle se lit en suivant ce lien. (Elle ne présente aucune difficulté particulière.)

Nous retrouvons dans You and Whose Army? le Greg Egan des années 90, celui des recueils de nouvelles d’Axiomatique, Radieux et d’Océanique, à l’époque où l’on pouvait affirmer que « toute technologie suffisamment avancée, devient une nouvelle de Greg Egan », et où il livrait en quelques pages une mise en perspective morale, philosophique ou sociétale des progrès scientifiques récents ou à venir dans un futur à 10 ou 20 ans tout au plus. Si je devais rapprocher You and Whose Army? d’une nouvelle de cette période, ce serait sans doute En apprenant à être moi (1990). Voyez plutôt…

Tels les frères Karamazov (doutez-vous bien que la référence n’est pas innocente), ils sont quatre : Caius, Rufus, Silus et Linus. Lorsqu’ils avaient huit ans, ils furent libérés par un raid policier du Physalia, le bateau d’une secte à laquelle leurs parents appartenaient et qui se livrait à des expérimentations sordides sur les enfants. Les physalies, physalia en anglais, sont des organismes marins vivant en colonies et formant un superorganisme qui ressemble vaguement à une méduse transparente qui laisse trainer derrière elle de longues tentacules fortement urticantes. A bord du Physalia, les quatre frères, strictement identiques comme de vrais quadruplés,  furent dotés d’un lien neuronal leur permettant de récupérer à longue distance les souvenirs des trois autres chaque nuit durant leur sommeil. Le but de la secte n’était ni plus ni moins que de constituer une ruche d’esprits et de conquérir le monde. Voilà qui rappelle beaucoup les bicaméraux du cycle Blindopraxia de Peter Watts, mais à un stade encore embryonnaire. D’ailleurs, cela en plus du lien qu’il y a avec les créatures marines, on pourrait presque se demander si Greg Egan ne rend pas un hommage à son compère hard-surfeur. Quoi qu’il en soit, le gouvernement australien a rapidement mis un terme à tout ça en envoyant les adultes en taule pour un bon moment.

 Seize ans plus tard, les quatre frères vivent une vie à peu près normale. Ils n’ont pas de capacités intellectuelles extraordinaires, si ce n’est qu’ils sont toujours en lien les uns avec les autres. Caius et Silus sont les plus doués. Ils font des thèses en mathématiques. Rufus enseigne les maths au lycée et Linus, lui, ne fait rien. Ou disons qu’il peine à trouver sa place dans ce monde.  Un jour Linus coupe brutalement le contact avec ses frères et disparait. C’est ainsi que débute la nouvelle. Les trois frères vont partir à sa recherche. (En RER B !)

You and Whose Army? est une nouvelle sur la famille, la fratrie. Comme les frères Karamazov du roman de Dostoïevski, Caius, Rufus, Silus et Linus ont tous les quatre des personnalités très différentes. Egan propose donc l’expérience de pensée : que se passerait-il si quatre frères si semblables physiquement mais si différents psychologiquement partageaient toutes leurs pensées ? Quelles sortes de pression s’exerceraient sur les uns et les autres ? Qu’adviendrait-il du plus faible ? Réponse en lisant très attentivement cette nouvelle brillante, avec dans le dernier chapitre un twist qui peut se livrer à différentes interprétations, de la plus raisonnable à la plus folle.

[Mise à jour] J’ai réalisé une traduction de ce texte qui a été publiée dans la collection Une-Heure Lumière chez Le Bélial’, Hors-série n°3, sous le titre Un Château sous la mer.


17 réflexions sur “You and Whose Army? (Un Château sous la mer) – Greg Egan

  1. Plutôt qu’à Dostoïevski, j’ai bizarrement pensé aux quatre sœurs Brontë (dont une était un garçon). Je ne sais toujours pas si j’ai compris la fin, j’hésite entre l’interprétation ambitieuse et dingue et celle qui est jolie et mélancolique. Belle traduction et excellente idée pour rendre le titre !

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