Eriophora – Peter Watts

Ce jeudi 17 septembre, les éditions Le Bélial’ publient le roman Eriophora de Peter Watts, traduit par Gilles Goullet. Lecteur avide des écrits de l’auteur canadien, j’avais chroniqué ce titre en 2018, à sa sortie sous le titre original The Freeze-Frame Revolution. Je ne chronique habituellement pas deux fois les romans d’abord lus en anglais, mais je vais faire une exception pour Eriophora car je trouve cette édition tout à fait remarquable.

Biologiste de formation, Peter Watts est un auteur fortement marqué hard-SF. Il est principalement connu pour ses deux séries Rifters et Blindopraxia. En France, il est aussi connu grâce à l’excellent recueil de nouvelles Au-delà du Gouffre publié chez le Bélial en 2016. On y trouve notamment trois nouvelles, qui appartiennent à ce qui est désormais connu sous le nom du cycle Sunflower: Éclat (Hotshot), L’île (The Island) et Géantes (Giants). Eriophora s’inscrit dans cette série en venant s’intercaler dans la chronologie de l’histoire entre Éclat et L’île. Il peut être lu indépendamment car Peter Watts prend soin de rappeler les éléments importants mais, bien évidemment, c’est toujours un plus d’avoir lu les trois nouvelles pour se familiariser avec l’univers dans lequel le récit prend place et faire connaissance avec ses personnages.

Eriophora est un roman ambitieux et ludique qui s’empare des topos du space opera pour en tirer des conséquences à long terme, très long terme. L’un des clichés récurrents est l’utilisation de portails qui permettent de se libérer des limites de la vitesse de la lumière et des distances qui nous séparent des étoiles, pour pouvoir voyager à travers la galaxie. Lorsque certains passent rapidement la question pour s’intéresser aux aventures des héros intergalactiques qui vont sauter de portail en portail pour vivre mille et une aventures, Peter Watts s’intéresse à la vie de ceux qui les ont posé ces portails, les travailleurs de la nuit et du froid qui ont sacrifié leur vie pour construire ces autoroutes que les vacanciers du futur utiliseront sans même y penser. Eux n’ont pas le luxe du voyage supraluminique. Ils doivent faire le chemin à pied, et ça prend du temps.

L’Eriophora est un vaisseau qui a été lancé dans l’espace au XXIIe siècle. Il s’agit d’un astéroïde de près de 70 kilomètres de long et presque autant de large, qui utilise comme moyen de propulsion une singularité (un mini trou noir) logé en son cœur. Cela lui permet de parcourir une trajectoire elliptique à travers la galaxie à la vitesse faramineuse d’un cinquième de celle de la lumière. Il accueille à son bord 30 000 passagers spécialement éduqués dès l’enfance (certains diraient fabriqués) et une intelligence artificielle, légèrement moins intelligente qu’un humain, du doux nom de Chimp. La mission de l’Eriophora est de construire ces fameux portails tout au long de sa trajectoire afin d’offrir, un jour lointain, la possibilité aux humains de se déplacer dans l’univers en s’affranchissant des distances et du temps.

Eriophora se déroule 65 millions d’années après le lancement de la mission. Les passagers de l’Eriophora sont maintenus en stase et ne sont réveillés par petits groupes, 5 ou 6 personnes, que lorsque les opérations de construction des portails nécessitent l’intervention d’humains, ou lorsqu’un problème apparaît à bord. Ils ne se rencontrent pour ainsi dire jamais, ou par intervalle de quelques milliers d’années dans le meilleur des cas. Pendant tout ce temps, l’Eriophora a construit 100 000 portails. Mais une ombre commence à troubler l’esprit de certains en ce qui concerne la durée de la mission et son sens car, a priori, l’humanité n’a jamais donné de nouvelles. Le message de la Terre appelant au retour n’est pas arrivé, et aucun navire humain n’a franchi un de ces portails construits par l’Eriophora ou un de ses vaisseaux sœurs. Mais pour Chimp, seul véritable maître à bord, il n’est pas imaginable de remettre en question la mission pour laquelle l’Eriophora et lui-même ont été construits. L’IA commence a développer une certaine paranoïa vis à vis des passagers et surveille de près les faits et gestes de chacun à bord, décidant lui-même de la composition des équipes qui sont réveillées. Chimp a un contrôle complet sur ce qui se passe à bord. Il voit et entend tout.

Les passagers humains vont chercher à reprendre les choses en main. Pour cela ils vont devoir redoubler d’imagination, ne serait-ce que pour pouvoir communiquer entre eux, au-delà des phases de stase, des millénaires qui s’écoulent, et en dehors de la surveillance de Chimp. Tout ceci va être raconté par la voix de Sunday Ahzmundin, elle qui fut rebelle dans ses jeunes années, puis amie de Chimp avec lequel elle entretient une relation de confiance, jusqu’à ce qu’elle fasse une découverte stupéfiante.

S’il évite les sommets philosophiques de Vision Aveugle – mais quel roman s’y lancerait à nouveau ? – Eriophora est un récit haletant qui repose sur un scénario habile, et offre aux lecteurs un sentiment d’émerveillement total face à l’étendue de ce qu’il donne à imaginer, à la fois dans l’espace et dans le temps.

En outre, la publication du roman par Le Bélial’ bénéficie d’un magnifique travail d’édition et d’impression, depuis la couverture à rabats dessinée par Manchu aux pages intérieures illustrées par Cedric Bucaille. Le livre en tant qu’objet est tout simplement superbe. (Un dernier mot :  si vous êtes attentifs pendant votre lecture, vous serez récompensés d’une révélation des plus savoureuses.)


  • Titre : Eriophora
  • Cycle : Sunflower
  • Auteur : Peter Watts
  • Publication : le 17 septembre 2020 chez Le Bélial’
  • Traduction : Gilles Goullet
  • Nombre de pages : 224
  • Format : GdF et numérique

13 réflexions sur “Eriophora – Peter Watts

  1. Remarquable mais ce n’est pas pour tout le monde à mon avis. Il y a de grand moment d’émerveillement, mais la fin est assez pessimiste… de mon point de vue. j’ai lu avec attention mais il faut croire que je n’étais plus assez concentré à la fin car je manque une partie de la révélation. ll ne me reste plus qu’à lire les nouvelles.

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  2. Bonjour, je viens de terminer Eriophora et c’est effectivement une merveille. On se sent, au cours de la lecture, soit très intelligent, soit très bête ;-). J’ai relu deux fois le chapitre « Le Jour de l’extinction » et l’épilogue mais je n’ai pas trouvé la révélation. Je me tourne vers les nouvelles d’Au delà-du gouffre et je vais commander Vision aveugle.

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